Au-delà des péripéties ayant marqué l’élection présidentielle du 29 avril et les législatives qui se profilent à l’horizon, c’est à un bouleversement complet du jeu politique que nous souhaitons assister.
Lors de son meeting organisé au CICB le samedi 19 mai 2007, les leaders du Front pour la démocratie et la République (FDR) ont décidé de rester légalistes jusqu’au bout, en optant pour des moyens de lutte démocratiques et pacifiques afin de faire avancer la démocratie et les institutions maliennes. Cette position, motivée par le souci de préserver la paix sociale et d’éviter au Mali le spectre d’une bataille de rue meurtrière aura eu, néanmoins, le mérite de marquer une différenciation nette entre les méthodes du FDR et celles du défunt Coppo.
Mais, ce serait une erreur de croire que ce légalisme est une capitulation ou un renoncement motivé par la peur. La vie réserve tellement de surprises qu’il est imprudent de nager avec un bras sous prétexte que la houle est en sommeil. Cependant, force est de reconnaître qu’à l’analyse, au stade actuel, cette position sera diversement appréciée.
D’un côté, il y a, au sein des militants les plus déterminés du FDR, ceux qui ne rêvaient que d’en découdre, d’imposer un rapport de force au général Amadou Toumani Touré, de lui rendre la vie dure en entretenant en permanence la contestation. En démocratie, cette attitude est parfaitement compréhensible. Ailleurs, en France ou au Royaume-Uni, nous assistons souvent à la remise en cause violente de pouvoirs issus des urnes et dans des conditions claires.
De l’autre côté également – comprendre le camp présidentiel – la ligne de conduite du FDR a causé une certaine inquiétude résumée ainsi par un leader de l’ADP : « Personnellement, j’avais tablé sur un affrontement entre le FDR et l’ADP. Je pensais que le FDR allait réagir de manière tellement violente que la rupture aurait été définitive. Mais, face à la nouvelle donne, je me demande bien ce que l’avenir nous réserve ».
Cet avenir, que personne n’arrive à lire dans sa boule de cristal ou dans ses cauris magiques, a déjà commencé avec la bataille des législatives. Nous avons assisté à des alliances et combinaisons que seule la réalité du terrain a déterminées. Des partis membres du FDR ou de l’ADP se sont retrouvés sur des listes dans plusieurs communautés. Cela n’empêche cependant pas de lire, en filigrane, le message sans équivoque de Dioncounda Traoré, chef de l’Adéma qui disait, en substance, vouloir offrir, une majorité confortable d’au moins 90 députés à ATT.
S’agit-il d’un vœu pieux ou existe-t-il des chances réelles que l’ADP atteigne un tel score et quelles seront les conséquences politiques d’un tel résultat. Il faut d’abord souligner qu’entre Dioncounda Traoré et le suffrage universel, ce n’est pas une histoire d’amour. Battu à plate couture en 1992, il n’a réussi à se faire élire en 1997 qu’au deuxième tour face à un indépendant et ce, malgré le boycott de l’opposition. En 2002, malgré l’appui massif du pouvoir sortant, il a encore mordu la poussière dans son patelin de Nara. Mais, plus que la personne de Dioncounda qui est, somme toute, d’intérêt secondaire, c’est le manque de lucidité même de l’ADP qui pose problème.
S’opposer démocratiquement
Certes ATT est un militaire et pas un politique, mais il n’est pas si étranger à nos mœurs locales au point de se faire hara-kiri. Parce qu’une majorité claire à un parti ou un groupe de partis, pour un indépendant, signifie clairement le contrôle du gouvernement et une cohabitation forcée, dans une « castration » de la présidence. C’est peut-être ce qui explique les informations actuelles qui circulent à Bamako et qui laissent entendre que le président refuse systématiquement de se mêler des jeux politiques locaux. Tant qu’il n’y aura pas une majorité claire à l’Assemblée, il est sûr de gouverner en comptant sur des partisans.
Il est cependant clair que la configuration de l’Assemblée nationale ne connaîtra pas un grand bouleversement. La seule constante à l’Hémicycle restera la transhumance des députés et leur manque de loyauté envers leurs partis. Malgré 16 années de pratique de la démocratie, malgré les séminaires, colloques et symposiums organisés afin de responsabiliser les élus et leur donner une honorabilité qui sied à leur rang, la grande majorité des députés maliens continue malheureusement à entretenir ce réflexe primaire d’hommes et de femmes affamés qui ne suivent que leur instinct de survie.
Il est dommage aujourd’hui qu’une grande frange de Maliens ne comprenne pas qu’exercer son droit démocratique, c’est vivre, agir et parler en citoyens libres. Les applaudisseurs professionnels et les laudateurs impénitents qui déversent leur fiel sur les mal pensants ne font pas avancer un pays. Car, du point de vue de l’histoire, ce sont les mêmes personnes ou leurs ascendants qui, depuis Modibo Kéita, ne font qu’applaudir et mendier leur pitance.
Espérons que 2007 sera le temps des révisions, non pas sur le modèle Mao Zedong mais le modèle Atatürk ou, plus loin dans l’histoire, l’ère Meiji. Car, si chacun a vraiment pour ambition de bâtir un Mali prospère, le débat ne sera jamais l’injure ou l’invective. Il sera une confrontation d’idées dans un Parlement multicolore.
Le premier mandat d’ATT qui fut un sommeil de l’affrontement politique ne ressemblera pas au second. Car, cette fois, une vraie opposition peut naître et jouer son rôle : s’opposer démocratiquement. Pour cela, il faut que le FDR reste dans l’opposition et l’ADP continue son cheminement avec ATT. C’est avec plaisir que les Maliens attendent de voir comment le général arrivera à gérer 43 politiques et 240 associations qui se réclament de lui.
Ailleurs, cela voudra dire qu’avant même la vraie opposition, les premiers ennemis d’Amadou Toumani Touré viendront de la cohorte de ces « amis » et supporters qui, évidemment, ont des idées derrière la tête et attendent des récompenses ; ou de ces innombrables gestionnaires de structures publiques qui, pour mieux cacher leurs turpitudes, ont préféré s’abriter sous le parachute du général. Du plaisir et de la franche rigolade en perspective…
Ousmane Sow
(journaliste, Montréal)
23 mai 2007.