Que l’on soit clair : je ne suis pas pro-Gbagbo – loin s’en faut -, mais un apprenti observateur de la scène politique africaine, qui assiste à la mise à mort programmée de la démocratie sur le continent. Entendons-nous bien : si ça ne tenait qu’à moi, l’ex-président ivoirien serait aujourd’hui ailleurs qu’au palais présidentiel de Cocody. Peut m’importe son sort.
Seulement voilà : dans sa fuite en avant, LG peut se défendre d’avoir des devanciers dans la pratique de confiscation en cours du pouvoir en Afrique. Mwaï Kibaki, battu à la régulière, reste malgré tout président du Kenya. Il en est de même de Robert Mugabe, laminé dans les urnes, mais qui continue de régenter son pays, le Zimbabwe. D’ailleurs, ces deux exemples ne sont que la partie visible de l’iceberg. Le pouvoir en Afrique étant presque un jardin d’Eden, des démocrates sincères ont tout simplement perdu leur latin à son contact et ne le quitteraient que les deux pieds devant.
Il faut dire qu’un président de la République démocratiquement élu sur notre continent peut très rapidement devenir le démiurge de la réalité. Il concentre entre ses mains tous les leviers de l’Etat, car, ici, la séparation des pouvoirs n’est qu’une façade. Rappelez-vous la boutade de Lansana Conté (paix à son âme) : « C’est moi la justice, c’est moi l’Etat » alors qu’il était parti extraire un de ses « amis » à la Maison d’arrêt de Conakry.
Un chef d’Etat africain peut faire et défaire à sa guise les hommes. Il peut puiser impunément dans les caisses de l’Etat. Il peut, si ça lui chante, créer ex-nihilo des fortunes astronomiques sur les maigres ressources publiques. Last but not least : des hommes avides d’argent, sans foi ni loi, lui tressent des lauriers à longueur de journée. Ils lui susurrent à l’oreille qu’il est indispensable pour mieux assouvir leur soif de bien-être individuel.
Dès lors grande est la tentation. C’est pourquoi les tripatouillages, les successions dynastiques ou le maintien de clans ont encore cours sur notre continent. Si le pouvoir n’était pas un gâteau, nul doute que les présidents africains allaient, sinon écourter leurs mandats, du moins prier pour que le jour « j » de leur départ arrive enfin. Ils n’allaient tout de même pas souhaiter que leurs rejetons revivent les mêmes affres qu’eux.
Les Bambaras disent que c’est « la force (le pouvoir) qui pousse la merde », c’est-à-dire que le pouvoir peut tout, sans autre forme de procès. Dès lors, la Constitution, les principes de la démocratie et la compétition loyale sont torpillés. Des fils succèdent aux défunts pères. Des régimes voués aux gémonies passent au 1er tour avec des scores « nord-coréens ». L’administration est conditionnée, la justice mise au pas ; la dilapidation continue.
La malchance de Gbagbo, c’est d’avoir accepté le principe de la certification des résultats par les Nations unies, ce qui a mis à nu la machine de la fraude électorale en Afrique. N’eût été l’implication de l’Onuci dans son « processus électoral », nul doute qu’il serait encore le président incontestable de Côte d’Ivoire, adoubé par ses pairs à travers des télégrammes de félicitations, malgré le verdict clair des urnes.
Appliquée un peu partout, la certification onusienne serait, en réalité, la dernière bouée de sauvetage de la démocratie sur le continent. Ce serait le meilleur cadeau d’anniversaire que le monde offrirait à l’Afrique globalement cinquantenaire.
A. M. T.
13 Décembre 2010.