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A la faible implication de la famille et de la société pour l’amélioration des conditions existentielles des malades mentaux, s’ajoutent les difficultés de réinsertion sociale des malades guéris et la méconnaissance de leurs droits humains fondamentaux. Une situation qui interpelle tous les acteurs de notre pays.

Aujourd’hui, en l’absence de statistiques fiables, il est difficile de donner un chiffre exact de malades mentaux au Mali. Au plan mondial, les estimations de l’OMS (Organisation mondiale de la santé) font état de 10 à
15 % de la population générale, susceptible d’être affectés par les troubles mentaux.

A la psychiatrie de l’hôpital du Point G, on dénombre une moyenne de 150 malades mentaux hospitalisés.
Et chaque année, aux dires du directeur de l’hôpital psychiatrique du Point G, Pr. Baba Koumaré « au moins 500 nouveaux malades sont enregistrés. Quant aux consultations annuelles, elles sont estimées entre 2500 et 5000 sur lesquelles, environ 500 cas nécessitent des hospitalisations ».

Selon le Pr. Baba Koumaré, la première cause de déficience intellectuelle est la souffrance fœtale due au manque de consultations prénatales.

D’autres facteurs comme la consommation abusive de drogue et de stupéfiants, les dépressions provoquées par la pauvreté, la déception… sont à la base de la perte de raison. Sur les places publiques, le long de nos trajets, au marché, ils sont des centaines à y élire domicile, exposés aux intempéries avec toutes sortes d’objets.

En raison de la capacité d’accueil très limitée du service psychiatrique (moins de 100 places), cette situation pose le problème de la prise en charge des malades.

D’où la nécessité, pour la société, d’appuyer les efforts du personnel de la psychiatrie qui, tout en s’occupant de son volet, qui est essentiellement médical et psychothérapeutique, intègre avec succès dans sa démarche les autres volets de la prise en charge destinés à faciliter la réinsertion sociale et professionnelle des malades guéris.

Selon la présidente de l’Amaldeme, « la prise en charge des malades mentaux constitue une trajectoire dans laquelle il existe un moment pour l’hôpital et un autre pour la communauté, dont l’intervention se situe nécessairement à tous les niveaux ».

Aussi, dira le Pr. Koumaré, la bonne compréhension par chaque acteur de son rôle et de la nécessité de créer une complémentarité avec les autres constitue le maillon central de la grande chaîne de prise en charge des malades mentaux.

Renforcer le volet assistance

La principale difficulté ici réside dans l’absence de structures relais dont la vocation serait de s’occuper de la réintégration et de la réhabilitation des malades guéris en vue d’une réadaptation sociale. Mais l’absence d’une telle structure ne saurait à elle seule expliquer les difficultés de réinsertion sociale des anciens malades.

Les nombreux préjugés qui entourent les maladies mentales, généralement considérées à tort comme irréversibles, sont pour beaucoup dans la stigmatisation des personnes ayant souffert de troubles mentaux à un moment de leur existence. Ce qui constitue très souvent une cause de rechute chez certains.

Aucun mécanisme de prise en charge n’étant prévu au niveau communautaire, certaines familles, épuisées et désespérées, ne se donnent plus la peine de s’occuper de leurs malades et finissent par baisser les bras.

Conséquence, le spectacle de malades mentaux errants dans les rues, en situation de désocialisation ne gène plus personne car faisant désormais partie intégrante de l’environnement social de nos villes et campagnes.

Pour le Pr. Koumaré, « les malades mentaux sont incapables de se prendre en charge, du fait de la nature même de leur maladie. Leur prise en charge nécessite non seulement l’implication des membres de la famille et de la communauté, mais aussi celle de l’Etat à travers une assistance juridique, matérielle et sociale ». Toutes choses qui exigent une organisation de l’assistance psychiatrique. D’où la nécessité de concevoir et de mettre en œuvre un véritable plan stratégique de promotion de la santé mentale.

Ultime recours des malades

Le service psychiatrique du Point G, qui date de l’époque coloniale, s’occupe de soins, de la prise en charge médicale des malades mentaux, de la formation et de la recherche en santé mentale.

Il dispose actuellement d’un personnel composé de cinq psychiatres, huit infirmiers spécialisés en psychiatrie, un technicien de développement communautaire ou assistant social, quatre techniciens de surface, un psychologue, deux infirmiers de 1er cycle et deux secrétaires.

Le service est divisé en quatre unités de consultation et d’hospitalisation dirigées chacune par un psychiatre. Après l’indépendance du Mali en 1960, la psychiatrie du Point G a été d’abord dirigée par Dr.

Faran Samaké. Après le décès de ce dernier en 1978, le service fut confié successivement à son major, un infirmier d’Etat, puis à un coopérant français du nom de Jean-Pierre Coudré jusqu’en 1981. Depuis 1982, le service psychiatrique du Point G est dirigé par le Pr. Baba Koumaré.
Sidiki Y. Dembélé

Solidarités
* Il y a plus de 20 ans aujourd’hui, qu’une Malienne préférant garder l’anonymat, agit dans l’ombre des malades mentaux. Cette femme, qui ne se présente jamais et qui n’a jamais demandé un centime à l’hôpital, envoie ses proches servir de la nourriture aux malades mentaux du Point G à ses frais chaque vendredi. Un bel exemple de solidarité citoyenne qu’elle refuse d’entourer de publicité et qui ne laisse personne indifférent à l’hôpital du Point G. Elle a posé un acte de solidarité désintéressé qui s’est imposé et est entré dans les habitudes quotidiennes du service psychiatrique.

