Consciente de sa mission de conseillère auprès des autorités publiques dans la recherche de la paix, de la quiétude au bénéfice de toute la nation, l’Association des Groupements d’Eglises et Missions Protestantes Evangéliques au Mali (AGEMPEM) sort de sa réserve en brandissant ses réflexions sur la crise scolaire qui sévit depuis déjà plusieurs décennies dans notre pays.
Il s’agit notamment, selon cette association, d’une crise successorale de perturbations plus ou moins marquées tant dans ses manifestations que dans la durée. Ces perturbations ont touché toutes les composantes de notre système scolaire et en ont affecté sa qualité et sa crédibilité.
En effet, l’AGEMPEM a fait un diagnostic sans complaisance dont les réflexions ont porté sur quatre points essentiels.
Il faut noter ici, les manifestations, les causes et les conséquences de la crise, assorti de propositions de sortie définitive de crise. Voilà que ces réflexions sont les bienvenues à quelques jours seulement de l’ouverture officielle du forum national sur l’éducation.
Les manifestations de la crise
Selon l’AGEMPEM, la crise scolaire et universitaire est universelle. Elle est ainsi liée à la nature même et à la vocation de l’espace scolaire et universitaire. Celui-ci est un lieu de bouillonnement intellectuel et idéologique où se développe un esprit critique entraînant une mise en cause des pratiques et des systèmes établis.
Sans ambage, ni murmure, cette association a affirmé que la crise de l’école malienne se manifeste de plusieurs facettes : les sorties intempestives des élèves et étudiants, les grèves à répétition des enseignants dans tous les ordres d’enseignement parfois sans motif valable. Aussi, en violation avec les textes, les enseignants s’adonnent à la rétention des notes et ou au refus d’évaluer les élèves et étudiants.
Notre école est émaillée de la généralisation de la fraude et de la corruption, la violation des principes de la laïcité de l’Etat au niveau de l’espace scolaire et universitaire.
A côté d’ailleurs de ceux-ci, il est constaté la recrudescence des agressions physiques et ou verbales du personnel enseignant par les élèves et étudiants, de l’insuffisance quantitative et qualitative d’enseignants. C’est cela le tableau sombre de l’école malienne d’après l’AGEMPEM.
Les causes de la crise
Au regard même de la complexité de la nature de l’école, cette association pense que les causes qui gangrènent l’école, sont complexes et multiples. Tous les maux sociaux y convergent.
Car l’école n’est qu’une représentation réduite de la société dans toutes ses composantes. Elle a identifié quatre causes principales notamment sociales, pédagogiques, économiques et politiques.
Les causes sociales
Concernant les causes sociales, aujourd’hui, nous assistons de jour en jour à l’effritement des valeurs sociales au su et au vu de tout le monde. Toute chose qui se voit notamment dans la perte de l’autorité parentale, la méconnaissance et le mépris des valeurs de civisme, de l’honneur, de la dignité, du travail et du respect.
Ainsi, l’enseignement de l’éducation civique et morale n’aura un impact que s’il est soutenu par un environnement familial responsable. Pour les Chrétiens Evangéliques, il ne fait aucun doute que l’éducation d’une personne commence depuis son bas âge.
La Bible dans ses passages 22 : 6 dit : “Oriente le jeune garçon sur la voie qu’il doit suivre ; même quand il sera vieux, il ne s’en écartera pas”. En outre, il existe constamment la crise de confiance entre les syndicats d’enseignants et les pouvoirs publics.
Les causes pédagogiques
Quant aux causes pédagogiques, elles se manifestent par le non respect de la législation scolaire : à l’école, les rôles semblent inversés. Les apprenants ont pris de l’ascendant sur l’administration scolaire. Ils modifient à leur guise les calendriers scolaires. Les principes élémentaires de morale et de civisme ne sont pas respectés.
Tout cela devant le regard impuissant ou complaisant de l’administration scolaire. Ce qui encourage les enseignants, les élèves et étudiants et même les parents d’élèves à s’impliquer davantage dans le réseau de la fraude et de la corruption à l’école. Ce sont les signes révélateurs de l’état de santé de notre société. Les injustices au niveau des résultats alimentent les tensions.
