« Tout couple peut avoir un albinos si l’anomalie génétique existe en eux »
Thierno Diallo, le directeur général de la Pyramide du souvenir, est un albinos. Dans l’entretien ci-dessous, il nous parle de l’albinisme, des préjugés à l’égard des albinos et de leurs conditions de vie.
Les Echos : Pouvez-vous nous dire ce que c’est que l’albinisme et comment le devient-on ?
T. D. : Je dois d’abord remercier « Les Echos » pour cette initiative, qui va certainement contribuer à éclairer la lanterne de plus d’un sur un sujet aussi vieux que le monde. Cela étant, l’albinisme est tout simplement l’absence de mélanine dans la peau. C’est une anomalie génétique héréditaire. Donc, tout couple peut avoir un albinos si cette anomalie génétique existe en eux.
Les Echos : Les causes étant connues, est-ce qu’il y a des mesures correctives pour qu’un enfant ne naisse pas albinos ?
T. D. : C’est vrai que la science a évolué, mais actuellement elle peut seulement détecter un albinos chez une femme enceinte de 3 mois. Peut-être bien que dans l’avenir ce sera possible d’éviter que l’enfant albinos très vite détecté naisse avec l’anomalie.
Les Echos : Comment, selon vous, l’albinos est accueilli dans sa famille d’abord, dans la société en général ?
T. D. : Ça dépend des concepts que les sociétés ont de ce phénomène.
L’albinos est bien accueilli par les spirituels parce que pour eux les écrits bibliques et autres disent que le prophète Noé était albinos.
Certains musulmans trouvent que c’est la manifestation du prophète Mohamed dans les rêves.
Par contre, il est mal accueilli par ceux-là qui pensent qu’il est le fruit des esprits, de la souillure (enfant conçu lors des périodes des règles de la femme), ce qui est scientifiquement faux tout comme des affirmations qui soutiennent qu’il y a albinos lorsque la femme fait l’amour à la belle étoile ou en plein jour. C’est pourquoi, certains l’appellent « enfant de la lune ».
Les Echos : Cela veut dire qu’il y a beaucoup de préjugés sur l’albinos ?
T. D. : Ah oui ! Quels que soient les concepts, l’albinos est victime de préjugés. Il servira de sacrifice parce que, pour certains, il porte en lui des pouvoirs magiques. Ou souvent, il est victime d’infanticide…
Les Echos : Comment se sent un albinos dans la communauté, un homme extraordinaire ou normal comme les autres ?
T. D. : C’est une question très difficile. Mais, personnellement, je ne sens pas de différence entre les autres et moi parce que éduqué dans un amour total de parents intellectuels. Souvent, il m’arrive de me demander est-ce que si je n’étais pas albinos, je serai ce que je suis. Cependant, certains albinos souffrent d’exclusion, de marginalisation compte tenu des préjugés évoqués tantôt.
Les Echos : Autres difficultés ?
T. D. : Il y a la fragilité pigmentaire et la faiblesse de la vue d’où le terme « yé-fégué », qui n’a rien de péjoratif. Ça signifie simplement quelqu’un qui n’a pas une bonne vue.
Les Echos : Existe-t-il au Mali, une association des albinos ?
T. D. : Il y a effectivement l’Association pour la promotion et l’insertion sociale des enfants albinos (SOS-Albinos) créée en 1992 par d’autres pour les albinos.
Les Echos : Comment doit-on se comporter à l’égard d’un albinos ?
T. D : On doit le traiter comme un homme tout court. Pour moi, il n’y a pas de demi-homme. On doit le traiter en homme normal sans tenir compter des préjugés. Certains des jeunes diplômés albinos n’arrivent pas à accéder à l’emploi du fait des préjugés. C’est dommage. Je saisis cette opportunité que vous m’offrez pour dire que l’albinisme n’est qu’une anomalie qui peut être uniquement oculaire, qu’il existe partout dans le monde, c’est-à-dire dans toutes les sociétés humaines et même animales.
Ayons cela à l’esprit ! Toute personne bien portante est un handicapé potentiel.
Propos recueillis par
Idrissa Sacko
LES ALBINOS
Des victimes potentielles de cancers de la peau
L’albinisme est une anomalie génétique touchant la synthèse d’un pigment responsable de la coloration de la peau et des poils et donnant une coloration rouge aux yeux.
L’albinisme vient du latin « albus », qui signifie blanc. Il désigne la diminution ou l’absence totale de la matière colorante des téguments (la peau et les poils), suite à une anomalie génétique. Lorsque l’absence est double, la peau et les poils sont de couleur blanche, tandis que les yeux sont rougeâtres.
