Le 23 Octobre 2008, la Maison de la Presse a abrité une rencontre organisée par le Cercle de Réflexion et d’Information sur la consolidation de la démocratie au Mali (CRI 2002). Une rencontre de presse qui portait sur le thème de la restitution des travaux de CRI 2002 du processus sur le transfert des compétences et des ressources de l’Etat aux Collectivités territoriales.
Du 21 au 29 Juin 2008, sur l’initiative et l’invitation du CRI 2002, et avec l’appui technique et financier du bureau de la Coopération suisse au Mali, une délégation malienne de hauts cadres s’est rendue dans la région Rhône-Alpes, en France, pour une visite d’étude sur l’expérimentation en matière de transfert de compétences et des ressources de l’Etat aux collectivités territoriales.
La région raison d’un choix
Rhône-Alpes est la 2e région de France. Son choix s’explique par son étendue (44 000 km2), son peuplement (5,6 millions d’habitants, soit près de 10% de la population française), son produit intérieur brut d’environ 700 milliards de FF en 1994, ses 2879 communes (reparties en 8 départements), l’importance de son industrie (30% de la Valeur Ajoutée, contre 25% en France), son expérience et son expertise avérées en matière d’expérimentation dans le domaine du transfert de compétences et ressources de l’Etat aux collectivités territoriales.
Avant, pendant et après sa généralisation à toutes les régions de France, l’expérimentation dans la région Rhône-Alpes a contribué à faire, de cette région, une collectivité pionnière.
Le plaidoyer de cri-2002
Malgré son bilan qualifié de positif, la mise en oeuvre de la décentralisation, initiée depuis 1992 au Mali, éprouve des difficultés dans certains domaines, notamment dans celui du processus de transfert de compétences et des ressources de l’Etat aux collectivités territoriales, suite à l’adoption des trois décrets de Juin 2002 fixant le détail des compétences transférées aux collectivités territoriales, dans les secteurs de l’Hydraulique rurale et urbaine, de la Santé et de l’Education.
Depuis lors, la réforme n’a pas enregistré de progrès notables, “faute d’une volonté des administrations centrales de se dessaisir de certaines fonctions, mais aussi faute de moyens financiers pour que le transfert de compétences aux collectivités territoriales s’accompagne de transfert des ressources”, reconnaît le gouvernement.
C’est pour répondre à cette attente de l’Etat que CRI 2002, pour le renforcement de la démocratie et de la citoyenneté au Mali, s’est engagé depuis 2000 dans ce vaste chantier, avec le soutien du Ministère de l’Administration Territoriale et des Collectivités Locales(MATCL), du Haut Conseil des Collectivités Territoriales (HCCT) et du BUCO au Mali, en organisant des débats citoyens dans les 8 régions, le District de Bamako et d’autres collectivités (Kita, Kati, Kadiolo, Koutiala, Niono, Bandiagara, Goundam, Ansongo), dans le but d’expliquer le processus de transfert de compétences et de diagnostiquer les difficultés qu’il rencontre.
Cette initiative de CRI 2002, qui a duré deux ans et mobilisé plus de 2000 participants à travers une quarantaine d’ateliers citoyens décentralisés, a abouti à un certain nombre d’enseignements, dont la valorisation de la place et du rôle des citoyens dans le processus du transfert de compétences, et la demande d’introduction d’un nouveau principe dans la stratégie nationale de transfert de compétences, à savoir l’expérimentation.
Ces résultats ont été restitués au MATCL, au HCCT, à l’Assemblée nationale et au BUCO, qui ont manifesté leur intérêt pour la continuation, le renforcement de l’initiative de Cri-2002, et la concrétisation de ses propositions.
Principaux enseignements
Le constat retenu par CRI 2002, c’est “qu’il vaut mieux perdre du temps dans le démarrage et gagner le maximum de temps dans la mise en oeuvre”. Aussi, ladite visite d’étude a permis à la délégation de connaître plusieurs cas pratiques d’expérimentation en région Rhône-Alpes ; cerner les contours juridiques et institutionnels de la mise en place des expérimentations ; mesurer la portée politique des expérimentations dans les avancées en matière de décentralisation, et leurs impacts dans la responsabilisation des acteurs locaux et dans la gestion des affaires les concernant.
Au Mali, le principe d’expérimentation comme technique juridique opérationnelle en vue du transfert effectif et maîtrisé de compétences et des ressources aux collectivités territoriales peut constituer un bon levier pour sortir du piège du “en parler toujours, mais ne jamais le faire”, concernant le transfert de compétences et des ressources aux collectivités territoriales.
Aussi, le Directeur Général des Services de la région Rhône-Alpes, M. Gilles Le Chatelier, recommande : « La grande leçon à tirer en matière de transfert de compétences et des ressources de l’Etat aux collectivités territoriales est qu’il s’agit d’un processus irréversible. Une fois qu’on transfère, il est difficile de revenir là-dessus, de le retirer. Comment faire pour ne pas revenir là-dessus ? Perdre du temps dans le démarrage, et gagner le maximum de temps, dans la mise en oeuvre”.
