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Les médecins du centre hospitalo-universitaire, Gabriel Touré observent depuis hier un arrêt de travail. Ils protestent contre l’arrestation de leurs collègues le Dr Mohamed Keïta, maître assistant au service ORL et Mme Dembélé Salimata Dao, assistante anesthésiste au service de réanimation. Ceux-ci ont été arrêtés et déférés pour avoir été impliqués dans une prise en charge qui a tourné au drame, celle de Me Touré Aïda Niaré, avocate au barreau. Cette patiente évacuée sur la France dans un avion médicalisé est finalement décédée.

Comment en est-on arrivé là ?

Me Touré Aïda Niaré aurait avalé une noix de kola qui se serait bloquée au niveau de son œsophage. Elle s’est ainsi rendue le dimanche 22 juillet à la clinique « Aldi » où elle a été examinée par le Dr Mohamed Keïta. Celui-ci lui aurait proposé une hospitalisation à Gabriel Touré pour une meilleure prise en charge.

Il ressort du rapport circonstanciel adressé à la direction de l’hôpital par les services en cause que la patiente a récusé non seulement cette proposition, mais aussi celle de recevoir un traitement basé sur des antispasmodiques (qui relaxent le malade et permettent dans certaines situations de faciliter le passage de l’objet bloqué).

ARRÊT CARDIAQUE :

Mohamed Keïta lui a alors prescrit quatre ampoules de spasfon à administrer à raison de deux ampoules dans un intervalle de 4 heures. Mais quelque temps après, un parent de Mme Touré Aïda Niaré, alerta le médecin de la dégradation de l’état de la patiente et lui annonça que la proposition d’hospitalisation était acceptée. Des dispositions furent prises pour accueillir la malade qui devait subir une intervention. C’est là que le médecin fit appel à l’assistante anesthésiste, Mme Dembélé Salimata Dao.

Mais dès les premières doses d’anesthésie, l’avocate a fait un arrêt cardiaque. Le cœur de la patiente reprit l’activité par la suite mais dans un état qui ne lui permettait pas de subir une intervention chirurgicale. Elle fut transférée dans le service de soins intensifs, c’est-à-dire de réanimation pour adultes.

Préoccupé par l’état de son épouse, le mari de Aïda Niaré qui travaille dans le système des Nations unies a décidé de faire transporter son épouse en France. Celle-ci fut préparée par l’équipe de réanimation pour effectuer le voyage. Malheureusement, Me Aïda Niaré décédera dans l’Hexagone.

Le directeur général adjoint de l’hôpital Gabriel Touré, le Dr Youssouf Konaté, estime qu’il n’y a pas eu faute professionnelle parce que des médicaments courants ont été utilisés et à doses habituelles. Il relève par ailleurs que dans une telle situation, il est difficile de cerner tous les paramètres.

Youssouf Konaté se fait aussi l’écho du point de vue des médecins, notamment des anesthésistes, qui s’estiment en insécurité dans l’exercice de leur fonction. Ceux-ci expliquent que ce sont eux qui passent toute leur vie à endormir et à réveiller des malades, s’ils doivent donc être emprisonnés pour des accidents, autant arrêter d’officier.

Selon la direction de l’hôpital, les agents impliqués dans la prise en charge de Mme Aïda Niaré ont été entendus dans un premier temps par les éléments du commissaire divisionnaire Balla Traoré du 1er Arrondissement. Quelques jours après, les deux agents ont été à nouveau convoqués. Le directeur adjoint de l’hôpital explique que sans l’implication personnelle du directeur de l’hôpital, le Pr Sinè Bayo, on les aurait gardés à vue.

Nous avons également rencontré le commissaire divisionnaire Balla Traoré qui a tenu à lever toute équivoque, en expliquant que si les directions régionale et nationale de la police, le ministère de la Sécurité intérieure et de la Protection civile restent la hiérarchie de la police, sur le plan de la procédure pénale, celle-ci relève de la justice dont la police reste un auxiliaire.

LIBERATION SANS CONDITION :

Il explique que le commissariat de police qu’il commande a reçu un « soit transmis » en date du premier août pour ouvrir une enquête préliminaire sur l’affaire en question. « Nous avons auditionné tous ceux qui sont concernés dans cette affaire surtout de près. Nous avons entendu les deux agents tout comme le médecin colonel Abdoulaye Diallo, le chef du service de réanimation et avons dressé procès-verbal qui a été transmis à qui de droit« , explique Balla Traoré.

Balla Traoré rapporte avoir, par la suite, reçu deux convocations avec accusé de réception (c’est-à-dire que les personnes convoquées ont signé pour attester avoir réceptionné la convocation) leur demandant de se présenter chez le juge d’instruction Ibrahim Berthé du 4è cabinet au tribunal de la Commune III qui a décidé de la suite à donner à l’affaire. Le commissaire divisionnaire précise qu’en sa qualité d’officier de police judiciaire, il pouvait lui-même ouvrir une enquête à son initiative personnelle.

Le médecin et l’infirmière ont été par la suite déférés à la prison centrale. Ce développement a provoqué la colère du reste du personnel qui réclame la libération sans condition des collègues arrêtés. Le personnel qui observe une grève n’entend pas reprendre le service tant qu’ils ne seront pas relaxés. L’assemblée générale du syndicat des travailleurs tenue hier avait décidé de ne même pas observer le service minimum.

La situation était très calme hier à l’hôpital Gabriel Touré. Les box de consultations générales ou spécialisées qui ne désemplissent pas habituellement, étaient exceptionnellement vides. Les premiers malades qui avaient payé les tickets de consultation ont été surpris par l’arrêt de travail des médecins et ne pouvaient se faire consulter. Mais finalement sur instance de la direction générale, ceux d’entre eux qui étaient restés à attendre furent examinés.

Dans un premier temps, on apprenait que certaines structures publiques et des cliniques suivaient le mouvement par solidarité. Mais nous avons fait un tour au centre hospitalo-universitaire du Point G. Ici, les médecins continuaient de consulter et de soigner les malades. Charles Fau, le directeur général de cet établissement, a confirmé que tout le personnel était au travail.

L’incarcération des agents de la santé réveille un débat toujours pollué par le corporatisme ou les procès d’intention, celui de la responsabilité du personnel de santé. La société, les pouvoirs publics et les professionnels ne pourront éluder éternellement le problème. Si la question n’est pas étudiée dans un climat apaisé, elle s’imposera dans un cadre passionnel. Comme en ce moment.

B. DOUMBIA- L’Essor


09 août 2007.