« A mon sens, non seulement le pardon existe en politique mais il devrait même être la règle «
Suite au décès de Modibo Kéita, l’ancien président du Mali Moussa Traoré a accordé une interview exclusive à la Rédaction de Voix d’Afrique. C’était en 1977.
Monsieur le Président, vous savez que, chez nous, dès qu’on apprend le décès d’un parent, d’un ami ou d’une connaissance, on pose toujours la question « qu’est-ce qu’il avait ? »Voulez-vous nous dire, donc, de quoi est mort le Président Modibo Kéïta ?
L’ancien président Modibo Kéïta est mort subitement d’un oedème aigu des poumons. Ce diagnostic a été fait par un praticien expérimenté de notre pays, qui immédiatement prévenu, a mis d’urgence en oeuvre tout ce qu’il fallait pour le sauver. Malheureusement la maladie a eu le dessus.
Depuis quand M Modibo Kéïta était-il malade ? De quel mal souffrirait-il ? Avait-il un médecin qui le suivait régulièrement ?
Je viens de rappeler la maladie qui a remporté M Modibo Kéïta. En outre, c’est comme vous le savez, il avait présenté une crise d’appendicite qui, sur mon insistance, avait été opérée dans les meilleures conditions en présence de son grand frère. En 1974, il avait demandé et obtenu une consultation ophtalmologique à l’issue de laquelle un traitement avait été institué. Il a eu bien sûr à souffrir de certaines maladies courante de notre pays (grippe, paludisme et rhume) pour lesquelles il a été toujours correctement traité.
Quant à la question de savoir s’il était régulièrement suivi, la réponse est bien entendue oui.
En effet, il existe un médecin-chef des armées qui, avec l’aide d’une équipe, s’occupe en permanence des militaires et des détenus. Ces médecins veillaient de façon particulière sur l’état de santé de l’ancien président et faisaient régulièrement appel, à chaque fois que cela s’avérait nécessaire, aux spécialistes civils qui eux aussi traitaient régulièrement Modibo Kéïta pour des affections relevant de leurs spécialistes.
Son dernier bilan médical complet date de début avril 1977, bilan médical qui était répété une ou deux fois l’an.
De plus, chaque fois que Modibo lui-même en exprimait le désir, on lui envoyait le praticien de son choix. Donc, comme vous le voyez, toutes les dispositions nécessaires étaient prises pour que Modibo soit régulièrement suivi sur le plan médical, par des médecins compétents et aussi surtout des médecins de son choix.
A cela je tiens à ajouter ceci : l’on peut par rancœur et mauvaise foi nous suspecter d’avoir tué Modibo. Je ne m’adresse, du reste, pas ici à ces gens aveuglés par la malveillance. Les faits sont là et parlent d’eux-mêmes. En effet, si cela était vrai, nus n’aurons pas attendu tout ce temps pour le faire. Nous n’aurions pas non plus pendant neuf ans, veillé de près sur sa santé, puis à sa mort remis, son corps à sa famille.
Est ce à cause de sa maladie qu’il avait regagné Bamako ou bien était-ce dans la perspective de son prochain élargissement dont fait état la rumeur publique ?
Non ! Ce n’était ni à cause d’une maladie ni dans la perspective d’un prochain élargissement que Modibo avait regagné Bamako. C’est à la suite d’une démarche effectuée auprès de moi l’année dernière par sa mère qui m’a fait savoir que compte tenu de son grand âge elle aimerait revoir son fils avant de mourir, que Modibo avait regagné Bamako. Au Mali cela à un signification profonde.
Je ne pouvais bien entendu laisser un tel vœu non exaucé. C’est ainsi donc que Modibo avait été immédiatement transféré à Bamako. Mais, même s’il devait être élargi voyez-vous, ce n’était pas pour cela qu’il avait rejoint Bamako, mais pour des raisons humanitaires.
Quelles sont les conditions dans lesquelles l’ancien Président était détenu ? Avait-il droit à des visites ? Quel était son régime alimentaire ?
Je voudrais dire ici que Modibo a été successivement détenu à Kayes, Kidal et Bamako. A Kayes et Kidal, il ne recevait pas de visites parce qu’il ne le demandait pas, ses parents non plus.
A Bamako, j’avais autorisé qu’il rende visite à sa mère, je crois savoir qu’il ne l’a fait qu’une fois. C’était lui par la suite qui recevait sa mère et les autres membres de la famille.
Du premier jour de sa détention jusqu’au jour de son décès, il avait toujours lu les journaux, revues et livres qu’il désirait lire ; il disposait également d’un poste radio pour écouter les émissions radiophoniques de son choix.
Son régime alimentaire, en outre, était fixé d’abord par lui-même ensuite par des médecins, le cas échéant.
