El hadji Abdou Sakho, commissaire chargé du département des politiques économiques et de la fiscalité intérieure, a conduit une mission de sensibilisation des autorités au mécanisme de surveillance multilatérale des politiques économiques, du 23 au 24 octobre 2008. A l’issue de la mission, le commissaire s’est confié à Les Echos.
Les Echos :M. le commissaire, vous êtes en mission circulaire dans les Etats membres de l’Uémoa. Pouvez-vous expliquer l’objet de cette tournée.
El Hadji Abdou Sakho : C’est une mission d’information et de sensibilisation sur les enjeux de la surveillance multilatérale et sur la portée et la signification des réformes communautaires décidées par les instances de l’Union. Vous vous rappelez qu’en 2003, S. E. le président Tandja, alors président en exercice de la conférence des chefs d’Etat, avait effectué une tournée dans les Etats membres pour sensibiliser les autorités nationales à la nécessité de mettre en œuvre les réformes communautaires.
A la suite de cette importante tournée, la conférence des chefs d’Etat s’est régulièrement saisie de la question en instruisant les organes et institutions de l’Union, en particulier l’organe exécutif que constitue la Commission, à travailler à la mise en œuvre diligente et à l’ancrage des réformes dans l’Union. A la suite de la conférence, le conseil des ministres a insisté particulièrement sur l’importance de la surveillance multilatérale des politiques macroéconomiques. C’est en exécution de ces instructions de la conférence et du conseil que la présente mission a été décidée.
Les Echos :Mais pourquoi insister sur les réformes et la surveillance multilatérale des politiques macroéconomiques ?
E. H. A. S. : Vaste question. La vie en commun, ou comme dirait un philosophe, « l’ordre de la vie en commun », repose sur des règles communément admises. Ceci est valable pour les individus comme pour les Etats. Dans une expérience d’intégration aussi poussée que celle de l’Uémoa, il y a des interactions très fortes entre les politiques économiques des Etats membres, surtout s’ils disposent de la même monnaie. Les interactions correspondent à ce que les économistes appellent des externalités.
Ces externalités peuvent être positives, se traduisant par exemple par un taux de croissance plus important que celui qui serait réalisé en l’absence d’intégration ou par une résistance plus forte aux chocs exogènes, grâce à la solidarité communautaire.
Mais le plus souvent, il s’agit d’externalités négatives, dues à un manque de coordination ou à une coordination insuffisante des politiques nationales. Un exemple d’externalité négative est une politique budgétaire nationale laxiste qui relancerait l’inflation par la demande, laquelle déprécierait la valeur interne de la monnaie et induirait un désalignement des taux de change effectifs réels.
Les réformes dans l’Uémoa ont pour but de s’assurer que les programmes nationaux associés aux programmes communautaires dans le domaine des politiques monétaires, budgétaires, fiscales, sectorielles, infrastructurelles, sociales et institutionnelles sont compatibles entre eux et garantissent l’atteinte des objectifs de l’Union.
Pour ce qui est de l’importance accordée à la surveillance multilatérale des politiques macroéconomiques, elle découle du modèle d’intégration cible défini par notre Traité fondateur : la construction d’un modèle d’intégration recentré autour des objectifs de stabilité macroéconomique et principalement budgétaire, en rapport avec notre histoire monétaire récente.
Les Echos :M. le commissaire, on aimerait bien savoir ce qu’est la « surveillance multilatérale des politiques macroéconomiques » ?
E. H. A. S. : Je viens de vous parler des externalités entre les différentes politiques nationales dans une expérience d’intégration. C’est pour stimuler les externalités positives et conjurer les externalités négatives que l’Uémoa a institué un mécanisme, un cadre de concertation et de dialogue sur les politiques mises en œuvre dans l’Union. C’est cet exercice, dont la Commission est le centre opérationnel, qu’on appelle la surveillance multilatérale. Notre histoire monétaire récente a montré que l’instabilité macroéconomique trouvait sa source principalement dans les politiques budgétaires nationales, plus précisément dans l’endettement ou les déficits excessifs. Nous en avons naturellement tiré les conclusions.
