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Le Reflet : Quelles étaient vos ambitions en acceptant la responsabilité de diriger le ministère de la Communication et des Nouvelles technologies ?

Gaoussou Drabo : Mon ambition est de combler au mieux les attentes dans ces domaines. Le domaine de la communication m’était déjà assez familier. J’avais aussi eu la chance de suivre le secteur des Télécommunications lors des conseils de cabinet du département de la Communication. Les Nouvelles technologies constituent aussi pour moi un domaine très nouveau et très ouvert, mais à peine exploré.

-Quels sont les défis immédiats auxquels vous devez faire face ?

G.D : J’essaie de faire de mon mieux en sachant qu’il y avait une très forte attente de la part de mes collègues de la presse. Au niveau des Télécommunications, il s’agit aujourd’hui de mener à bien la privatisation de la SOTELMA et faire face à la coexistence de deux opérateurs de téléphonie dans l’espace malien. Au niveau des Nouvelles technologies, le principal défi est celui de la vulgarisation. Il s’agit surtout d’amener les populations à percevoir ces technologies de l’information et de la communication comme des outils de développement et non de simples gadgets.

-A propos des N TIC, la seconde phase du Sommet sur la Société de l’information a eu lieu en novembre 2005 à Tunis. Qu’est-ce que le Mali a tiré de sa participation de cette rencontre ?

G.D :Au-delà de l’affirmation politique consistant à affirmer nos positions lors des plénières, il y a un aspect très important. Il s’agit des contacts que nous pouvons nouer avec divers acteurs. Le sommet a été très intéressant de ce côté parce que nous avions un stand à Tunis. Cet espace a regroupé l’Etat, à travers l’AGETIC, le secteur privé et la société civile qui sont venus exposer leurs produits et partager leurs expériences avec d’autres. C’est un stand qui a attiré l’attention et qui a permis à chacun des exposants d’avoir des contacts très utiles dans le domaine qui l’intéresse. Notre participation a aussi permis au département de prolonger le traitement de certains dossiers avec des ONG désireuses d’intervenir dans les domaines des nouvelles technologies et aussi de prolonger les discussions avec d’autres partenaires techniques qui sont intéressés à intervenir dans le secteur des Télécommunications.

-Qu’est-ce que le Mali peut tirer de la société de l’information et que peut-il apporter à celle-ci ?

G.D : Le profit tourne autour de certains aspects essentiels. Il s’agit d’abord de l’institution d’une solidarité autour de l’implantation des Nouvelles technologies dans les pays en développement. C’était un plaidoyer difficile parce qu’un certain nombre de partenaires au développement ne voulaient pas accepter que les NTIC soient spécifiquement traitées comme un domaine à part. Ils voulaient qu’elles soient confondues avec des secteurs comme l’Agriculture. La victoire, c’est d’avoir réussi à faire traiter spécifiquement le fossé numérique. Et cela pas en tant que slogan politique, mais parce que les NTIC accompagnent tellement le développement et lui offrent tellement de raccourcis que si nous ne traitons pas spécifiquement le fossé numérique les autres écarts vont s’élargir. Cela est un gain de tout un groupe de pays émergents comme le Mali d’avoir obtenu que la fracture numérique soit traitée en tant que telle. Tout comme la création d’un fonds de solidarité numérique. Et que, au-delà de celui-ci, qu’il y ait un traitement plus accentué de la réduction du fossé numérique.
En retour, nous apportons à la société de l’information notre expertise très appréciable. Le Mali assurait la présidence du groupe des experts africains installé depuis 2002 à Bamako. Celui-ci a apporté son expertise technique aux analyses politiques faites par les ministres et les Chefs d’Etat. Au-delà de la solidarité numérique, la position africaine a été de qualité dans l’examen d’autres questions importantes comme la gouvernance de l’Internet grâce au bureau de Bamako présidé par un Malien (Mamadou Iam Diallo, Conseiller technique au département, NDLR) dont l’autorité et surtout l’abnégation ont été reconnues par tout le monde. De point de vue image et de la qualité des contributions nous avons apporté notre modeste pierre.

-La privatisation de la Sotelma est au cœur des débats sur la libéralisation du secteur des Télécommunications. Où en êtes vous avec ce processus ?

G.D : Le processus est en cours. Il devait être lancé par une lettre d’orientation qui a été adoptée par le gouvernement l’an dernier. Le processus consistait tout d’abord à recruter une banque d’affaires qui doit l’exécuter…

-Qu’elle est cette banque?

