Ces mesures draconiennes tendent à restaurer l’autorité de l’Etat foulée au pied par des supporteurs surexcités. Pourquoi le président de la République n’a pas tergiversé une seconde à débarquer ses proches ? Quelle piste l’enquête en cours doit-elle privilégier ? La piste islamiste ? La piste politicienne ? Et si les manifestants avaient agi uniquement sous le coup de la déception et de l’énervement ? La déception et l’énervement justifient-ils les casses ?
L’enjeu politique
Le dossier du match Mali-Togo comporte, faut-il le souligner, un enjeu politique important. En effet, lors de la campagne électorale de 2002, le candidat ATT s’était, on se le rappelle, engagé dans son programme de gouvernement à restaurer l’autorité de l’Etat. Cette restauration de l’autorité de l’Etat était d’autant plus nécessaire que l’Etat a été depuis la révolution du 26 Mars démystifié.
La chute de la dictature a enhardi les citoyens dans leurs rapports avec les autorités de telle sorte que l’Etat n’est plus craint comme par le passé. L’ex-président Alpha Oumar Konaré s’est buté à ce problème tout au long de ses deux mandats. Le peuple malien était-il mûr pour la démocratie ? Dans un pays qui a passé plus de 20 ans sous le régime dictatorial, l’enfance de la démocratie est toujours difficile à gérer.
Dans l’imaginaire populaire, la démocratie est devenue synonyme d’anarchie. Se croyant tout permis, le citoyen oublie totalement ses obligations pour se rabattre uniquement sur ses droits. La démocratie exige, disait Jean Jacques Rousseau, tant de vertus, qu’elle ne convient qu’à un peuple de Dieu.
Le peuple malien est-il un peuple de Dieu ? On ne saurait le dire car l’incivisme s’est, depuis l’avènement de la démocratie dans notre pays, érigé en règle de conduite. Ce passage de la dictature à la démocratie a fait que l’Etat a aujourd’hui considérablement perdu de son autorité, le pouvoir ne faisant plus peur aux citoyens.
C’est dans le contexte d’effritement de l’autorité de l’Etat que l’actuel président a accédé au pouvoir. Celui-ci se devait de redonner à l’Etat toute son autorité et de mettre fin au règne de l’impunité. Il s’agissait pour lui de pallier cette faille du régime ADEMA et de tenir du coup sa promesse électorale. Le respect de cet engagement électoral est d’autant plus important que nous sommes à l’heure du positionnement pour 2007. Et voilà que l’autorité de l’Etat est sérieusement contestée par les casses du match Mali-Togo.
Dans de telles circonstances, la réaction du chef de l’Etat ne pouvait pas attendre. Il s’agissait pour lui de sanctionner avec la dernière rigueur ces actes de vandalisme difficilement rattachables au seul cadre sportif afin de prouver à l’opinion nationale et internationale que le pays n’est pas ingouverné. Dans cette perspective, Koulouba n’a pas hésité à sacrifier ses proches sur l’autel de la sécurité des biens et des personnes.
En effet, le limogeage des responsables des trois services de renseignement que sont la police, la gendarmerie et la sécurité d’Etat se justifie par leur inefficacité et leur manque d’anticipation. Une intervention rapide des forces de sécurité aurait certainement permis de limiter les dégâts. Mais celles-ci ont plutôt brillé par une intervention tardive voire par leur absence. Que cache cette léthargie des trois services de renseignement ?
Ont-ils voulu éviter un affrontement sanglant avec les manifestants ? C’est vrai qu’une intervention musclée des forces de l’ordre aurait pu entraîner un bain de sang. Mais cela justifie-t-il leur attitude passive ? Comment se fait-il que les trois services de renseignement se soient abstenus d’intervenir ? Les manifestants ont-ils agi spontanément ou ont-ils été utilisés contre le régime en place ? Autant de questions récurrentes que l’enquête diligentée se devra de répondre.
La piste politicienne ?
L’ampleur des dégâts causés dans la nuit du dimanche 27 au lundi 28 mars a amené plus d’un compatriote à s’interroger sur les mobiles réels des manifestants. L’attitude de ces derniers est d’autant plus incompréhensible qu’ils ne se sont pas limités à s’attaquer aux symboles de l’Etat et aux édifices publics. Des privés ont vu leurs biens saccagés et les supporteurs vandales sont allés jusqu’à s’en prendre à de simples passants comme s’ils voulaient rééditer le scénario de la révolution du 26 mars.
En effet, l’espace d’une nuit, les citoyens ont failli croire que l’histoire allait se répéter un jour après l’anniversaire de la révolution du 26 mars. Jamais on n’a assisté à des actes d’une telle violence dans l’histoire de notre football roi. Cette situation inédite a amené certains à se retourner vers les politiques. Pour eux, les actes de vandalisme perpétrés dans la nuit du 27 mars trouvent leur explication dans les manoeuvres politiciennes.
Ces actes interviennent en effet dans un contexte de remise en cause du consensus politique. Ce qui rend l’hypothèse quelque peu plausible. Il est vrai que tout n’est pas rose entre l’actuel président de la République et la classe politique. Mais de là à croire qu’il existe des forces politiques hostiles au chef de l’Etat et qui chercheraient à ternir son image, il y a un pas que d’aucuns n’ont pas hésité à franchir.
Mais nous ne sommes pas, reconnaissons-le, à l’heure de l’opposition virulente comme ce fut le cas sous le régime ADEMA. Les partis politiques, y compris ceux soupçonnés d’être à couteaux tirés avec Koulouba, ont à tour de rôle condamné les actes de vandalisme du 27 mars et ont exhorté les autorités à rechercher et à punir les coupables conformément à la loi. Toute chose qui rend la piste politicienne difficilement envisageable.
Par ailleurs, mettre en avant une telle piste serait dangereux pour la stabilité politique actuelle. Car il risque de déboucher sur un tiraillement entre partis politiques dits proches du président de la République et partis qui ne sont pas en très bons termes avec lui.
La piste islamiste ?
Le fait que les vandales aient eu le plus souvent pour cibles les bars-restaurants a donné lieu à des interprétations islamistes. On se rappelle que lors de la fête de Tabaski de 2003, des musulmans exaspérés par un bar qui diffusait de la musique à fond au moment de la prière à Magnambougou, s’en sont, après l’accomplissement de leur devoir religieux, pris à tous les bars environnants.
Des prostituées avaient été battues à sang et les bars qui se trouvent au bord du goudron saccagés. Mais si les musulmans avaient agi ainsi, c’est parce qu’ils avaient été dérangés dans l’accomplissement de leur devoir religieux. D’où leur colère et leur indignation.
Ce qui s’est passé dans la nuit du 27 mars dernier ne ressemble en rien à cet épisode précédent. Le football est loin d’être une affaire de musulmans. L’islam est certes hostile à la prolifération des bars dans la capitale, mais il n’a jamais lancé une expédition punitive contre ces lieux peu recommandables.
Malgré tout, d’aucuns feront le rapprochement entre les casses du match Mali-Togo et les casses de Tabaski 2003. Ces accusations sans fondement sont de nature à ternir l’image de la communauté musulmane et à préparer le terrain à une guerre entre les religions dans notre pays.
Et si les manifestants avaient agi spontanément ? En tout cas, aucune piste n’est à négliger pour la manifestation de la vérité. Seulement, il faut éviter les amalgames compromettants comme l’a souligné l’US-RDA pour ne pas mener le pays au bord d’une crise politique ou religieuse. Attendons patiemment les résultats de l’enquête en cours.
Samou KONE
4 Avril 2005