Les causes économiques
La pauvreté frappe plus de la moitié de la population qui vit essentiellement en milieu rural. La plupart des élèves et étudiants issus de ces familles pauvres vivent et étudient dans des conditions difficiles. L’enveloppe des bourses exige une sélection rigoureuse. Plusieurs abandonnent les études ou sont tout simplement renvoyés pour résultats insuffisants.
La pauvreté, les inégalités sociales et les frustrations qui en découlent, poussent à des comportements extrêmes. En effet, les enseignants eux-mêmes n’échappent pas à cette situation. Ceux qui ont des occupations lucratives subsidiaires les pratiquent au détriment de celles pour laquelle ils sont normalement payés (cours dans le privé, encadrement à domicile, travaux de recherche).
Aussi, les conditions de vie économiques difficiles des enseignants et le non respect à temps des trousseaux et bourses des étudiants sont à mentionner.
Causes politiques
La profanation de la fonction d’enseignante par les plus hautes autorités (mauvais choix des politiques de recrutement du personnel enseignant qui ne tient compte d’aucun niveau académique : par exemple la Stratégie Alternative de Recrutement du Personnel Enseignant (SARPE), le mode de recrutement des enseignants des écoles communautaires).
On peut parler du non respect des engagements syndicats gouvernement ; l’insuffisance de courage politique de la part de l’Etat en matière de politique éducative (l’Ecole malienne est devenue un champ d’expérimentation, les innovations pédagogiques se succèdent les unes aux autres sous différents ministères de l’Education Nationale ; le traitement scandaleux des orientations des admis au DEF (la non orientation sous prétexte de manque de salles de classes : l’orientation abusive au privé au détriment du public pour des raisons pécuniaires) et la gestion anarchique des écoles privées.
L’école, un espace incontournable pour les politiques
Par ailleurs, l’intrusion de la politique dans l’espace scolaire et universitaire contribue à rendre les choses difficiles. L’école est devenue un espace incontournable pour les partis politiques où ils recrutent partisans et animateurs parmi les enseignants et les élèves et étudiants.
Ainsi les rivalités et les compétitions politiques sont transposées à l’école, engendrant des violences et des défis à l’endroit des autorités scolaires.
La mise en œuvre du Programme d’Ajustement Structurel (PAS) ; la suppression de l’enseignement de l’Education Civique et Morale (ECM) ; le non respect du principe constitutionnel de gratuité de l’enseignement au niveau du fondamental ; la mauvaise gestion des ressources humaines ; le traitement complaisant de l’AEEM par l’Etat, sont devenus le lot quotidien.
Les conséquences de la crise
Depuis les événements de mars 1991 l’école n’a pratiquement pas connu d’année normale avec exécution des programmes à 100%.
Les conséquences de cette situation sont nombreuses, à savoir :
– la baisse généralisée des niveaux des formateurs et des apprenants ;
– la dépréciation des diplômes obtenus (incompétence professionnelle) ;
– le peu de bourses octroyées par les pays européens ;
– la radicalisation des positions dans les négociations entre gouvernement et syndicats ;
– le recul du civisme et de la citoyenneté à tous les niveaux ;
– le délaissement de l’école publique au profit du privé ;
– l’inégalité de chances de réussite entre pauvres et riches.
Aussi, il est à craincre en cette ère de mondialisation que les diplômés de nos écoles et facultés ne soient compétitifs face à leurs leurs homologues des pays voisins.
Propositions de solutions
Face à la crise scolaire actuelle que connaît notre pays, nul n’a le droit de rester indifférent, car il s’agit de l’avenir de la nation.
C’est pourquoi l’AGEMPEM :
– convaincue de sa mission de participer activement à la recherche de la paix et de la stabilité de notre pays ;
– convaincue qu’aucune nation ne peut se développer sans un système éducatif performant, de qualité et apaisé ;
– soucieuse de l’amélioration des conditions de vie et de travail des enseignants, des élèves et des étudiants ;
– considérant l’importance et la complexité de tous les défis à relever pour le développement de notre pays, encourage le gouvernement à plus de persévérance dans ses efforts pour la recherche de solutions durables à la crise scolaire.
Il s’agit surtout de l’application stricte et correcte des solutions et recommandations qui sortiront du forum national sur l’éducation prévu à la fin de la première quinzième de ce mois, pourvu qu’elles ne soient pas confinées dans les tiroirs.
Hady BARRY
05 Septembre 2008