«Choisir ou ne pas choisir, c’est encore choisir car ne pas choisir c’est choisir de ne pas choisir», disait en substance Jean-Paul Sartre. Par ces temps de campagne électorale, les populations sont soumises à un matraquage médiatique aux fins de les amener à enlever leur carte d’électeur et à voter. Il est perçu à travers cette publicité: ne pas voter signifierait manquer à un devoir de citoyen. Il faut tout de suite dire, contrairement à ce que l’on veut faire croire, dans bien des cas ne pas voter signifie manquer à des devoirs. Des devoirs vis-à-vis de sa communauté, vis-à-vis de sa nation et même vis-à-vis de soi-même.
Le vote est I expression d’une opinion, une prise de décision. Cela présuppose une certaine formation ou information. Au-delà des investissements personnels, de ce que tout un chacun peut avoir par osmose, le cadre le plus indiqué pour la formation et l’information politique est le parti politique. Or, par les temps qui courent et par l’attitude des pouvoirs publics à l’endroit des partis politiques et par la vie et l’histoire des partis politiques eux-mêmes, on est en droit de se demander s’il existe vraiment un parti politique crédible.
Au Mali, en effet, la plupart des formations politiques sont devenus de véritables «business centers». Naturellement, on s’intéressera, on s’occupera peu ou pas du tout de programmes ou projets de société: il s’agit de défendre des intérêts individuels, de mettre en relief son ego et ses prétentions. On utilisera son temps et son énergie, non pour débattre et trouver la solution à des problèmes économiques ou sociaux, mais pour élaborer des stratégies et avoir à sa discrétion des bouts de bois de Dieu» ou des fantassins pour faire chanter un Etat malade, éprouvé et alité.
Faut-il faire l’état des lieux politique du Mali ? Pas de prétention ! Un éminent et surtout réputé et courageux professeur de la place (NDLR: Issa N’Diaye) a brossé avec brio les traits caractéristiques du champ politique dans «Info Matin» du 11 avril 2007. Je m’en vais dire sans ambages que je partage bon nombre de ses points de vue. Le même professeur avait affirmé, en 1998, aux heures de gloire de l’ADEMA – si gloire il y a en la présence des hautes autorités politiques et administratives: « Le pouvoir n’est pas exercé par l’ADEMA, mais en son nom… ».
Que faut-il conclure à ce sujet ? Reconnaître vraie la prédiction de cet éminent homme politique: la démocratie est un luxe pour l’Afrique ? Je ne saurais le dire ! Toutefois, des constats s’imposent. Au moment de l’élection présidentielle de 2002, le prétendant le plus sérieux n’a accordé de préférence à aucun parti. Immédiatement après son élection, au nom du consensus ou par calcul la quasi-totalité des partis politiques s’est mise en état d’hibernation. L’hiver a été si rude que certains se sont réveillés- en sursaut – de leur cauchemar deux années à l’avance pour dire qu’elles ont les bulletins en main pour voter pour celui qui tient le fétiche.
Au moment opportun, ils ont réaffirmé leur engagement solennel et inconditionnel. Mais la réalité est amère, voire triste. Que reste-t-il des partis politiques: quelques rares ingénieurs politiques qui savent, toutefois que de besoin, comment trouver journaliers, ouvriers contremaîtres … politiques. Le grand problème que posent ces opérateurs économiques est qu’ils sont de véritables tonneaux des Danaïdes. Surtout par ces temps où les francs CFA se font rares. Il faut dire qu’ils sont de mauvais opérateurs économiques. Ils ne paient aucun impôt même pas l’ADIT.
Un des problèmes non moins importants qu’ils posent est qu’il est difficile d’évaluer ou même d’apprécier leur prestation. Elle est fondue dans un résultat global. Sans compter qu’en cas de succès, s’ils ne sont pas payés pour une deuxième fois, ils se transforment en maîtres chanteurs en considérant que l’élu leur doit tout.
Les élections sont terminées avant d’avoir commencé. Les campagnes électorales ont confirmé ce que les Maliens pensaient. Que ce soit par le vote des humains ou par le vote des fantômes, l’élu est connu. Monsieur Bill Clinton, président des Etats-Unis d’Amérique disait, dans son livre «Ma vie»: «A mes yeux, les journées d’élection ont toujours symbolisé le grand mystère de la démocratie. Sondeurs d’opinion et experts des médias peuvent bien mettre tous leurs efforts à décortiquer, le mystère demeure. Ce jour-là, citoyen ordinaire, millionnaire ou président, chacun dispose du même pouvoir. Beaucoup l’exercent, d’autres s’abstiennent. Les premiers choisissent un candidat pour toutes sortes de raisons, certaines rationnelles, d’autres intuitives parfois avec conviction d’autrefois avec scepticisme. Pourtant, à travers tout ce processus, ils désignent souvent le dirigeant le mieux à même d’assumer la fonction dans la période donnée».
Peut-on être objectif en politique ? Je crois que oui. On peut tout au moins être responsable. Laissons une voix plus autorisée, celle de Jean-François Revel de l’Académie française, le dire : «Réfléchir sur la politique et tenter de l’influencer par si peu que ce soit n’a d’intérêt que moral c’est-à-dire dans la seule mesure où l’on croit pouvoir parvenir à une gestion intelligente, honnête, libre et véridique de la communauté humaine. Si l’on n’a pas cet espoir, alors il vaut mieux abandonner la politique aux gloutons du pouvoir et de la gloriole à leurs larbins à la glose bavarde des menteurs et ignares».
Ainsi, au nom de la beauté morale, au nom de la vérité, au nom des liens sacrés, de la patrie, de la nation…, au nom du devoir et de la responsabilité, est-il nécessaire que tous ceux qui, en âme et conscience, savent qu’ils n’ont pas de choix parce qu’aucun candidat ne leur convainc, observent leur vote, fût-il un vote blanc, volontaire et responsable. Il y a un grand danger, à plus, d’un titre, à agir autrement. Au-delà des rumeurs, chacun de nous, y compris les privilégiés et les responsables, connaît la situation de détresse dans laquelle se trouve le pays.
Si on ne peut imputer entièrement au pouvoir actuel cet état de choses, force est de reconnaître qu’il n’a pas fait grand-chose contre le désordre l’injustice et la gabégie. En outre, certains d’entre nous ont été directement victimes de l’injustice et de l’humiliation. Aussi, ne s’agit-il nullement d’une abstention gratuite, encore moins d’un boycott, mais plutôt d’un vote responsable. Il s’agit, comme le rappelait notre illustre professeur, citant Aristote, de ne pas avoir le destin d’une feuille morte.
« Les élections et après ?», disait l’autre. Monsieur Bill Clinton, président des Etats-Unis, donne la réponse dans son livre «Ma vie»: «L’avenir peut être meilleur que le passé et chacun a une obligation morale et personnelle de faire en sorte qu’il en soit ainsi».
Mais, en premier lieu, c’est au Président élu d’apporter de l’énergie, des idées nouvelles et de nouveaux adeptes et d’enlever aux Maliens le désespoir en leur donnant l’espoir.
Bocar Baba Larab
24 avril 2007.