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jpg_une-50.jpgA une certaine époque et dans certaines de nos sociétés, l’auteur de l’acte serait banni du village et forcé de vivre le reste de ses jours très loin des siens. Dans la grande ville de nos jours, l’affaire, bien que très insolite, passera comme un simple fait divers et sera jugée par la justice. Elle est quand même révélatrice d’un changement négatif de comportement des enfants vis-à-vis de ceux qui les ont mis au monde.

Moussa Diallo est un jeune homme de 27 ans. Son père Abou Diallo en a presque le double. Le cinquantenaire était marié à deux femmes, la mère de Moussa et une autre. Avec la mère de Moussa, sa première épouse, il n’a eu qu’un seul enfant alors qu’avec sa seconde épouse la nature a été généreuse avec lui en le gratifiant d’un grand nombre de gosses dont certains sont plus âgés que Moussa. La mère de Moussa tomba malade et succomba à son mal.

Selon les témoignages des voisins, de son vivant, elle était loin d’être la favorite de Abou Diallo. Elle était presque tous les jours battue pour chaque moindre erreur commise par elle ou par son jeune garçon. Le vieux trouvait un motif de bagarre dans tout ce que faisait la pauvre.

Haine tenace

Moussa Diallo, orphelin de mère, ne s’entendait pas très bien avec ses demi-frères. D’après certains témoignages pris dans les environs de la famille, le garçon était brimé par ses demi-frères, son père et sa marâtre. Conséquences : le jeune homme devint un marginal et s’adonna à l’alcool et à la drogue. Il passait les nuits dans les bars et connaissait tous les endroits où on peut se procurer des cornets de chanvre indien. Moussa, selon les voisins, était devenu un enfant de la rue alors que son père possède une maison où il y a de la place pour tous les membres de sa famille.

Le mal-aimé de la famille ne pouvait que nourrir une haine tenace contre les siens. Il se mit à réfléchir sur comment venger la mort de sa mère qu’il attribue volontiers à la maltraitance qu’elle subissait de la part de son père. Des témoins racontent que dans la nuit de mardi à mercredi, notre jeune homme a consommé dix grosses bières dans un bar chinois avant d’aller dans une maison non habitée pour fumer un nombre indéterminé de cornets de chanvre indien.

Apparemment, il avait pris des excitants avec l’intention de perpétrer un acte prémédité. Quand il s’est trouvé suffisamment haut dans les nuages, Moussa décida d’aller rendre visite à son père. Il trouva toute la famille réunie et le chef de famille assis à l’écart. Il s’approcha de lui et le salua. Puis il demanda à le voir en aparté. Le vieux l’accompagna dans un coin de la maison. Une fois seuls, le fils s’adressa à son père et lui dit qu’il voulait savoir pourquoi du vivant de sa mère, il la maltraitait comme si elle n’était pas sa femme. La question était inattendue et le vieux était visiblement surpris par ce qu’il considérait comme une insolence de la part de son fils. Il esquiva la question en prétendant que Moussa ne devait pas se mêler de ce qui le dépassait. Mais le jeune homme insista pour avoir une réponse. Abou le quitta et regagna les autres membres de la famille à qui il a fait un compte rendu emprunt d’étonnement. Moussa en profita pour se retirer de la famille. Après quelques commentaires sur l’affaire, la famille s’endormit et Moussa regagna le bar où il continua à se soûler jusqu’au matin. Vers 8 heures, il regagna la maison muni d’un poignard et d’un coupe-coupe qu’il avait dissimulés sous ses habits. Quand il rentra tout le monde remarqua son état d’ébriété. Il puait l’alcool et sa langue était pâteuse.

Moussa pénétra dans le salon où il trouva son papa seul. Sans autre forme de procès, il lui demanda de répondre à sa question de la veille. Mais avant que le père ne sorte le premier mot de sa bouche, le jeune homme se jeta sur lui avec un couteau et tenta de le poignarder. Le vieux, un ancien pratiquant des arts martiaux, esquiva le coup. Dans son mouvement, il renversa le téléviseur et trouva refuge dernière la table sur laquelle l’appareil était posé. Moussa qui voulait absolument vengé sa mère, continua à attaquer son géniteur qui tentait de parer ses coups avec la table.

Sept coups de couteau

Le vieux finit par se fatiguer et baissa sa garde. Son fils en profita pour le toucher sept fois avec son couteau. Deux coups l’atteignirent à la tête, un lui fendit le pavillon d’une oreille, deux lui le touchèrent au niveau du sein. Un coup l’atteignit à l’avant-bras et un autre au bras. Les coups de la poitrine n’étaient pas assez profonds. Les cris de douleur du vieux alertèrent les autres membres de la famille qui accoururent et le trouvèrent tout ensanglanté. Ils se saisirent de Moussa et certains n’ont pas résisté à la tentation de lui asséner des coups de poing. D’autres parmi ses demi-frères, voyant leur père tout couvert de sang, optèrent pour le lynchage pur et simple. Mais la raison des uns l’emporta sur l’ire des autres. Ils décidèrent alors de conduire le drogué au commissariat de Kalabancoura pendant que le père était transporté d’urgence au centre de santé de référence de la Commune V. o la police, les enquêteurs s’étant rendu compte de l’état d’ébriété du jeune Moussa, le firent prendre un bain avant de l’envoyer dans une chambre isolée pour lui permettre de recouvrer ses esprits.

Dans son isoloir, Moussa s’endormit comme une souche jusqu’aux environs de 16 heures. A son réveil, l’inspecteur Dioting Diarra le fit sortir et commença son interrogatoire. Dans ses premiers propos Moussa ne semblait nourrir aucun regret. Il reconnut même avoir agi avec préméditation. «Je l’ai raté. Mon père a tellement fait souffrir ma mère qu’elle en est morte. Je regrette de ne l’avoir pas atteint à partie vitale du corps», répondit-il aux policiers qui lui firent remarquer que Abou Diallo est son père et qu’il lui doit respect et considération. Moussa répliqua : «Il a été la cause de la mort de ma mère. Il la faisait souffrir comme une ânesse. En plus après sa mort, il ne s’est plus occupé de moi. Je dors à la maison et je mange là-bas malgré lui. Et puis je vous le répète, il a tué ma mère à cause de sa femme. Il cherchait depuis fort longtemps à me mettre dehors pour que les autres enfants soient ses seuls héritiers».

Le policier déconcerté par les propos du prévenu, arrêta de prendre sa déposition et sortit fumer une cigarette. Après avoir grillé une clope, il reprit suffisamment de force pour parler à nouveau au « dangadén » (enfant maudit en bambara). Mercredi dernier, au moment de notre passage au commissariat du 11e arrondissement, Moussa était encore entendu par les enquêteurs de la section P.J. Il est certain qu’il sera renvoyé devant le tribunal de première instance de la Commune V. Il pourrait être inculpé au meilleur des cas pour coups et blessures volontaires. Au pire des cas, il répondra devant le juge au chef d’accusation de tentative de meurtre avec préméditation.

G. A. DICKO

Essor du 13 octobre 2008