Parfois, la coloration des téguments est normale et seuls les yeux sont touchés. Cette matière colorante qui fait défaut s’appelle la mélanine, explique Dr. Minaba Traoré.
Un individu portant un albinis est appelé albinos. Aux dires de Dr. Traoré, contrairement à ce que pensent beaucoup de personnes, l’albinisme n’est pas une maladie dans le sens « altération de la santé », mais une « tare », une défectuosité dans la synthèse de mélanine.
Selon lui, il existe plus d’une dizaine de formes d’albinisme, dont certaines sont de transmissions récessives, d’autres dominantes et liées au sexe.
La forme la plus connue est l’albinisme oculo-cutané de type 1 ou plus simplement AOC type 1. Elle correspond aux dires de Dr. Minaba Traoré à une anomalie génétique touchant le gène codant pour une enzyme, la tyrosinase.
Ce qui explique la couleur rougeâtre de l’albinos, selon le spécialiste, c’est que l’iris et les autres structures de l’œil ne sont pas colorés du fait de l’absence de mélanine.
Consultations gratuites
On voit alors, par transparence, la rétine. Celle-ci est riche en vaisseau sanguin. L’albinisme peut exposer l’individu à certains problèmes, notamment au niveau de la peau et des yeux.
Les albinos à en croire, M. Traoré ont essentiellement des problèmes : sensibilité voire douleur des yeux à la luminosité, mouvements anormaux du globe oculaire, strabisme, problèmes relatifs et une mauvaise acuité visuelle de loin.
L’autre problème des albinos est leur sensibilité forte à la lumière du soleil, mais aussi un risque plus important de cancer de peau (défaut de protection contre les UV).
Il semble que les albinos soient plus nombreux dans le cercle de San que partout ailleurs au Mali.
Les dermatologues proposent à ceux qui sont en état précancéreux de se faire consulter le plus tôt possible pour éviter le cancer de peau qui, à un certain moment, s’avère irréversible.
Selon Dr. Pierre Traoré de l’Institut Marchoux, deux modes de protection s’imposent à ces patients.
Ils doivent, conseille-t-il, se protéger des rayons ultra violets (UV) en portant des chapeaux et en utilisant des substances chimiques anti-solaire (crèmes).
De façon systématique, ajoute-t-il, les albinos doivent se faire régulièrement consulter pour détecter à temps les lésions. Pour leur prise en charge, l’Institut Marchoux, affirme-t-il, procède depuis un certain temps à des consultations trimestrielles gratuites.
Il existe plusieurs types d’albinismes. Mais pour faire la différence entre eux, il faut au préalable faire des tests.
-Amadou Sidibé
-Mohamed Daou
MOHAMED BOUARE DE FALADIE
La dure vie d’un enfant albinos
Le témoignage poignant de Mme Bouaré, mère d’un garçon de 9 ans, prouve à suffisance les difficultés que les enfants albinos rencontrent dans la vie quotidienne.
Les albinos sont des êtres comme tout le monde. Mais, au regard de la couleur de leur peau, ils suscitent souvent certaines interrogations et font objet de divers préjugés. Le petit Mohamed, albinos de 9 ans et élève en 3e année fondamentale à l’école de Faladié n’échappe pas à la règle.
Selon sa mère, Mohamed vit un calvaire dans son établissement à cause de ses camarades qui le rejettent. « Chaque jour que Dieu fait, si Mohamed ne vient pas les larmes aux yeux, il retourne avant l’heure tellement qu’il est embêté par ses petits camarades. C’est toujours le même langage. S’ils ne l’accusent pas d’être un sorcier blanc, ils le traitent d’enfant de djins ou de petit Blanc café au lait ».
Les rares camarades qui l’approchent sont vite dissuadés par d’autres qui prétextent que Mohamed va les contaminer avec sa peau tachetée.
Pis, dira Mohamed lui-même, ses voisins de classe refusent de partager ses goûters et l’excluent de tous les jeux dans la cour de récréation. Ne supportant pas ce traitement injuste, il préfère plier ses bagages et retourner à la maison alors qu’il est l’un des meilleurs élèves de la classe.
Face au mauvais comportement de ces élèves, la mère de Mohamed dit avoir interpellé le directeur de l’établissement.
« Malgré les menaces de ce dernier à l’endroit des élèves, mon fils reste ». C’est pourquoi, elle envisage de l’inscrire dans une école où il pourra étudier en toute quiétude.