Nous avons adossé la surveillance multilatérale sur la surveillance étroite des positions budgétaires et des conditions de formation de l’équilibre budgétaire dans nos Etats. Nous avons proscrit les déficits en demandant aux Etats de couvrir avec leurs recettes propres, les dépenses courantes et du côté des dépenses, nous avons recommandé une restructuration qui donne la préférence à l’effort d’accumulation publique au détriment des dépenses courantes, surtout celles qui sont les moins associées au processus productif.
Cet exercice est également un dialogue politique et un dialogue des politiques nationales, car les Etats se reconnaissent mutuellement un droit d’ingérence économique, à tout le moins un devoir de non-indifférence par rapport à des mesures nationales de politique économique, susceptibles de détériorer la stabilité économique globale de l’Union.
Les Echos :Pouvons-nous avoir un aperçu de l’état de mise en œuvre des réformes dans l’Union, mais aussi au Mali de façon spécifique.
E. H. A. S. : Nous avons à cœur de réserver la primeur des conclusions de notre mission à la conférence des chefs d’Etat. Mais je peux vous dire que les résultats sont en constante amélioration s’agissant de l’Union et du cas spécifique du Mali. En décembre 2007, le taux de mise en œuvre pour l’ensemble de l’Union était de 65 %, contre 61,1 % en 2006.
S’agissant du cas spécifique du Mali, les taux de réalisation en 2006 (68 %) et en 2007 (67 %) sont largement supérieurs à la moyenne de l’Union. Il faut donc avec les autorités du Mali, s’en féliciter. Mais notre ambition est d’améliorer ces résultats pour l’Union. Pour ce faire, comme nous y invite S. E. le président Amadou Toumani Touré, nous devons avoir le « courage des solutions appropriées » dans la levée des entraves à l’intégration.
Les Echos :Justement, à propos d’entraves, la libre circulation des marchandises et des personnes se heurte à des obstacles importants sur les corridors de l’Union.
E. H. A. S. : Vous avez raison. Au début de la libéralisation des échanges intercommunautaires en 1996, nous avons pensé, avec d’ailleurs les experts des Etats membres, que parmi les obstacles à la libre circulation des marchandises, les obstacles tarifaires étaient les plus difficiles à supprimer, en raison de leur impact budgétaire. Pour les obstacles non tarifaires, il suffisait d’une décision politique ou administrative.
Pour supprimer les obstacles tarifaires, nous avons mis en place et déroulé un programme de réduction et de suppression des droits de douane sur les produits originaires de l’Union. Nous avons, à l’appui de ce programme de désarmement interne, mis en place des règles d’origine moderne sinon modèles, et surtout un mécanisme de compensation de moins-values de recettes douanières pour lequel, la Commission a consenti un effort financier très important. Vous conviendrez avec moi que la suppression des obstacles tarifaires est un succès à mettre au crédit de la Commission. Elle a été difficile et coûteuse.
Maintenant pour ce qui est des obstacles non tarifaires, ils seront supprimés lorsque les Etats en exprimeront la volonté politique. La Commission travaille constamment à la mise en place d’un cadre de dialogue favorable. Nous réunissons régulièrement les ministres chargés des Finances, du Commerce, de la Police, de la Douane, de la Gendarmerie, sur ces questions.
Il y a également un aspect important qui gène la libre circulation des personnes et des marchandises. C’est le caractère exorbitant que représentent les coûts de transaction comme les coûts de transport. Et là ce n’est pas la Commission, mais les compagnies de transport. Pensez-vous que le citoyen de l’Union puisse comprendre et accepter que le prix du transport d’un container entre un port d’entrée de l’Uémoa et un autre point de l’Hinterland soit plus élevé que celui entre un pays d’Asie et le même port ? Pensez-vous normal, vous-même, que le billet d’avion entre Ouagadougou et Dakar soit plus cher que celui entre Ouagadougou et Paris ?