G.D : Le dossier est pour le moment confidentiel car il a été fait sur avis d’appel d’offres. Nous sommes à l’étape du dépouillement qui, malheureusement, traîne un peu parce qu’il y a un échange Mali-Banque mondiale. C’est-à-dire que nous traitons le dossier et nous communiquons nos conclusions à la BM qui, si elle a des réserves ou des remarques, nous le fait savoir à son tour. Soit nous prenons en compte ces remarques soit nous restons sur notre position. Nous avons terminé le dépouillement et le traitement des offres techniques, mais nous avons quelques points de discussion avec la Banque mondiale. J’espère que cela va être vite résolu pour que nous fassions face au traitement des offres financières. C’est en ce moment que nous pourrons donner le nom de la banque d’affaires choisie et le processus va entrer dans sa phase déterminante.

-Qu’est-ce que cette privatisation va changer dans le secteur des télécommunications au Mali ?

G.D : Notre souhait, et nous l’avons mentionné dans la lettre d’orientation, est d’avoir un partenaire stratégique sérieux. Il doit être spécialisé dans le secteur ou avoir les télécommunications comme activité majeure. Nous voulons ainsi éviter que le repreneur soit quelqu’un de très loin du secteur. Cela est une garantie pour avoir un partenaire doté d’une réelle capacité d’investissement permettant à la Sotelma de passer à un pallier supérieur par rapport à ce qu’elle fait actuellement. C’est cela notre attente majeure car permettant de renforcer d’abord la couverture du pays et d’exercer une concurrence encore plus accentuée entre les deux opérateurs qui profitera inévitablement aux consommateurs.

-En dehors du choix d’un partenaire stratégique sérieux, quelle garantie pouvez-vous donner aux travailleurs voire aux Maliens que la Sotelma ne sera pas bradée comme l’ont été certaines entreprises du pays ?

G.D : Nous essayons de tirer les leçons des différents processus de privatisation, notamment celui de l’Energie du Mali. Nous avions effectivement le même calcul qu’il y ait un apport substantiel d’investissement qui permette d’améliorer le réseau, donc les services. C’est pourquoi nous avons élaboré la lettre d’orientation et des termes de références du recrutement de la banque d’affaires avec beaucoup de soins. Et nous allons soigneusement suivre aussi la banque d’affaires dans l’exécution de ses taches. Elle est l’exécutant technique, mais la supervision politique sera toujours là pour veiller au respect des intérêts de la nation.

-Malgré une floraison de titres et de radios de proximités, la presse malienne continue de briller par son manque de professionnalisme. Qu’envisagez-vous pour remédier à cette situation ?

G.D : Je crois qu’il y a un processus de décantation inévitable. On l’a constaté même en Europe et ailleurs, après la seconde guerre mondiale, il y a eu une floraison de titres. On constate aujourd’hui le même phénomène un peu partout dans le monde. C’est le public qui va départager les uns et les autres en se reconcentrant sur les titres qu’il juge les plus intéressants et en se déportant aussi sur les radios qui brillent par la qualité de leurs programmes. C’est à partir de cet intérêt du public que la décantation va se faire. Je pense que cela est en train de se faire au niveau de la presse écrite depuis 1992. Le noyau qui va rester sera confronté au défi de la professionnalisation qui n’est pas un challenge facile compte tenu des difficultés financières. Mais, c’est un défi incontournable parce qu’il en dépend la survie des journaux. Il est maintenant souhaitable que l’Etat comme d’autres partenaires contribuent à la relève de ce challenge. Pour ce qui est de la radio, il faut souligner que l’explosion n’est pas encore terminée parce que l’Etat a opté pour le défi de la responsabilité. Dans chacune de nos communes il y a au moins 3 fréquences libres. C’est dire que les radios de proximité ont encore une marge d’implantation. Mais, il ne faut se cacher la face, il faut que cette floraison soit accompagnée par la qualité. Lors de mes déplacements à l’intérieur du pays, je constate qu’il y a un réel dévouement pour le fonctionnement des radios et une volonté de se perfectionner. A partir de ces éléments de base, le département se fera un devoir d’accompagner cette volonté des radios de mieux exister. En ce moment, le chiffre ne sera plus un handicap, mais un réconfort parce qu’on saura que, partout sur le territoire malien, l’information de proximité est bien cernée et bien gérée.

-D’aucuns pensent que l’élaboration et la mise en œuvre d’une Convention collective peut améliorer la situation. Etes-vous pour une telle Convention ?