Dans le quartier aussi, le petit albinos est souvent confronté au même problème. « Personne n’achète l’albinisme au marché. C’est un fait de Dieu et toutes les femmes peuvent mettre au monde des albinos.
Donc, soyons ouverts avec ces enfants qui sont des personnes comme nous tous », conseille Mme Bouaré. Elle appelle la société malienne à plus de tolérance envers les enfants albinos qui méritent, selon elle, respect et considération.
Sidiki Y. Dembélé
NIAMA KONE, CONTROLEUR DES POSTES
Albinos et fière de l’être
Agée d’une trentaine d’années, Melle Niama Koné est contrôleur des postes en service à la direction générale de la poste. Elle dit n’avoir aucun complexe quant à sa situation d’albinos et ne souffre pas plus de discrimination dans sa carrière qui a débuté en 1991.
Joviale et courtoise, Niama Koné est née d’un père médecin et d’une mère ménagère. Elle est le troisième enfant d’une famille qui en compte 10. Son frère cadet, infirmier de santé à Sikasso, est albinos comme elle.
C’est en 1991 qu’elle a été recrutée à la poste en qualité de contrôleur. Elle a effectué ses premiers pas dans le métier de postier à Sikasso. Après une mutation à Koulikoro, elle regagne Bamako.
« Je n’ai rencontré aucune difficulté jusqu’à ce jour, aucune frustration liée à la couleur de ma peau dans mes différents postes. Dans ma vie de tous les jours, c’est la même chose », indique Melle Koné.
Seul constat, qui ne la gêne d’ailleurs outre mesure, ce sont les quelques hostilités des enfants qui crachent au passage des albinos.
En toute humilité, Niama Koné, dont le cœur n’a pas encore rencontré l’âme sœur pense, que « tout part de Dieu et tout revient à Lui ».
Elle n’a pas honte de sa situation de célibataire même si elle souhaite, comme toute femme normale, mener une existence d’épouse et de mère.
Parlant de son frère albinos, elle juge ses relations satisfaisantes avec ses collègues, qui apprécient bien ses prestations. Le seul problème vécu par son jeune frère, Niama Koné le met au compte de l’Etat.
A ses dires, son frère, recruté dans la fonction publique en 1999, a été affecté à Diré au nord du pays où le mercure atteint souvent les 45°C.
Un climat défavorable à la santé des albinos. Toujours, selon elle, la famille a remué ciel et terre pour le ramener dans une région plus clémente pour lui éviter des maladies cutanées dues à l’effet du soleil.
« Malgré mes propres efforts, il a été retenu à Diré sous peine d’être radié de la fonction publique. La conséquence : il a souffert de problèmes dermatologiques. « Son ministère a été injuste », explique-t-elle.
C’est grâce à l’implication d’un cadre du Centre national des immunisations, qui a été sensible à son état de santé dégradant lors d’une mission à Diré, il fut alors muté à Sikasso.
Mlle Koné se réjouit d’avoir échappé à la formation militaire pour intégrer la fonction publique. Elle a pratiqué plutôt la forme civique.
Abdrahamane Dicko
TIBOU TELLY, SG ADJOINT DE L’UNTM
« Pas de discrimination contre les albinos »
Tibou Telly est l’un des monuments du syndicalisme malien. Enseignant de profession et secrétaire général du Syndicat national de l’éducation et de la culture (Snec), il occupe le poste de secrétaire général adjoint de l’Union nationale des travailleurs du Mali (UNTM). M. Telly a près de 30 ans de vie syndicale bien remplie.
Fort de sa riche expérience, il affirme que son syndicat mère, l’UNTM, n’a été saisi d’aucune plainte émanant d’un albinos travailleur faisant état de discrimination ou brimade dans son service.
« De mémoire de syndicaliste, nous n’avons aucune information de ce genre », tranche-t-il.
Pour M. Telly, les albinos ne sont pas généralement rejetés dans notre société. Il fait allusion à un jeune releveur de l’EDM, qui a l’habitude de venir à la Bourse du travail et qui est choyé par le personnel syndical.
Cependant, ajoute-il, certains à cause des saignements de peau donnant des odeurs nauséabondes ou des taches noirâtres, peuvent penser qu’ils sont marginalisés ou répugnants.
