Pourquoi bien des couples conjugaux -anciens ou nouveaux- tombent-ils dans la désillusion, une fois passés ce qu’on pourrait appeler les “mirages du mariage”? Tout simplement parce que la plupart de ces couples, légalement formés ou non (tel le cas des concubins) n’ont pas compris que l’union conjugale n’est pas seulement une affaire d’amour proprement dit. Et ce n’est pas pour des nèfles (pour rien) qu’un trait d’esprit populaire de chez nous affirme que “le mariage n’est pas un boubou ou une chaussure que l’on porte et enlève à l’envie”.
Et ce n’est pas pour rien non plus que les spécialistes en la matière (encore faut-il qu’il y en ait)) ont qualifié “d’amour à l’eau de rose” cette union conjugale qui ne tient pas (ou refuse de tenir) compte des réalités de la vie quotidienne. Car cet amour-là finit toujours par tuer les délices et autres joies de la vie à deux. Du coup, la raison sentimentale et la portée sociale de cette union sont soit dénaturées, soit renvoyées aux calendes grecques par ceux-là mêmes qui s’étaient pourtant jurés amour et fidélité devant Dieu, les hommes et la loi.
Mariage banalisé
“J’engage un jardinier pour entretenir mes fleurs. Mais voilà qu’après la signature du contrat, il baisse les bras ! “. C’est en ces termes que, de façon très symbolique et fort humouristique, une femme (pourtant d’âge mûr) schématisait ses relations avec son mari, avant et après le mariage.
Un tel genre de remarque imagée est non seulement aussi bien proférée par certains hommes, mais elle peut même se définir sous toutes les coutures. Ainsi, le mâle dit “masochiste“ pourrait représenter le mariage en ces termes : “J’achète une vache pour me faire du lait et des petits. Mais au moment de la reproduction, je me rends compte qu’elle est stérile“.
Quant à la femme fatale, son raisonnement est encore pire : “Je déniche un mâle que je veux adopter. Mais au moment de le faire rentrer dans sa niche, il rue dans les brancards ; alors que je croyais l’avoir dompté“. Aussi finit-on par se demander, après toutes ces remarques désastreuses, voire désobligeantes sur l’union conjugale : mais pourquoi, diable, plus de 70% des couples se fanent et s’étiolent, après avoir prêté serment devant Monsieur le Maire?…
Amour mal conjugué
C’est que dans leurs conception et entendement du mariage, bien des couples se sont gourés (se sont trompés) sur toute la ligne. C’est que pour eux, il est plus arrangeant de trier le meilleur et nier le pire, plus tentant de garder le bon grain et de jeter l’ivraie, et plus enivrant de confondre la fiction avec la réalité.
C’est que la fiction de l’amour idyllique d’avant mariage est différente de la réalité qui dévoile le “pot-aux-roses” de la vie commune d’après mariage. C’est que les lanternes du passé (de l’amour) qui chantait se sont “inexplicablement“ transformées en vessies… d’un lendemain amoureux qui déchante.
Bref, à l’instar du fameux terme “Je t’aime, moi non plus“, le mot “aimer“ a tout simplement été mal situé dans son contexte, mal cerné, mal compris,… en un mot, mal conjugué. C’est qu’entre aimer en vivant séparés et aimer en étant réunis, la différence est aussi grande que la distance qui sépare un poisson sec de la mer.
Aussi donne-t-on raison à cette remarque de nos anciens qui alertaient qu’à bien l’analyser de près, l’amour ne dure guère, ou si peu, après et dans le mariage. Et que le mariage vise surtout l’acquisition d’un statut social de l’individu, afin de le responsabiliser, le stabiliser, le classifier (en quelque sorte) et le sécuriser sur bien des plans, entre autres : respect du nom, progéniture, assise sociale, etc.
C’est dire que la raison du mariage est plus réaliste et objective que celle d’un amour illusoire, subjectif et très souvent égoïste. Toute chose qui nous ramène à la remarque de l’écrivain français Jean Cocteau (1889-1963) qui soutenait que “le verbe aimer est l’un des plus difficiles à conjuguer : son passé n’est pas simple ; son présent n’est qu’indicatif ; et que son futur, toujours inconditionnel“.
Et le bonheur s’enfuit
Aussi, le comble du paradoxe, c’est qu’une fois unis devant la loi, la plupart des couples se condamnent en demeurant figés dans leurs conceptions respectives concernant le mariage. Ainsi, aucun des conjoints ne pardonne plus à l’autre ce qu’il tolérait pourtant aisément avant le mariage. Chacun tient à dominer l’autre, à le materner ou la paterne, à l’infantiliser ou le (ou la) culpabiliser. Bref, chacun s’agrippe mordicus sur ses points de vue, tout en s’acharnant à vouloir les imposer à l’autre.
Du coup, dans le foyer, les tensions explosent, la discorde sévit, et la cécité conjugale s’installe en maîtresse absolue. Et ce ce bonheur tant attendu avant le mariage, cette lune de miel tant espérée, ces beaux jours tant escomptés…, tout cela s’en va à vau-l’eau, comme s’il n’était jamais venu. Alors, il ne reste plus que deux êtres désormais condamnés à respirer -et non à vivre- le même air et sous le même toit.
En guise de foyer, il ne reste, non plus un nid douillet, mais une prison verrouillée, où chacun vit le cœur chargé de dépit et de rancœur, où chacun dort sur ses oreillers bourrés de chagrin et de remords, où chacun nage dans une désillusion qui frise la haine viscérale.
En guise d’époux, il ne reste plus que deux ennemis jurés qui, en longueur de journée, se fusillent du regard, tels deux chiens de faïence. Des ennemis qui avaient pourtant juré de s’aimer pour le meilleur et pour le pire. Quel supplice !
Que reste-t-il alors?
Mais à ce que diraient les uns : “l’eau versée ne se ramasse plus“, les autres renchériraient : ”il faut boire le calice jusqu’à la lie“. Aux conjoints, il faudra donc, soit continuer à jouer ce jeu illusoire du “coeur qui n’y est plus“, soit se ressaisir : pour l’épanouissement et l’avenir des enfants, pour l’honneur des deux familles respectives, pour le maintien, la préservation ou la sauvegarde du statut social du couple…
Aussi, les couples conjugaux doivent-ils se rendre à certaines évidences de la vie. D’un : la sérénité sociale n’est que la résultante de l’harmonie des relations entre les individus. De deux : le bonheur, en tant que tel, n’existe pas sur terre, encore moins permanemment dans l’union conjugale. De trois : qui dit “conjugal” entend le verbe “conjuguer”. Mais enfin, il est vrai que la chose la plus introuvable est celle …qui crève les yeux.
Oumar DIAWARA
05 Septembre 2008