Monsieur le président, il parait que le jour même où Modibo Kéïta est mort, son corps a été rendu à sa famille. Ensuite tous ceux qui ont voulu l’accompagner à sa dernière demeure ont pu le faire librement. Pourquoi donc le Comité Militaire de Libération Nationale qui a permis ces actes qui ont été apprécié par l’opinion publique a gardé silence officiel source décès ?
Il est exact que le jour où Modibo Kéïta est mort son corps a été rendu à sa famille et qu’ensuite tous ceux qui ont voulu l’accompagner à sa dernière demeure ont pu le faire librement. Je tiens ici à souligner que le Comité Militaire de Libération Nationale n’a pas gardé un silence officiel sur ce décès puisqu’il a lui-même officiellement prévenu la famille du défunt.
L’on a parlé de « situation potentiellement dangereuse » au Mali, voulez-vous nous dire quels sont les éléments qui caractérisent cette situation ?
Comme on le sait, depuis le mois de février, nos étudiants et nos élèves se sont agités à la suite de la nouvelle réforme intervenue dans notre enseignement.
Malgré toutes les explications et tous les apaisements qui leur ont été donnés, malgré le sang-froid, la bonne volonté et la disponibilité dont le Comité Militaire de Libération et le Gouvernement ont fait preuve en l’occurrence, l’agitation a continué : les enfants sont « descendus dans les rues » et ont commis des dégâts matériels très importants. Mais nous avons bien vite compris que cette affaire d’élèves et d’étudiants n’était en réalité qu’un prétexte et que certaines personnes cherchaient tout simplement à se servir des enfants pour créer dans le pays une atmosphère d’instabilité, au moment précis où nous prenions les dispositions nécessaires pour mettre le nouveau Parti en place.
Le fait que le Comité Militaire de Libération Nationale ait envisagé l’opportunité de prendre « les mesures exceptionnelles » que vous confère la Constitution a fait croire à une orientation de la politique interne vers une restriction des libertés. Cette croyance vous paraît-elle juste ?
Vous conviendrez avec moi qu’au rythme où se déroulaient les événements, je pouvais être amené un jour ou l’autre à prendre «ces mesures exceptionnelles « non pas pour une restriction de libertés mais pour la défense des intérêts supérieurs de notre pays et de notre peuple.
Le brave courageux peuple malien ne doit plus souffrir (c’est ma conviction profonde) d’une limitation des libertés, après tout ce qu’il a enduré avant le 19 novembre 1968.
Cette croyance donc d’orientation de notre politique interne vers une restriction des libertés est justifiée;
Monsieur le Président, peut-on penser que la situation actuelle qui prévaut au Mali risque de retarder la mise en place de l’UDPM ?
Aucun retard ne sera causé à la mise en place de l’UDPM. Nous respecterons le calendrier ainsi établi pour qu’en 1979 le nouveau régime constitutionnel puisse fonctionner normalement.
A quel moment faut-il s’attendre à la libération des autres détenus politiques qui restent encore au Mali ?
La mise en liberté de ces détenus a été envisagée, elle aussi pour un avenir très proche. Je préfère toujours prendre mes décisions librement et dans une totale séreniité. Or cette sérénité, vous en conviendrez , fait actuellement défaut.
Par ailleurs, il y a fort à parier qu’en procédant immédiatement à ces élargissements (comme, encore une fois, nous nous proposions de le faire) ce geste ne soit interprété de façon erronée ; dans un moment comme celui-ci, on a tôt fait de susciter autour de notre décision une malheureuse et dangereuse équivoque.
Mais de toute façon, tout n’est plus ici qu’une question d’opportunité et j’ose espérer que les choses évolueront de manière telle qu’il nous sera possible de procéder très rapidement à la libération du reste des détenus politiques.
Monsieur le Président, une dernière question : le pardon existe -il en politique ? Si oui, comment peut-il être accordé ?
A mon sens, non seulement le pardon existe en politique mais il devrait même être la règle. Tout le monde y trouverait son compte, qu’il s’agisse de l’Etat comme des individus.
Dans la politique, voyez-vous, toutes les parties en présence visent en définitive un seul et même but qui est de servir le pays. Il faut dès lors, les uns et les autres, admettre que vous visez tous les mêmes objectifs mais que vous avez simplement des conceptions, des philosophies, des stratégies divergentes. Il faut donc entre rivaux politiques bannir la haine, la méchanceté et la rancune et pratiquer la tolérance, la générosité et le pardon, l’autre, le rival, étant non point un ennemi mais un simple adversaire.
La manière d’accorder le pardon est bien entendu fonction de chaque situation, de chaque contexte.
Source : Journal Voix d’Afrique
l’Aube du 18 Septembre 2008