G.D : Je suis pour car, en tant que journaliste, elle représente la sécurité pour moi. Mais, il ne faut pas se cacher la réalité. Partout dans le monde, la Convention est une contrainte imposée aux patrons de presse par la pression des différentes corporations d’hommes et de femmes de presse. Ce n’est jamais une contrainte acceptée de gaieté de cœur. Au Mali, nous ne sommes même pas au stade de la signature. Il y a encore beaucoup de lobbying et d’échanges à faire pour que les patrons de presse et les journalistes parlent le même langage. Une fois que la Convention sera signée, il y a une seconde bataille pour son application. Je tiens donc à dire aux confrères que notre souhait à tous est que la Convention soit signée et appliquée. Mais, c’est une longue bataille partout dans le monde. Même les remous qui secouent souvent les grandes télévisions occidentales sont liés au fait qu’il y a des agents bénévoles qui y ont travaillé pendant des années dans la précarité et qui, un moment, se révoltent pour bénéficier des avantages de la Convention. C’est un long combat, mais qui mérite d’être mené.

-Notre constat est qu’il n’y a pas encore une vraie entreprise de presse au Mali. Qu’envisage le département pour changer la donne dans ce domaine ?

G.D : Je serais moins sévère que vous parce que je trouve qu’il y a quelques entreprises de presse même si elles doivent encore faire des efforts pour percer. Notre travail consiste à poser le diagnostic depuis l’année dernière. Avec l’accord du Premier ministre, nous avons réalisé une étude, par le cabinet Koni expertise, sur la manière dont marchent les entreprises de presse aussi bien au niveau des journaux que de l’audiovisuel. Cette étude a été menée aussi bien à Bamako, qui est un cas particulier, que sur l’ensemble du territoire national. Nous avons eu un document extrêmement intéressant que nous allons partager bientôt avec les associations. Il donne des vérités pas toujours faciles à constater, mais c’est un document assez instructif pour quelqu’un qui veut monter une entreprise de presse. Si le diagnostic est accepté par les associations, on peut, avec le soutien du département et d’autres partenaires, aider ceux qui veulent monter des entreprises de presse. Mais, il faut au préalable que ce diagnostic soit partagé par tous.

-Beaucoup de promoteurs contestent la méthode actuelle de répartition de l’aide à la presse. Peut-on s’attendre à une nouvelle formule ?

G.D : Je ne suis pas moi non plus personnellement satisfait par la formule actuelle de répartition de l’aide à la presse. Mais, je ne peux pas vous promettre une autre grille sans concertation avec les autres parties prenantes. Le décret n’est pas à remettre en cause. C’est plutôt la grille de répartition qui doit prendre en compte les réalités de fonctionnement des organes de presse. Elle doit être plus attentive à l’existence et à l’activité de vrais radios et journaux qui font l’effort de la régularité. Ceux qui se dévouent pour exister doivent être privilégiés. Le département va rencontrer toutes les parties prenantes avant la prochaine répartition de l’aide à la presse. En plus du département, les associations professionnelles et le Conseil supérieur de la communication siège au sein de la commission. Nous devons parler le même langage face à ce constat d’insatisfaction.

-Ne pensez vous pas qu’au lieu de donner l’argent directement aux promoteurs qu’il faut l’investir dans la formation des journalistes ou dans l’achat d’une imprimerie avec une centrale d’achat ?

G.D : Il y a certaines actions que le gouvernement peut mener seul. Par exemple, c’est de notre responsabilité de chercher de plus de fonds pour la formation des journalistes. C’est notre devoir ! Mais, pour ce qui est de certaines initiatives comme la centrale d’achat ou l’implantation d’une imprimerie, elles ne découlent pas de décisions administratives. Ce sont des décisions de participation collective. Il faut par exemple qu’il y ait un groupe de journaux qui soit intéressé à l’acquisition d’une imprimerie qui va servir selon un mode commercial bien précis. Tout comme il faut qu’il y ait des entreprises de presse, journaux et radios, qui soient intéressées à la constitution d’une centrale d’achat pour s’approvisionner à des prix plus intéressants en consommables et en équipements. Le ministère ne peut pas être plus dirigiste ou plus volontariste. C’est aux organes et aux associations de déterminer ce genre de besoins et le département va voir comment les appuyer dans cette démarche. Récemment, l’ASSEP (Association des éditeurs de presse privée) nous avait approchés pour manifester son souhait de mettre en place un système de messagerie. Nous avons dégagé des fonds pour cela. Nous attendons seulement que l’ASSEP définisse une méthode de travail pour que nous mettions ces fonds à sa disposition.

Propos recueillis par
Moussa Bolly

24 janvier 2006.