Si on parle d’immigration, de plus en plus on pense aux tracasseries et autres actes inhumains dont nos compatriotes sont victimes en dehors de leur pays. Cependant on oublie que sur le territoire malien, des candidats à l’immigration subissent des traitements dégradants, notamment sur l’axe allant de Gao vers les pays maghrébins. Sur ce tronçon, certains éléments des forces de sécurité en complicité avec les coxeurs, convaincus que ces jeunes candidats à l’immigration ont des sous, tentent par tous les moyens de leur en soutirer.
Originaire de Bancoumana, Mary Kéïta, âgé de 27 ans, à l’image de nombreux jeunes Maliens, a tenté de faire l’aventure européenne pour échapper au chômage et à la pauvreté. Après avoir embarqué dans un bus à Bamako le 5 juin 2004, le calvaire de ce jeune Malien commença dès la sortie de Sévaré-Mopti avec les forces de l’ordre, qui une fois convaincues qu’elles ont à faire à des candidats à l’immigration, se mettent à réclamer 2 500 FCFA par personne « comme part de l’autorité », même scénario à l’entrée de Gao. « Au petit matin, nous sommes accueillis à la gare de Gao par des coxeurs qui proposent les différentes destinations possibles. J’ai pris contact avec un organisateur de voyage vers l’Algérie. Ici le prix normal est de 20 000 FCFA mais certains paient jusqu’à 80 000 FCFA. Une fois le montant payé, les organisateurs du voyage prennent les pièces d’identité qu’ils envoient à la police de Gao pour le cachet de sortie à raison de 1000 FCFA par pièce. En ce moment on vous fait croire que vous n’aurez plus de problème en cours de route mais c’est tout à fait le contraire. Déjà à la sortie de Gao on nous a obligés à payer 2 500 FCFA par personne comme frais sociaux qui seraient destinés à prendre en charge ceux qui seront rapatriés« , raconte Mary Kéïta.
Une évidence à laquelle lui et ses 22 compagnons qui avaient pris place dans une land cruiser ce 7 juin 2004 aux environs de 16 heures se sont rendu compte en cours de route. Leur calvaire venait de commencer avec les patrouilles incessentes des forces de l’ordre pour contraindre le véhicule à s’arrêter et les occupants intimidés voire menacés à s’acquitter individuellement de 10 000 FCFA pour les Maliens et 15 000 FCFA pour les non Maliens. Un montant souvent revu à la baisse en fonction des négociations.
Pour le jeune Kéïta, il ne fait l’ombre d’aucun doute que ces patrouilles étaient organisées pour la cause avec la complicité des organisateurs de voyage. « Certes nous étions convaincus que c’étaient des hommes en tenue et que leurs actes n’étaient pas légaux. Dans la première patrouille que nous avons rencontrée, un gendarme était à bord d’un véhicule de la manutention africaine avec des employés habillés en tenue de ce service. On peut dire qu’il convoyait ces gens là. Ce qui ne l’a pas empêché de nous soutirer 2 500 FCFA alors qu’on avait nos pièces en règle. Quelques kilomètres encore plus loin, un autre véhicule avec à bord des hommes en uniforme nous poursuit et oblige notre véhicule à s’arrêter. Eux aussi nous réclament de l’argent avec comme argument que c’est ATT qui a instruit de ne laisser partir à l’étranger aucun jeune Malien. Nous avons répliqué que cela était faux et que ATT l’avait démenti. Nos interlocuteurs commencèrent alors à nous menacer et finalement chacun était obligé de mettre la main à la poche. Les Maliens ont payé 22 500 FCFA et les étrangers ont payé beaucoup plus« , explique Kéïta. Mais le plus grave s’est produit au poste de contrôle de Tandhara. Ici raconte notre interlocuteur, « les agents nous demandent de cotiser en payant chacun la somme de 15 000 FCFA. Lorsque nous avons tenté de demander des explications, ils se sont mis en colère et ont décidé de mettre la manière forte. Ils se sont mis à proférer des insultes puis à fouiller les gens un à un. Trois passagers étaient obligés de rester dans cette petite localité car ils n’avaient plus rien pour continuer le trajet« .
« A notre arrivée à Kalhine, le dernier poste frontalier du Mali, c’est toujours le même scénario. Des agents en uniforme se mettent à nous demander encore de l’argent. D’autres camarades ont écourté leur trajet dans la petite localité de Tessalit car ils n’avaient pas d’argent sur eux pour aller en Algérie qui était à une dizaine de kilomètres. Sur 23 au départ, on était quatre à fouler Badji El Moctar, la première localité algérienne. D’autres nous ont rejoint plus tard dans les foyers de migrants. Mon séjour en Algérie a été difficile avec les rackets et rafles incessants. Je regrette surtout les comportements scandaleux de nos forces de l’ordre qui n’ont aucun respect à l’endroit des candidats à l’immigration. Elles pensent que ceux-ci sont bourrés d’argent et qu’elles doivent leur soutirer le maximum en oubliant que si on avait autant d’argent comme elles le pensent, allait-on partir à l’étranger ?« .
Y.C
13 avril 2006