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Le recueil de poèmes «Elégie pour la femme à corne d’or», suivi de «Cent un fils de tirailleurs», «Gorée ! Gorée !» et «Chronique de la cigogne du Sahel», paru en 2005 conjointement aux éditions «L’Harmattan» à Paris, Budapest, Kinshasa, etc. et «La Sahélienne» à Bamako, est un livre de 65 pages. L’auteur, Ismaïla Samba Traoré, directeur de «La Sahélienne», qui nous a accordé cet entretien, est un écrivain engagé. En ce qu’au-delà de ses traits de caractère de poète lyrique, il milite pour le rétablissement de la vérité sur les exactions commises en Afrique lors de la colonisation, de la traite négrière et des deux guerres mondiales ! C’est en raison de cet engagement – qui transparaît à travers toute son œuvre – qu’il a été invité en Guadeloupe, en août 2006, par Mme Rey Hulmann, directrice des éditions «Quatre chemins» où a été édité son recueil de poèmes «Gorée ! Gorée !».


L’Indépendant: Vous avez écrit un recueil de poèmes alors qu’on vous connaissait plutôt romancier. Pourquoi ce virage du genre romanesque au genre poétique ?


Ismaïla Samba Traoré: En fait, il ne s’agit pas d’un virage puisque la poésie a précédé le roman chez moi. En Afrique, les jeunes scolaires, lorsqu’ils abordent la littérature, commencent presque toujours par la poésie en raison du fait que ce genre littéraire est au cœur de l’expression des sentiments et de la sensibilité de manière générale. Dans l’expression poétique, le jeune solaire n’a pas besoin d’être aussi bien armé comme s’il s’agissait d’écrire un roman. Mes premiers brouillons de poésie et même de certaines notes que l’on pourrait considérer comme de la prose datent du Second cycle de l’Enseignement fondamental. Il est amusant de noter à cet égard que certains amis, en raison de mes prouesses en français, m’appelaient «Papa Victor Hugo».


La poésie a-t-elle encore droit de cité au Mali ?


Plus que jamais, la poésie a droit de cité au Mali puisque l’offre de poésie répond à une demande dont on n’a pas forcément conscience: celle de l’école, de la maternelle à l‘Université. La poésie est un instrument pédagogique privilégié et tant qu’il y’aura des programmes scolaires, il en faudra. Le problème, c’est que les textes dits classiques – ceux des classiques français et des poètes de la Négritude – occupent toute la place dans les ouvrages pédagogiques.

Qu’avez-vous fait, vous écrivains maliens, auprès des autorités chargés de l’Education, pour changer une telle situation ?

Il n’y a plus d’association des écrivains, il n’y a plus de collectif actif peut-on dire. C’est mort ! Et un écrivain pris individuellement ne peut rien: un créateur – romancier, dramaturge, poète – a déjà beaucoup à faire. Car participer au lobbying concernant la question des contenus suppose énormément d’énergie et d’engagement. Ce sont ceux qui font la politique éducative et culturelle du Mali, ceux qui décident et mettent en œuvre cette politique qui sont interpellés. Malheureusement, ils ne semblent pas suivre.

En quoi la co-édition «L’Harmattan» – «La Sahélienne» de votre recueil de poèmes a-t-elle concrètement consisté ?

J’ai envoyé mon livre à «L’Harmattan» à qui les intellectuels africains doivent beaucoup dans l’élargissement de la prise de parole. Ils ont décidé de le publier dans la collection «Poètes des cinq continents». J’ai alors demandé à «L’Harmattan», en tant qu’éditeur, d’en être coéditeur pour bénéficier d’une diffusion internationale mais aussi malienne avec «La Sahélienne».

Pourquoi avoir choisi la forme libre au lieu de la forme classique pour écrire les vers de vos poèmes ?

La poésie africaine ne s’exprime plus sous la forme de vers relevant de l’école classique. Depuis les poètes de la Négritude qui ont opéré une révolution – ce que d’autres ont appelé «une tempête dans l’encrier» -, la versification classique est dépassée: d’autres, avant nous, par une forme de révolte, de bris de chaînes, se sont battus contre les classiques.


Pourquoi avoir choisi essentiellement la forme élégiaque pour vous exprimer («Elégie pour la femme à corne d’or») ?


L’élégie, c’est l’évocation de la mort et de l’absence. C’est un deuil porté qui a imposé à ce texte la forme élégiaque.

Votre recueil retrace aussi des faits épiques d’Afrique occidentale !

«Elégie pour la femme à corne d’or» me donne l’occasion de visiter toute ma parenté: les mères, les grands-mères, les arrière-grands-mères, toutes les dames de grande stature de la parenté. Dont certaines furent de si grandes érudites qu’elles ont souvent surclassé, par leur érudition, par leur culture immense, les hommes de leur génération. Il en ainsi de mon arrière-grand-mère qui vécut dans le Fouta-Djalon et qui surclassa ses contemporains par la notoriété de sa mosquée et de l’école coranique qu’elle animait. L’élégie évoque non seulement tous ces grands personnages mais aussi la «Plus que sœur» et même la «Femme qui jamais ne vieillira».

C’est qui la «Plus que sœur» et la «Femme qui jamais ne vieillira» ?

Une vie d’homme, c’est aussi une vie faite de douleur. Et la douleur a sa pudeur ! L’élégie est un concentré de douleur, d’absence non comblée.

