L’élection de Obama à la présidence des Etats-Unis d’Amérique a décidément valeur d’exemple. Déjà tout le monde pense la même chose : le temps de tous les possibles est arrivé dans une Amérique justement en mal de changement. Le slogan de sa campagne répété à l’envie « yes, we can» nous amène-t-il à penser que Barack Obama aura une présidence militante ? Pas si sûr. Pourquoi ?
Rien que dans cette période de transition entre son élection et son entrée effective à la Maison blanche, tout le monde le pousse à s’engager vis-à-vis des questions brûlantes de l’heure. Obama aura un job difficile. Et comme le lui disait son prédécesseur Bush, il va entamer l’un des voyages les plus passionnants de sa vie… Obama sait ce qui l’attend car il n’ignore rien de son long cheminement jusqu’ici.
De quelles cartes dispose Obama ?
Obama arrive aux affaires au moment où les bourses plongent de 5 à 6 %. C’est une crise financière d’ampleur. Les économies vont traverser une situation grave avec des séquelles durables. Mauvaise perspective de croissance partout et ce depuis un quart de siècle. Des pertes de recettes fiscales pour les Etats. Last but not least, l’Europe va reculer par rapport au dollar. Rien qu’aux USA, le taux de chômage atteint le record de 6,5 %.
Selon le FMI, les pays industriels vont connaître une contraction de leurs économies. Le président élu des Etats-Unis d’Amérique : « ce n’est pas l’ampleur de nos problèmes qui m’inquiète, c’est la petitesse de notre politique ». Si ce n’est pas de l’audace, ça y ressemble. Le président Obama a bien sa stratégie politique : ne pas jouer les divisions, les peurs. Il veut assurer une continuité de l’histoire, même qu’il a derrière lui 25 ans de carrière politique. Obama est celui qui a su au sortir de cette harassante campagne électorale, cristalliser l’énorme soif de changement de ses concitoyens. Les USA ont fermé leur théâtre politique de l’exceptionnel avec l’arrivée à la Maison blanche de celui que l’on n’attendait pas au début.
L’administration démocrate s’apprête à rentrer dans le droit commun de l’exercice du pouvoir. Obama va devoir choisir ses priorités. Car le nouveau modèle social qu’il appelle de ses vœux, comment y arrivera-t-il sans augmenter les impôts.
Nous n’avons pas encore oublié les accents de protectionnisme affiché par lui lors de la campagne. Après tout, il y a toujours l’exemple du grand Roosevelt lors de la grande dépression : ses 100 premiers jours à la présidence, il ficela un paquet de mesures efficaces. Comme on dit en politique, rien n’est comparable à une administration qui arrive (les démocrates) si ce n’est les défauts de l’administration sortante (les républicains de Bush). Seul le programme du président a valeur d’obligation aux USA…
Le 20 janvier prochain, la nouvelle configuration ne donnera à Barack Obama qu’une opportunité plus tactique que programmatique. En politique intérieure, le guet pour Obama, c’est l’appât du communautarisme. L’arrivée des démocrates aux affaires va probablement mettre fin à cette sorte d’hyper présidence de Bush avec sa stratégie de corruption, le poids du lobbys, la bipolarisation extrême de la vie politique, l’incapacité à faire passer des reformes.
Quelle politique étrangère ?
Venons-en enfin à la politique étrangère. Avec l’arrivée de Barack Obama à la Maison blanche, ses relations avec l’Afrique vont relever nous semble-t-il d’un ordre du jour lourd et sans doute long. S’attend-t-on à une ingérence décomplexée de l’administration Obama dans les plis et replis des démocraties africaines ?
Peu probable. Le président Obama sera entre l’acteur et le témoin. Rien qu’à écouter les différents intervenants depuis son élection, l’Afrique s’est déjà prise à penser individuellement dans une relation unique avec la Maison blanche.
Les rapports entre les nouveaux maîtres à la Maison blanche et l’Afrique seront une denrée à manier avec précaution. Il ne s’agira plus d’une politique africaine bâtie sur un consensuel battu en brèche. Il arrivera sans doute un changement de ton plutôt que de fonds avec les démocrates. Si ce n’est que la politique étrangère des USA est déterminée par les dirigeants et… par les événements, ensuite les lobbies. Que peut faire l’administration démocrate vis-à-vis de l’Afrique ? Sans doute en se présentant à elle pour ce qu’elle est…
L’administration Bush avait divisé le continent en plusieurs zones d’intérêts différents pour sa politique étrangère. L’Afrique tout en restant à l’écart de l’axe central des crises, était désormais reliée à celui-ci par des flux de terroristes, de trafics d’armes, de stupéfiants, et autres criminalités organisées. Et l’Afrique, à elle seule, ne pouvait éteindre ses incendies. L’Afrique du Nord et l’Afrique de l’Est, tout comme la zone sahélienne et la corne de l’Afrique retinrent l’attention de Bush à cause de la proximité avec le Moyen-Orient perçu comme l’épicentre du terrorisme.
Autres priorités des républicains : les pays du golfe de guinée à cause du pétrole. C’est ainsi que les républicains évaluèrent tous les enjeux géopolitiques du continent à la seule aune d’une hypothèse interventionniste. Le pentagone va établir un QG de la combined Joint Task Force Horne of Africa à Djibouti. Un deuxième programme : la Pan Sahelian Initiative incluant 4 pays dont le Tchad, le Mali, la Mauritanie, le Niger.
Un troisième programme régional de sécurité : Tast Africa Counter Terrorism Initiative incluant Djibouti, l’Erythrée, l’Ethiopie, Kenya, Tanzanie, Ouganda.
L’administration républicaine s’était faite à cette idée que l’Afrique devenait un champ de guerres par procuration entre les USA et les éléments terroristes. D’où les impératifs stratégiques de l’aide extérieure avec cette hiérarchisation des intérêts extérieurs US : -le contre terrorisme- accès au pétrole – les objectifs secondaires comme la promotion démocratique, la lutte contre le sida, etc.…
Les USA ont trouvé cependant des limites, le cas du Soudan. L’administration Bush en remettant en cause le CPI, les grands accords internationaux qui donnaient un minimum de stabilité aux relations stratégiques, cette administration disions-nous a dimunié la part de droit qui existait dans la société internationale. Voilà le grand tournant qui attend les démocrates. Ils peuvent bien avoir leur programme de politique étrangère à eux, mais elle devra accepter certaines mutations. Comme :
– revoir la relation entre la politique intérieure et la politique extérieure
– établir un vrai plan de bataille de la communication.
Nous sommes désormais dans un monde de perception où les USA doivent bien rendre la vision des idées et comportements des africains. L’administration doit intégrer cela parmi les autres échiquiers car nous nous dirigeons tous vers un monde « décompartimenté ». Il n’y a plus de chasse-gardée.
La capacité d’initiative et d’entrainement des démocrates sera-t-elle louée par le continent noir ? L’occident dans son ensemble ne représente plus qu’un milliard d’habitants pour une planète où se trouvent 6,5 milliards d’individus, mais où les questions d’identité deviennent incontournables.
Salif Koné
10 Novembre 2008