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Guillaume Soro, Premier ministre d’Alassane Ouattara est toujours reclus à l’Hôtel du Golf. Le chef de l’ex-rébellion répond aux questions de notre envoyé spécial en Côte d’Ivoire. Il revient sur l’allocution télévisée de Laurent Gbagbo et sur les moyens qui doivent être mis en œuvre pour installer concrètement Alassane Ouattara dans le fauteuil présidentiel.

RFI : Laurent Gbagbo, lors d’une allocution télévisée, a proposé un dialogue à Alassane Ouattara. Que répondez-vous ?

jpg_soro-4.jpgGuillaume Soro : Le postulat de Laurent Gbagbo est faux. Monsieur Gbagbo n’est plus président de la République de Côte d’Ivoire. Monsieur Gbagbo a été battu aux élections le 28 novembre 2010. Partant de là, monsieur Gbagbo n’a plus rien à dire. Quand on ajoute à ça, à ce faux postulat, les tueries et les massacres dans les quartiers de populations innocentes, des tueries à caractère ethnique où des populations sont extirpées de leur domicile, ce que la Côte d’Ivoire profonde attend de monsieur Gbagbo, c’est qu’il parte du pouvoir.

RFI : Mais êtes-vous prêt à dialoguer avec lui ?

G.S. : Je vous répète qu’on ne peut pas dialoguer avec quelqu’un qui, face à des populations civiles aux mains nues, sort des chars. Autant l’Europe n’a pas discuté avec Hitler, autant les Ivoiriens ne peuvent pas discuter avec un dictateur. Ce n’est pas acceptable. Donc nous ne voulons pas venir dans les détails de ce discours, nous disons que monsieur Gbagbo doit quitter le pouvoir.

RFI : L’idée d’un comité d’experts dirigé par l’Union africaine n’est pas acceptable pour vous ?

G.S. : Il n’en est pas question. Le même Gbagbo Laurent qui demande aux jeunes patriotes de chasser les Nations unies, de chasser les Français, ne peut pas, dans un même discours, faire appel à ces puissances internationales. Donc nous disons que le discours est faux et que nous ne pouvons pas nous laisser embarquer. Monsieur Gbagbo doit partir du pouvoir.

RFI : A quelle échéance ?

G.S. : Le plus rapidement possible. Il n’y a même plus de délai à accorder à monsieur Gbagbo, parce que plus le temps passe, plus les morts s’accumulent et la situation devient de plus en plus délétère et inacceptable.

RFI : Vous dites « Laurent Gbagbo doit partir ». Mais de quels moyens disposez-vous pour le faire partir ?

G.S. : De toutes les façons, il est clair pour nous que nous avons déjà lancé un appel aux Ivoiriens. Depuis les campements, les villages, les villes, les Ivoiriens doivent s’organiser de quelque façon que ce soit pour résister à la dictature.

RFI : Est-ce que l’option militaire est pour vous aujourd’hui une option pour faire partir Laurent Gbagbo ?

G.S. : En ce qui me concerne, après la mobilisation de la communauté internationale par les sanctions, le soutien à monsieur Alassane Ouattara, nous tous nous devons convenir que seule l’utilisation de la force peut déloger monsieur Gbagbo du pouvoir. D’ailleurs, le Premier ministre kenyan l’a proposé et j’en conviens avec lui. De toutes les façons, ce ne sera pas la première fois que la Cédéao (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest) a pris des mesures pour déloger des dictateurs du pouvoir et que même l’Union africaine a pris des mesures pour déloger des dictateurs au pouvoir.

RFI : Donc vous demandez clairement aujourd’hui à la Cédéao d’envoyer une force pour déloger Laurent Gbagbo ?

G.S. : Je demande à tous les démocrates à commencer par l’ONU, l’Union européenne, l’Union africaine, la Cédéao, de clairement envisager l’option de la force pour contraindre un dictateur qui, je le répète, a déjà tué deux cents Ivoiriens par des mercenaires libériens.

RFI : Est-ce que les forces armées des Forces nouvelles pourraient passer à l’action ?

G.S. : Dans le cadre du droit international, s’il était acquis d’utiliser la force, évidemment les forces armées des Forces nouvelles se joindraient à ça.

RFI : Aujourd’hui vous vivez reclus à l’hôtel du Golf avec votre gouvernement, avec monsieur Alassane Ouattara. Est-ce que vous pensez avoir encore une prise sur les évènements puisque à Abidjan, c’est Laurent Gbagbo qui est aux commandes ?

G.S. : Bien sûr, vous pouvez affirmer que Laurent Gbagbo est aux commandes. Evidemment, on est toujours courageux et brave quand on a les chars de l’Etat de Côte d’Ivoire. Qu’il rende ses chars et il verra qui est majoritaire à Abidjan. Le vrai problème, c’est que face à la dictature, le peuple n’a pas d’autre choix que la révolte. Et nous avons demandé aux Ivoiriens de s’organiser, de se mobiliser et de manifester, je dis bien, par tous les moyens.

RFI : Vous ne craignez pas que ça provoque un bain de sang ?

G.S. : Evidemment, le bain de sang est toujours provoqué par celui qui donne ordre à des mercenaires libériens de tirer sur une foule aux mains nues. Evidemment, le sang a déjà coulé du fait de monsieur Gbagbo et le sang continuera de couler du fait de monsieur Gbagbo. Plus vite la communauté internationale, la Cédéao, l’Union africaine, se feront à l’idée qu’il faut rapidement déloger monsieur Gbagbo du pouvoir, plus nous pourrons alors faire une économie de vies humaines dans notre pays.

RFI : Vous avez encore confiance en la victoire ?

G.S. : Il n’y a pas de raison. Quelqu’un qui est condamné par la Cédéao, quelqu’un qui est condamné par l’Union africaine, l’Union européenne et l’ONU, sa vie au pouvoir ne peut qu’être comptée en termes de jours et de semaines.

RFI : Laurent Gbagbo vous a dit que vous pouviez maintenant sortir librement de l’hôtel du Golf ? Allez-vous sortir de l’hôtel du Golf ?

G.S. : Je vous retourne la question : vous journalistes, avez-vous pu par voie normale rejoindre l’hôtel du Golf ? [pour réaliser cette interview notre envoyé spécial a dû se rendre sur place à bord d’un hélicoptère de l’ONU]

Cyrille Bensimon

24 Décembre 2010, article publié par RFI