L’Indépendant :Monsieur le président, demain le peuple malien va célébrer le 26 mars, en tant qu’acteur de cette date très symbolique dans l’histoire du Mali, quel sentiment vous anime maintenant ?
Dioncounda Traoré : Plusieurs sentiments m’animent, sentiment de fierté pour ce que le peuple malien a réussi. Quelque part aussi, c’est une nostalgie, aussi un sentiment qui fait penser à ceux avec qui nous avons mené ce combat dont plusieurs aujourd’hui ont disparus. Donc c’est une pensée pour ces martyrs et ces héros qui nous ont permis de vivre cette période historique du 26 mars.
L’avènement de la démocratie a suscité un espoir de changement. Qu’en est-il aujourd’hui ?
C’est à ce genre de questions que je ne réponds jamais par oui ou par non. Vous savez les choses ne se réalisent pas par un coup de baguette magique, ni du jour au lendemain, pour des transformations aussi importantes que celles qui constituaient l’ambition de ceux qui ont fait la révolution du 26 mars pour le Mali. Des changements aussi profonds ne peuvent pas se faire en un jour, ni en un mois ou en une année. Ce qui est important de voir c’est ce qui a été fait depuis. Et naturellement ma réponse est oui. Je suis sûr que de la révolution à ce jour en passant par la transition et la première République avec l’Adema, il y a eu énormément de choses dans la mise en œuvre des idéaux du 26 mars et également par rapport au combat qui était celui de ceux qui nous ont conduit au 26 mars.
Je crois que dans ce pays ce que nous avons voulu était la liberté, la justice la prospérité, la paix et aussi la dignité pour le Mali et pour l’Afrique. C’était un peu tout cela le 26 mars. Nous avons réussi à poser quelques pas. Il y a des domaines où nous n’avons pas commencé encore, mais j’espère qu’un peuple comme le Mali qui a réussi le 26 mars ne peut plus reculer. Il peut avancer plus ou moins rapidement. Je conclurais en disant que les choses avancent.
Le 26 mars veut dire aussi l’amélioration des conditions de vie des populations, mais la réalité est que la pauvreté augmente du jour au jour.
Je ne suis pas d’accord avec vous. Depuis le 26 mars, les conditions de vie des citoyens maliens se sont améliorées. Je crois que c’est nier rapidement l’évidence quand on tient de tels propos. Quand vous vous promenez dans le pays, c’est là que vous constaterez que les choses ont changé. Le changement est surtout perceptible à Bamako. Simplement, vous savez on a tendance à aller trop vite en besogne. Rappelez-vous dans quelle situation nous étions avant la révolution du 26 mars, imaginez-vous Bamako, imaginez-vous le Mali. Le changement se voit également dans les villages, à travers même l’habillement des enfants. Des petits détails, certes, mais qui sont révélateurs d’une évolution positive. Il est vrai que le pays est confronté à des difficultés conjoncturelles. Chacun s’interroge sur l’hivernage et la crise acridienne que le pays a connus. Comment est-ce que nous allons faire cette année ? Je profite de cette opportunité pour convier le gouvernement à jouer la carte de la solidarité nationale pour que la période de soudure soit traversée sans trop d’encombres. Je pense qu’avec l’aide de Dieu (inch Allah), ça va bien marcher.
Le Mali a avancé, je sais aussi que les conditions de vie se sont quelque part améliorées même si certains domaines comme l’école sont en crise, nous avons néanmoins construit énormément de salles de classe. Au moins 4 fois plus que pendant les deux premières Républiques. Je peux affirmer qu’il a été construit trois fois plus de centres de santé. Dans le domaine des infrastructures routières, beaucoup d’efforts ont été faits, des forages ont été réalisés dans beaucoup de zones où les gens ont accès à l’eau potable. J’en conviens : il reste beaucoup à faire. Je ne pense pas qu’on puisse affirmer que les choses n’ont pas bougé. Il n’est pas exact non plus de dire que les gens sont plus pauvres qu’auparavant.
M. le président, la démocratie est un acquis du 26 mars, vous n’avez pas l’impression qu’il y a un recul par rapport à cette démocratie avec l’unanimisme parlementaire actuel ?
Vous savez la démocratie est une quête permanente. C’est une chose sur laquelle, il faut veiller comme on doit veiller sur le lait sur le feu. Parce que dès que vous baissez les bras, il y a cette tendance naturelle de l’homme de s’attaquer à la démocratie, à faire en sorte que certains types de régimes interviennent. Je crois que cela dépend de la vigilance de chacun. Si nous sommes moins vigilants effectivement notre processus démocratique s’en ressentira.
Tant que nous serons là pour empêcher que l’on s’attaque aux acquis du 26 mars, qu’on nous fasse revenir sur le chemin que nous n’avons pas pris depuis le 26 mars, je suis certain que les choses iront bien. La démocratie n’est pas chose facile. N’est pas démocrate qui veut. Ce n’est pas un exercice facile, au fil des années on s’aperçoit que c’est une quête quotidienne. En tant qu’enseignant et pédagogue, je pense qu’il faut expliquer, convaincre les uns et les autres qu’effectivement la démocratie est un moyen d’atteindre tous les objectifs que le peuple malien s’est fixé. Ce n’est qu’un moyen parmi d’autres mais celui-ci, nous l’avons choisi et attendons qu’il nous apporte le bonheur tant souhaité.
Le système actuel n’est-il pas cependant synonyme de recul de la démocratie ?
Non. En réalité, s’il y a la stabilité et la paix sociale dans notre pays, on ne peut pas dire qu’il y a un recul. Maintenant s’attaquer à certains principes fondamentaux de la démocratie, c’est qui pourrait être considéré comme un recul. Les vrais ennemis de la démocratie sont ceux qui pensent que les partis politiques n’ont pas le droit d’exister. Ça, c’est une aberration. Comment peut-on construire une démocratie, un Etat de droit en estimant que les partis politiques doivent être mis en marge de la vie de la nation? C’e n’est pas possible.
Tous ceux qui raisonnent de cette façon sont incapables de s’engager pour une cause. Ceux qui pensent comme ça se trompent. Le 26 mars est loin d’être un non événement. Les martyrs ne sont pas morts pour rien. La démocratie au Mali ne gagnera en qualité que grâce aux partis politiques. Nous avons proclamé dans la première lettre que nous avons envoyée au général Moussa Traoré, que c’est le pluralisme, la démocratie, en un mot la liberté pour chaque Malien et chaque Malienne d’inscrire son action politique dans le cadre de son choix. Et personne ne pourra s’attaquer à cela, sans risquer de nous retrouver sur son chemin. Nous y veillerons.
Propos recueillis par Chahana Takiou
25 Mars 2005