L’Indépendant : M. le gouverneur, le mardi 23 mai dernier, les deux camps militaires de votre région ont été attaqués par des rebelles. Avez-vous été surpris par la situation ?
Alhando Ag Ilyène : Non, pas du tout. Depuis la veille, on avait informé toutes les forces de sécurité. On parle d’attaque mais il serait plus juste de parler d’une attaque-mutinerie. Il y a autant d’attaquants de l’extérieur que de mutins de l’intérieur. Cela veut dire qu’il y a des intégrés au sein des forces armées qui ont aidé les assaillants. En fait, ils sont presque tous des intégrés parce que vous n’êtes pas sans savoir que le colonel Hassane Fagaga, lui-même, est d’ailleurs dans le même cas.
L’Indép. : Avez-vous informé Bamako de la situation ?
A. A. I : Oui, absolument, Bamako et les forces armées et de sécurité étaient informés de la situation
L’Indép. : Pourquoi les plus hautes autorités du pays n’ont-elles pas pris les dispositions qui s’imposaient ?
A.A.I : Les dispositions avaient été prises, mais ce qui n’était pas prévu, c’était la participation des officiers de l’intérieur du camp à l’insurrection, ceux-là mêmes qui devaient assurer sa sécurité.
L’Indép. : Pourquoi cette révolte des rebelles ?
A.A.I : Moi, je ne parlerai pas de rebelles, mais d’insurgés et de mutins, des gens qui partagent le point de vue de Fagaga et qui vivent dans la psychose d’une marginalisation des intégrés dans l’armée malienne. Quant au colonel Fagaga, tout le monde sait qu’il a demandé une large autonomie pour la région de Kidal, dans le projet de statut particulier qui est de notoriété publique. L’on sera mieux édifié quand les discussions vont commencer avec les principaux intéressés.
L’Indép. : La région de Kidal connaît-elle tant de difficultés au point de justifier cette révolte ?
A.A.I : Je pense que rien ne justifie l’attaque de Kidal. Je sais que nous avons des difficultés socio-économiques. Ces difficultés peuvent être gérées dans le cadre des possibilités de notre pays. Il faut qu’on sache qu’on ne pourra pas tout faire tout de suite. Quelles sont ces difficultés socio-économiques auxquelles Kidal est confrontée ? La première, c’est la sécurisation et la modernisation de l’élevage qui est la principale source de revenu de la région. La deuxième, c’est la lutte contre la pauvreté dans le sens de l’amélioration de l’accès à l’eau potable, l’amélioration des structures de santé par leur dotation en matériel et en personnel adéquats. Vous venez de voir que le gouvernement a construit trois grands centres de référence qui vont être bientôt équipés. Le problème est surtout au niveau des agents de santé parce que le plus souvent ceux qui sont mutés ici s’arrangent depuis Bamako, pour être remutés ailleurs avant même d’arriver ici.
L’Indép. : C’est dire qu’il y a des centres de santé bien équipés sans personnel ?
A. A. I : Il y a des centres de santé qui vont bientôt être achevés et qui seront très bien équipés, mais nous avons peu d’espoir de disposer du personnel qu’il faut. Le Président de la République, en personne, m’a dépéché chez la ministre de la Santé, mais chaque fois que celle-ci envoie du personnel, celui-ci se débrouille toujours pour être remuté ailleurs principalement au Gabriel Touré et à l’hôpital de Kati.
L’Indép. : Comment expliquez-vous cette situation ?
A. A. I : C’est un dysfonctionnement de notre administration. J’ai l’impression que la ministre n’est pas au courant de cette situation mais cela se passe au niveau de son cabinet.
L’Indép. : Revenons aux attaques du 23 mai. Quel bilan en avez-vous fait ?
A. A. I : Je ne peux pas faire un bilan précis, mais il y a eu beaucoup d’armes de toutes sortes de calibre qui ont été emportées. Des magasins ont été pillés par ceux-là mêmes qui étaient chargés de les garder. Beaucoup de véhicules appartenant aux services et aux ONG ont été enlevés, il y a eu quatre morts dont deux parmi les militaires et deux parmi les assaillants. Ils sont tous des Touaregs. Pour montrer un peu la diversité du Mali, des deux côtés, il y avait des Touaregs, c’est important à savoir. Il y a aussi une famille qui a été incendiée où l’on a déploré la mort de deux petits enfants.
L’Indép. : Il semble que beaucoup de cadres de Kidal, de la société civile et des élus communaux aient rallié la rébellion. Pouvez-vous nous faire le point?
A. A. I : Il y a quelques responsables qui sont partis dans la débandade. Ce sont des gens qui pensent que leur sécurité n’était pas assurée, mais quand les forces armées et de sécurité ont rassuré qu’il n’y avait pas de chasse aux sorcières, beaucoup de gens sont revenus.
L’Indép. : Quels sont les élus qui sont partis ? Il semble que le président de l’Assemblée régionale ait regagné les insurgés.
A. A. I : Oui, le président de l’Assemblée régionale est parti, son vice-président est également parti, d’autres élus sont partis. Vous savez que la plupart de nos élus ici sont des ex-combattants. Certains sont partis pour leur sécurité, d’autres adhèrent à la cause, d’autres encore sont partis pour essayer de mieux contrôler les insurgés, certains encore pour nous aider, parce que grâce à l’action du président de l’Assemblée régionale et de certaines personnes nous avons pu récupérer, avec le député de Kidal jusqu’à sept ou huit véhicules que les insurgés avaient pris.
L’Indép. : Combien de véhicules avaient été volés en tout ?
A. A. I : On estime à dix-sept le nombre de véhicules enlevés sur lequel on a pu récupérer sept, donc il nous reste encore dix véhicules.
L’Indép. : Si je comprends bien, les insurgés ont été infiltrés par l’Etat sinon par l’armée régulière.
A. A. I : Non. C’est-à-dire qu’il y avait une grande connexion entre les insurgés et certains officiers qui étaient dans le camp et certains hommes de troupe. Tout de suite quand il y a eu l’attaque, il y a eu un débrayage et c’est parti.
L’Indép. : Actuellement, l’on se trouve en face d’une alternative, c’est de les mater ou négocier avec eux. Pour quelle option opteriez-vous ?
A. A. I : Je pense qu’il ne faut jamais donner raison à ceux qui déclenchent des conflits. Quand on déclenche un conflit il faut toujours montrer qu’il y a eu tort et qu’on peut résoudre les problèmes autrement.
Surtout que les insurgés eux-mêmes parlent de négociation, tant qu’on a la voie de la négociation il faut négocier dans la fermeté en gardant le sens de la mesure, comme l’a dit le président de la République lui-même.
Entretien réalisé à Kidal par Chahana TAKIOU
15 juin 2006