A. D.
Le syndrome de l’albinisme
Dans notre société, on ne connaît pas d’anomalie biologique plus redoutée que l’hydrocéphalie et l’albinisme et le plus grand malheur qu’on puisse souhaiter à un homme ou à une femme est d’être le père ou la mère soit d’un albinos, soit d’un hydrocéphale. L’un ressemble au jinè, l’autre au bilisi, ce qui revient à la même chose, ces deux créatures étant de la même famille.
Quoique de compréhension scientifique facile, l’albinisme, surtout, est pris pour une calamité pour toutes les femmes en âge de procréer. Pour le citoyen ordinaire chez lequel dominent plus la superstition et l’animisme que le rationalisme cartésien, il n’est pas normal que deux individus de teint noir avéré puissent avoir comme rejeton une créature blanche avec les cheveux blond paille et des yeux étrangement immobiles de chatte enceinte.
Même pour l’élite dont beaucoup d’éléments croient plus aux puissances surnaturelles qu’au « Manifeste du Parti communiste » ou du « Discours de la méthode », l’accident biologique à l’origine de l’albinisme n’est pas tout à fait naturel. C’est pourquoi, quel que soit le milieu choisi, toute une littérature des plus mauvais goûts entoure cette malformation. La femme, de façon générale, en est tenue pour la principale responsable.
Lorsqu’elle se produit, elle est accusée soit d’avoir dormi enceinte à la belle étoile à un endroit où il ne le fallait pas, soit de s’être lavée au crépuscule à un lieu de passage des djins, permettant ainsi à l’un de ceux-ci de lui voler son bébé et de lui substituer un autre à mi-chemin entre le jinè et l’être humain.
Pourtant, des albinos, cela existe partout : même en Europe, même en Amérique et en Asie. Dans les pays scandinaves d’Europe du Nord, ils sont plus nombreux que dans le reste de l’Europe, mais, simplement appelés rouquins sous ces cieux, ils sont noyés dans la grande masse laiteuse de la multitude en mouvement et passe sans attirer l’attention.
Par contre, chez nous, l’albinos ne passe jamais inaperçu, tellement son image est négative. Sa peau excessivement blanche fait qu’on lui attribue des pouvoirs qu’il est loin de posséder. Sa nature particulière fait qu’il est tout à fait indiqué pour les sacrifices humains difficiles mais prometteurs en termes d’enrichissement ou d’élévation sociale.
Au moment des compétitions électorales, il est particulièrement recherché par les candidats comme d’autres recherchent les poulets et les moutons pour leurs sacrifices conformément aux sentences des oracles, des devins et autres marabouts.
Ils sont légion les albinos qui ont mystérieusement disparu dans la foulée des campagnes électorales et qu’on n’a pas retrouvés mais cela n’émeut personne, même pas leurs propres parents.
Dans les villes comme dans les campagnes, la condition d’albinos est un lourd fardeau. Dans certains coins de brousse, le garçon albinos n’est pas circoncis avec ses semblables, on se débrouille pour lui faire subir cette opération à part et presque en cachette.
Pour un père ou une mère, le mariage d’un albinos représente la chose la plus ardue au monde. S’il n’est pas de parents aisés, ayant quelque situation dans son milieu, à moins de tomber sur une fille de mêmes conditions et de même pigmentation que lui, le garçon albinos risque le célibat à vie.
Quant à la fille, sa situation est encore plus dure, surtout si elle sort d’un milieu pauvre. Les garçons la fuient comme la peste et invoquent des raisons tout à fait ridicules comme ses yeux qui font peur, son odeur suffocante, sa peau qui colle, etc, pour ne pas la fréquenter. En un mot, tout est prétexte pour lui trouver des poux sur la tête.
Dans les temps anciens, l’albinos n’était pas enterré au village. Son corps était conduit nuitamment en brousse et déposé dans une grotte qu’on refermait sommairement avec des branchages. Dans certaines zones, il était transporté loin du village et jeté en pâture aux hyènes, aux vautours et aux charognards.
L’introduction de l’islam a un peu modifié le comportement des gens avec les cadavres d’albinos qui ne sont plus jetés mais enterrés, même si cet enterrement est encore entouré du plus grand secret et du plus grand mystère.
Rares sont d’ailleurs les gens qui en ville pensent se targuer d’avoir assister à un enterrement d’albinos et dans le plus grand cimetière de Bamako on chercherait en vain le tombeau d’un albinos.
Et en réalité, hormis les parents biologiques, personne ne sait ce qui peut advenir des corps d’un albinos, même aujourd’hui.
Facoh Donki Diarra
(ISH Bamako)
22 juillet 2005