Un jour, trois « bonnes » en causerie, racontaient chacune sa misère quotidienne. La première dit à la seconde que du lever au coucher du soleil et jusqu’à une heure tardive, elle est sur pied. Au départ, poursuit-elle, ma patronne m’avait confiée, comme il ressort de notre contrat, de faire la cuisine, de laver les ustensiles et habits et d’aller au marché, de balayer et de nettoyer la maison. « Mais, on m’a confiée l’entretien des enfants et leur garde. Parfois, je dois accompagner les plus petits au jardin d’enfants. Je n’ai constaté aucune augmentation sur mon salaire », a-t-elle ajouté.
La seconde renchérit en affirmant que cela fait trois mois que sa patronne ne lui paye plus son salaire et pourtant elle travaille du matin au soir sans relâche. La troisième dit qu’elle est obligée de laver des ustensiles pendant que les autres mangent. Je mange le reste du plat des autres sans être sûre d’être rassasiée. Ces témoignages sont évocateurs des difficultés dans lesquelles nos soeurs à Bamako. Leurs récits laissaient apparaître une certaine nostalgie pour le village…. Le souci de chacune d’elles est de pouvoir constituer un « trousseau » consistant afin de retourner au village.
Ce n’était pas la première fois que j’entendais des « domestiques » raconter leur misère. Et je crois qu’il arrive à chacun de nous d’être témoin oculaire de cette misère ne serait-ce que dans sa propre famille. Peu de femmes en réalité accordent de valeur à leurs « bonnes » qui sont pourtant « femmes » comme elles.
Dans notre société, s’il y a des femmes qu’on « utilise » d’une manière inhumaine, ce sont les « bonnes ». Elles sont victimes de toute sorte d’agression tant physique que morale. Ce qui est surprenant, c’est qu’elles le sont par le fait d’autres femmes. Une femme maltraitant une autre femme, à l’heure où cette même femme réclame plus de considération envers l’homme. Que faut-il penser ? Que la lutte pour les droits de la femme ne concerne qu’une minorité ? Est-ce à dire que ce sont les femmes « mondaines » (les « gorobinè ») comme dirait l’autre, qui sont les seules habilitées à réclamer leurs droits ?
On a longtemps pensé également que c’est la femme intellectuelle qui méritait seule d’être défendue et protégée dans la société. Mais on oublie qu’une couche majoritaire est maltraitée. Cette couche est constituée par les femmes rurales, celles qui n’ont pas eu la chance d’aller à l’école et de comprendre les rouages de la vie moderne, les femmes domestiques qui viennent chercher du travail à leurs consoeurs plus aisées de la ville. Dans la plupart des familles, disons que le vrai problème de ces « femmes domestiques » c’est la femme, et surtout la patronne qui décide et contrôle tout. Autrement dit, c’est la maîtresse dompteuse.
A l’occasion des journées de la femme, on constate que pendant que la « patronne » se pare et s’apprête à se rendre aux cérémonies de célébration où vont se tenir de beaux discours sur les droits de la femme, la « bonne », elle, est au four et au moulin à la maison avec parfois comme seule récompense, l’humiliation et le déshonneur. Elle n’est même pas certaine d’être payée à la fin du mois. Et quel salaire encore !
A notre avis, le vrai le débat doit également être porté : la maltraitance de la femme par la femme. Il ne s’agit plus seulement de se battre pour que la femme occupe un poste au sein d’un gouvernement, soit élue présidente d’une institution, association ou ONG, mais de se battre aussi pour « toutes les femmes » à quelque niveau social qu’elles se trouvent.
Aimé RODRIGUE
15 Mars 2005