La présence permanente de rejets, le manque criard de signes de ponctuation dans les strophes des poèmes et l’errance que vous sublimez ne signifient-t-ils pas que vous ayez envie de vous délivrer de l’angoisse, votre compagnon ?

C’est vrai que le style, le rythme et même le ton que j’impose à ces textes traduisent un profond sentiment de détresse et d’angoisse.

Cette dimension de la détresse est réelle parce qu’il est tellement risqué de revisiter les fantômes et le fil d’une vie ! Et même lorsqu’on est visionnaire, lorsqu’on a l’intuition développée jusqu’à un certain degré, il est facile de détecter, dans le quotidien, les indices des échecs et des détresses.


La présence permanente et concomitante d’instruments de musique tels que le balafon et la kora, de la femme et de la nuit, ne vous rapproche-t-il pas de Léopold Sédar Senghor, notamment dans son poème «Nuit de Sine» ?


Senghor revendique quelque chose qui représente pour lui un lointain patrimoine: l’univers mandingue. Moi, je suis né dans cet univers qui a bercé mon enfance. Les lointaines origines mandingues des Sérères qu’il sublime – son père parlait mandingue – l’ont souvent inspiré. Il y a une telle capacité d’attirance du patrimoine mandingue que Senghor et Maryse Condé, entre autres, en ont été fascinés. Ce patrimoine est inscrit dans mon imaginaire depuis ma prime enfance: jeune scolaire, il est arrivé que ma mère m’ait retiré de l’école pour me destiner à une formation coranique. Et, pendant près d’un an, j’ai été mis en présence d’un univers rural malinké où les savoirs s’entrechoquaient: l’érudition coranique, celle des griots et celle de gens de grand âge que furent certains de mes oncles. Il est arrivé que, très jeune enfant, je me retrouve au cœur de ces expressions intellectuelles.

Vous faites très souvent référence à la nature: faune et flore !

C’est une volonté pour moi de prendre des références dans ma culture. Ce qui explique la référence à la faune et à la flore, c’est aussi, peut-être, une revendication de l’enfant de la ville que j’étais et qui avait besoin de repères à travers des séjours à la campagne.

Dans «Cent un fils de tirailleurs» et «Gorée ! Gorée !», vous abordez deux thèmes si différents mais si proches: les affres des deux guerres mondiales et de la traite négrière !

A propos de «Cent un fils de tirailleurs», je suis moi-même fils de tirailleur: mon père était de la classe 1900. Et un de mes aînés était soldat de la deuxième Guerre mondiale. «Cent un fils de tirailleurs» est un dialogue entre «Lui», un émigrant qui parle de l’Europe en direction de l’Afrique en se posant en héritier de fils de tirailleur, et «Elle», une jeune fille restée au pays et qui parle de l’Afrique en direction de l’Europe. C’est un poème dramatique à deux voix entre celui qui migre et celle qui, dans une logique de militante, reste chez elle. Les «cent un fils de tirailleurs» sont les 101 Maliens des vols Charter renvoyés de la France il y a quelques années. Cela représente un contentieux qui n’est pas vidé. Durant les années 70, c’était des histoires de combat, de vies qui furent embastillées par la botte kaki. Et la fille finit par être tuée par les blindés.

Dans «Gorée ! Gorée !», je parle effectivement de la traite négrière comme dans mon roman «Les amants de l’esclaverie». Je n’invente rien puisque je ne suis que le condensé de plusieurs histoires, d’où les références à la nouvelle identité des Antilles (Guadeloupe, Haïti, Jamaïque, etc.) et au combat de tous ceux qui y ont résisté. On ne peut faire un pèlerinage sur ces îles sans revenir bouleversé.

L’Atlantique est un véritable cimetière et l’esclavage un crime contre l’Humanité. C’est aller-au-delà de ces réalités que de s’interroger sur ces questions.


Vous devenez souvent mage, dans «Gorée ! Gorée !» par exemple, où vous faites parler les vagues ! Cela fait penser à Victor Hugo !


Si vous me disiez que cela fait penser aux grands traditionnistes comme Djélibaba Sissoko – le meilleur c’est lui ! – ou Daye Baba Diallo, je serais d’accord avec vous. Ce sont de véritables écoles littéraires que j’ai beaucoup écoutées quand je travaillais à Radio Mali et plus tard à l’Institut des Sciences humaines et dont je me suis beaucoup nourri.

Que faut-il pour que les hommes politiques africains ne soient plus «couchés ratatinés face à l’Occident» comme vous le dites dans un de vos poèmes ?

Je parle aussi de «baobabs dessouchés livrés à l’asphalte infécond de Paris». Les hommes politiques africains ne donnent pas toujours l’impression de se dresser à la verticale lorsqu’ils sont en dialogue avec les puissances occidentales. Ils semblent fouler aux pieds l’intérêt général en de telles occasions.

En dehors de la poésie,menez-vous d’autres actions pour que les anciens combattants et l’ensemble des Africains soient rétablis dans leurs droits ?

Dans ma famille, c’est une question qui a été à l’ordre du jour puisque, comme je l’ai dit, mon père et un de mes aînés étaient des tirailleurs.

Où peut-on se procurer ce livre ?

Aux éditions «La Sahélienne» à Baco-Djikoroni ACI (Tél. 679 24 40), à la «Librairie Bah» au Grand Hôtel, à la «Librairie Toguna» en face du Palais de la culture à Badalabougou, aux éditions «L’Harmattan» à Paris. La commande peut aussi se faire par Internet sur le site www.amazon.fr.

Propos recueillis par Zoubeirou MAIGA

23 août 2007.