* Il y a aussi le Lion’s Club Bamako Yeelen qui s’implique fortement dans la prise en charge de malades mentaux à travers l’ergothérapie, une forme de thérapie par le travail tendant à réhabiliter et à revaloriser les malades mentaux. L’ergothérapie est basée sur les activités culinaires à base communautaire. Ainsi, trois cuisines d’appoint sont réalisées à la psychiatrie pour améliorer le repas quotidien des malades, ce qui a permis de réduire le taux de mortalité pour carence alimentaire au service psychiatrique.

* En 2004 le Fonds de la solidarité nationale (FSN) avait choisi comme thème de télé solidarité « la prise en charge des malades mentaux ».

L’objectif de cet événement était de focaliser toutes les attentions sur cette catégorie de malades que la société a tendance à stigmatiser. La cérémonie organisée à cet effet a permis de collecter plus de 13 millions de F CFA pour les malades mentaux de l’hôpital psychiatrique du Point G.

S. Y. D.

Une association d’aide

Créée depuis 1974 par ses promoteurs Dr. Faran Samaké (paix à son âme) et son collaborateur Soriba Dembélé (également décédé), l’Association malienne d’aide aux malades mentales (AMAMM) est une association d’utilité publique à but non lucratif.

Elle regroupe des personnes de bonne volonté intéressées uniquement à trouver une solution qui permette à certains citoyens malades mentaux de se sentir protégés, aimés, aidés et soignés.

Le but de l’AMAMM est la promotion de la santé mentale au Mali. Après le décès de Dr. Faran Samaké, l’AMAMM a connu une longue période de léthargie.

En 1984, les efforts déployés par son successeur, le Pr.
Koumaré, et ses collaborateurs du service psychiatrique ont permis de relancer l’association. L’Association malienne d’aide aux malades mentaux a à son actif plusieurs réalisations, parmi lesquelles :

• un dispensaire médico-psychologique à Hamdallaye dont l’aménagement a été financé par le Plan de parrainage international, • le recensement des tradipraticiens spécialistes en santé mentale, • la mise en œuvre du projet de traitement et de réhabilitation des malades mentaux errants à Bamako avec l’appui financier de Santé- Sud.
L’AMAMM bénéficie également de subventions annuelles de l’Etat à hauteur de 1 500 000 F CFA. Devenue ONG en 1988, l’AMAMM est membre de la Fédération malienne des associations pour la promotion des personnes handicapées (Fémaph).

S. Y. D.

Devenir fou au stade de la production

La vie du jeune Mohamed Lamine Sankaré, Mala pour les intimes, 26 ans, étudiant à la FMPOS, a basculé dans le noir en moins de 30 minutes. Le « drame » s’est produit en juin 2001 au moment où les étudiants de la Faculté de médecine, de pharmacie et d’odonto-stomatologie étaient en pleine révision pour affronter les examens.

Mala alors étudiant en 4e année de médecine était cité parmi les meilleurs de la classe. Nombreux sont les étudiants qui l’approchaient pour avoir des explications sur des cours mal assimilés. Mala était accroché aux cahiers nuit et jour, car son défi était de faire le cycle sans doubler.

Mais c’était sans compter avec le destin qui allait frapper ce lundi de juin.
Aux environs de 14 h, Mala, qui révisait sur un arbre, descendit subitement et commença une course effrénée en scandant « il me suit ». Son camarade de classe qui était à 100 mètres de lui ne comprenant rien a lui aussi pris la poudre d’escampette mais ne parvient pas à mettre la main sur Mala.

Le jeune homme disparut ainsi pendant trois nuits. Les recherches faites par ses parents et amis ont permis de le localiser aux environs de l’aéroport de Bamako-Sénou dans un état lamentable. Tous ses habits étaient en lambeaux et il n’a pas reconnu sa propre mère qu’il s’est mis à insulter père et mère.

Avec l’aide de certains policiers de l’aéroport, il a été maîtrisé et ramené à la maison. Mais c’était peine perdue. La même nuit, il disparut encore. Deux jours après, Mala a été retrouvé à l’EN Sup avec des anciens cahiers, livres et bics et il invitait des étudiants de passage à l’aider à écrire une lettre. Cette fois-ci, ses parents l’ont conduit à l’hôpital psychiatrique du Point G où il reçut des premiers soins.

Ses parents n’ont pas voulu qu’il y reste. « Mon fils ne pouvait pas devenir fou comme cela. Non ! je n’y croyais pas. Mais Dieu est grand et il sait ce qu’il fait. Nous avons fait tout le Bélédougou et avons consulté une centaine de guérisseurs.

Mais rien », nous a confié sa mère.
Au début, Mala était enchaîné dans une chambre isolée de la cour, sa démence s’aggravant jour après jour, ses parents ont été obligés de le libérer et il se promène en ville. « Ce n’est pas un rejet, nous n’avions pas le choix.

C’était la meilleure solution. Nous continuons à le surveiller ses frères et moi, même en ville. Sa mère change constamment ses habits et lui donne à manger. Seulement, on ne le force pas à venir à la maison », a témoigné le père de Mala comme pour confirmer l’adage qui dit que même si ton enfant est un serpent, il faut s’en ceindre la taille.


S. Y. D.

06 juillet 2005