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web-27.jpgLes services spécialisés de l’État, comme la pouponnière, les reprennent et les soignent pour en faire des enfants comme les autres. Hélas! Que de nourrissons abandonnés sont asphyxiés dans les linges dans lesquels ils sont emmitouflés ! Certaines parties du corps de quelques bébés abandonnés sont souvent dévorées par des rats, des chats ou des chiens.

Il n’existe pas de statistiques fiables pour fixer le nombre de ces mères indignes. Ni distinguer les couches sociales dont elles sont issues, le milieu social qu’elles fréquentent ou la région du pays dont elles sont originaires. Ce qui est cependant sûr, c’est que la majeure partie de ces femmes, coupables d’abandon d’enfant, interpellées par les commissariats, viennent de la campagne. Il s’agit généralement de villageoises attirées par les mirages de la grande ville. Elles y débarquent pour préparer leur trousseau de mariage.

Elles y deviennent la cible des amateurs de « naturel », de chair fraîche et naïve. Les cyniques séducteurs urbains font croire à ces pauvrettes qu’ils ont la clef à leurs problèmes. Ils leur promettent ciel et terre. La désillusion est dramatique.

LA MÉTAMORPHOSE

La séduisante Saran Sidibé est l’une des ces filles que la ville de Bamako a piégées depuis quelques années. Elle avait quitté les siens en 2004. A l’époque, elle était une frêle adolescente. Dans le groupe de ces paysannes, elle était l’une des plus belles et la plus jeune. Après quelques mois passés au service d’une famille de Bamako, la jeune demoiselle avait fait la connaissance d’un jeune homme. Cet ami vivait non loin de la maison de ses employeurs. Le garçon était à l’abri du besoin. Il mena en compagnie de Saran la vie folle du play-boy bamakois, capable de s’offrir toutes les folies de jeunesse. Saran était vite devenue une habituée des boîtes de nuit. Elle avait découvert les coins les plus chauds du « Bamako by night« .

La petite villageoise s’était métamorphosée en une authentique citadine. Elle avait toujours un petit poste radio collé à l’oreille. Elle guettait le prochain concert ou la future soirée dansante. Elle n’avait même pas à se tracasser. Son petit ami faisait tout à sa place. Il l’informait par l’entremise du téléphone cellulaire qu’il avait acheté pour elle. Chacune des occasions était bonne pour Saran de s’habiller comme une princesse. Elle faisait un tour chez ses amies pour les narguer avant de rejoindre son Jules.

Toute chose ayant une fin, Saran finit par tomber en grossesse. L’amoureux, dont elle refuse de dévoiler le nom a été la première personne à être informé par elle au cours d’une randonnée nocturne. Cette nuit, le jeune refusa de se déterminer. Il réagit par un laconique : « ah bon !« . Et contrairement à ses habitudes, il la quitta très tôt. La fille ne comprit pas l’attitude de son amant. Après son départ, elle resta longtemps assise sur le soubassement d’une maison en chantier. Pendant d’interminables minutes, elle s’interrogea sur le comportement brusque de celui qu’elle croyait être l’homme de sa vie. Finalement, elle se résolut à rentrer et à se coucher. Mais elle ne ferma pas l’œil un seul instant.

Le matin, au lieu de se rendre au travail, Saran prit la direction du domicile de son petit ami. Il dormait encore. Puisqu’elle était connue des habitants de la concession, elle prit place sur une chaise et attendit son réveil. Le jeune homme sortit de sa chambre aux environs de 9 heures. Il aperçut la fille au moment où il se rendait aux toilettes. Jusqu’après le petit déjeuner, il n’adressa pas la parole à sa visiteuse. Saran était sidérée.

SEULE FACE À SA GROSSESSE

Lorsqu’il eut terminé son petit déjeuner, le jeune homme sortit dans la cour, toujours sans adresser le moindre mot à Saran. Sans se démonter, elle le suivit. Elle lui annonça qu’elle voulait lui parler. L’homme l’envoya au diable. Saran comprit le message et quitta sa belle-famille les larmes aux yeux. L’amante frustrée retourna à la maison. Elle exposa son problème à une de ses amies, qui lui lança sans ménagement qu’elle venait de récolter ce qu’elle avait semé.

Seule face à sa grossesse, la jeune fille couva sa désillusion jusque dans la nuit du 1er au 2 septembre. Aidée de ses logeurs, elle accoucha d’un garçon. Vers 5 heures du matin, elle alla déposer le nouveau-né drapé dans un pagne près d’une famille logée non loin du marigot de Kalabancoura ACI. Et Saran disparut.

Des ouvriers gagnant un chantier entendirent des cris du bébé. Ils s’approchèrent et tombèrent sur un colis qui gigotait. Ils comprirent qu’une femme venait de jeter son enfant. Ils récupérèrent le bébé déjà trempé de rosée et grelottant de froid et allèrent le déposer au commissariat du 11è arrondissement.

L’inspecteur Daouda T. Diarra envoya l’innocent à la brigade des mœurs. Il entama une enquête qui n’allait pas durer longtemps. Vers 11 heures, les riverains du marigot près duquel la jeune fille avait jeté son enfant, virent une jeune femme qui rôdait les larmes aux yeux. Une dame s’approcha d’elle et lui demanda pourquoi elle pleurait. Saran les yeux rougis par le chagrin expliqua qu’elle avait abandonné son bébé et qu’elle regrettait son acte. « Je suis à la recherche de cet enfant. J’ai commis une bêtise. Aidez-moi s’il vous plaît à retrouver mon bébé« , supplia-t-elle.

La dame n’avait pas vu les ouvriers qui avaient récupéré le nouveau-né, mais avait cependant entendu des voisin commenter l’histoire de l’innocent ramassé par les passants. Elle conseilla à Saran de se rendre à la police pour se renseigner. Brutalement Saran Sidibé se mit à crier : « mon enfant est peut-être mort. Je veux voir son corps« . Elle courut en direction du commissariat. Elle fit une irruption remarquée à la police. Elle bouscula tout le monde présent, pour parvenir au chef de poste. Elle demanda en criant où était son nouveau-né. Le policier la calma et la conduisit chez l’inspecteur Daouda. L’officier, en bon psychologue, la rassura et la ramena à la raison avant de lui annoncer que le bébé était vivant. Il ne courait aucun risque, mais pour le moment il se trouvait à la pouponnière de Bamako-coura.

Deux agents la conduisirent d’abord chez le commandant Ami Kane, le chef de la brigade des mœurs. Elle ira plus tard à la pouponnière admirer son bébé miraculé. Mais pas sans avoir été fixée auparavant sur le sort que la justice lui réserve.

Saran n’est pas la première à abandonner son enfant avant d’être prise de remords et de le rechercher. En 2005, sous cette même rubrique, nous rapportions le cas d’une mère qui avait agi exactement comme elle. Malheureusement, cette femme n’avait pas eu la même chance que notre héroïne. Son bébé n’avait jamais pu être retrouvé.

G. A. DICKO | Essor

10 septembre 2007