Le Mali ayant perdu suffisamment de temps dans le démarrage, il lui faudra alors maintenant gagner le maximum de temps dans la mise en oeuvre. Mais comment ? En ce qui concerne la politique de décentralisation, il faut faut, selon CRI 2002, “… une décentralisation profondément ancrée dans la culture malienne, ouverte et réceptive à l’évolution du monde, aux innovations, pour une meilleure prise en charge du territoire pertinent par les acteurs locaux…”.
En effet, ce qui fait la force des politiques de décentralisation mises en oeuvre dans les pays développés en général, et en France en particulier, c’est que tout en restant profondément ancrées dans leur culture, ces politiques restent largement ouvertes et réceptives aux innovations et à l’évolution du monde.
Aussi, le Mali ne saurait gagner le maximum de temps sans, au préalable, revisiter sa politique de décentralisation, tout en posant la question : le contenant (c’est-à-dire la politique de décentralisation en tant que telle) est-il à même de supporter le contenu, c’est-à-dire les matières et les compétences transférées… sans la primauté de la dimension historique, culturelle, sociologique (villages, fractions, quartiers…) en vue de la mise à disposition effective des ressources humaines, matérielles et financières nécessaires… ?
Pour le Mali, il s’agira alors de rechercher et d’identifier le rôle effectif et les compétences traditionnelles séculaires des villages, fractions et quartiers, de les développer et les élargir en fonction des enjeux et défis passés, présents et futurs de la gouvernance locale.
La question à résoudre au Mali?
C’est celle de l’équation et de l’expérimentation …”La question mérite d’être placée au coeur du renforcement et de la consolidation de la gouvernance locale, via l’introduction et l’adoption du principe d’expérimentation, en vue du transfert effectif et maîtrisé de compétences et des ressources aux collectivités territoriales traditionnelles, aux nouveaux territoires et structures à faire émerger, et tous devant trouver leur cohésion au niveau de la région ou du District“, remarquera CRI 2002.
Concernant l’équation, il s’agit d’engager des débats citoyens et démocratiques pour faire, des villages,fractions, quartiers et communes existantes, des bassins de vie et de développement de proximité répondant aux besoins de la vie quotidienne.
Il s’agit de foire, des cercles existants ou à créer, des collectivités chargées d’assurer une certaine solidarité entre villes et campagnes. Il s’agit enfin de faire, des régions et du District existants ou à créer, un ensemble plus vaste, des collectivités chargées de l’élaboration et de la réalisation des plans plus ambitieux tournés vers l’avenir.
En ce qui concerne l’expérimentation, ”...tout est, en fait, question de volonté et de courage politique affirmés…”, constate CRI 2002. De quoi s’agit-il, en fait ? Il s’agit de l’autorisation donnée aux collectivités locales, par le législateur, de mettre en œuvre des politiques sur une portion limitée du territoire national et pour une période définie dans le temps, dans un but d’évaluation.
Ce droit permettrait donc, aux collectivités locales, de déroger aux lois et règlements qui les régissent pendant un temps, préalablement défini, afin de “tester” localement les effets de cette disposition nouvelle susceptible d’être ensuite élargie au plan national, modifiée ou supprimée. Sur les conventions de délégation de pouvoirs entre l’Etat et les collectivités
Sur ce plan, la pratique des conventions de délégation de pouvoirs entre l’Etat et les collectivités territoriales a pour objet essentiel de faire, de l’administration publique, un interlocuteur crédible face aux élus locaux et aux citoyens. Pour autant, l’Etat ne sera pas absent, encore moins en passe de s’effacer : il restera toujours présent, mais autrement.
En ce qui concerne la mise en oeuvre des programmes propres de l’Etat dans la région, elle doit s’opérationnaliser sur la base du sytème “dual”. C’est-à-dire que l’Etat conserve un réseau administratif qui lui permet de mettre directement en œuvre ses politiques et ses compétences au plan local. En contrepartie -et c’est une des conséquences-, les collectivités territoriales ont presque toujours des compétences propres qu’elles exercent, en fait, avec une grande liberté.
La progression du processus de mobilisation et d’organisation du territoire sera accompagnée du renforcement du rôle du Préfet de région, et d’une extension des domaines d’interventions des actions publiques : économie, santé, éducation, action sociale, formation, culture, transports, emploi, logement, sécurité, environnement…
Et l’enseignement à tirer?
Au Mali, le Gouverneur de région ou du District doit être placé au cœur de l’innovation de l’action publique locale. Ce qui nécessite que les services de l’Etat soient réorganisés dans les régions, soit pour gagner en efficacité, soit parce qu’ils doublonnent avec les compétences des assemblées régionales ou du District. Dans ce secteur, il y a du travail, surtout dans le compartiment “déconcentration et décentralisation”, constate CRI 2002
“Si le Mali compte aller dans cette direction -et il doit y aller-, il doit impérativement procéder à une relecture des textes en vigueur, notamment en ce qui concerne la mise en œuvre de la tutelle appui et conseil, dans un contexte où, dans les relations Etat-Collectivités, le contrôle administratif et juridictionnel a remplacé la nation de tutelle ; l’élaboration et la mise en oeuvre des politiques de la région dans son compartiment “rôle de coordination et d’impulsion du développement régional et local”, concluera CRI 2002.
Oumar DIAWARA
24 Octobre 2008