Les Echos :Récemment, nos Etats ont été confrontés à la crise alimentaire et énergétique. Qu’est-ce que la Commission de l’Uémoa a fait pour les Etats ?
E. H. A. S. : Le conseil des ministres s’est réuni à Abidjan en avril 2008, puis en séminaire à Dakar en juin 2008, pour discuter de la situation. S’agissant de la question de l’énergie, un groupe de travail multidisciplinaire de haut niveau s’est également réuni à plusieurs reprises à Cotonou et à Lomé, sous la supervision d’ailleurs de S. E. le président Boni Yayi, sur la question de la crise de l’énergie.
Vous ne trouverez pas une organisation qui a autant fait. Plus concrètement, s’agissant de la situation alimentaire, nous avons dégagé 40 milliards pour appuyer à court terme, les politiques agricoles, surtout la campagne agricole en cours et soulager les Etats des efforts budgétaires entrepris, en réduisant les droits et taxes sur certains produits et en subventionnant d’autres produits. Nous allons également dégager 300 milliards pour appuyer sur le moyen et long terme, les politiques agricoles en vue d’accroître les capacités de productions ainsi que pour diversifier l’offre agricole.
Pour l’énergie, nous accorderons la primeur à la conférence des chefs d’Etat, mais d’ici la fin de l’année, une initiative régionale forte va être lancée dans l’Union en vue d’une résolution définitive de la crise de l’énergie. Mais vous m’excusez de ne pas être en mesure d’en dire plus.
Les Echos :Sur la crise financière récente, on ne vous a pas entendu.
E. H. A. S. : Ce qui ne signifie pas qu’on ne fait pas quelque chose. D’abord, il faut constater que les titres boursiers affectés ne sont pas sur notre marché financier. De même, les acteurs concernés n’interviennent pas directement sur nos marchés. Mais ces genres de crise, se propagent lentement et progressivement. Mais nous sommes en train de réfléchir à des mesures pour que le crédit bancaire continue d’être disponible à de meilleures conditions débitrices, sous l’égide du président Boni Yayi.
Maintenant, pour les Etats, le crédit sera de plus en plus rare et cher parce que une bonne partie de l’épargne mondiale disponible sera canalisée vers le financement des programmes anti-crises aux Etats-Unis et en Europe. Ensuite, lorsque la crise financière puis boursière aura fini de gagner le secteur réel, il y a des risques que la récession chez nos principaux partenaires commerciaux ne se traduise par un ralentissement de l’activité dans l’Union. D’où l’urgence de renforcer, d’approfondir et d’élargir notre solidarité à l’intérieur de l’Union.
Les Echos :Justement, vous avez rencontré, à cet effet des responsables des départements ministériels, d’institutions de l’Etat et de la société civile. Quelles conclusions vous en tirez ?
E. H. A. S. : Je conduis, en concertation avec les autorités du Mali, une mission d’information et de sensibilisation des principaux acteurs de la vie politique, économique et sociale de ce pays.
Nous avons été reçus par S. E. M. le Premier ministre, à qui nous avons rendu compte de résultats de notre mission. Il nous a exprimé sa satisfaction et surtout il nous a donné des recommandations et d’utiles conseils pour la mise en œuvre des instructions de la conférence des chefs d’Etat. Je voudrais l’en remercier bien respectueusement.
Nous avons également rencontré le ministre des Finances et ses services, ainsi que les responsables des ministères de l’Economie, de l’Intégration. Nous avons rencontré l’Assemblée nationale, le président de la Commission des finances et les membres du CIP de l’Uémoa, le bureau du Conseil économique et social et les représentants de la société civile.
Au cours ces différentes rencontres, nous avons discuté et conclu de la nécessité de recentrer les programmes à caractère économique et financier autour des engagements communautaires, particulièrement ceux du pacte de convergence, de stabilité, de croissance et de solidarité. Nous avons également discuté de la nécessité d’accélérer les réformes communautaires, en adossant leur mise en œuvre à la chronologie et au rythme séquentiel fixés par le Traité de l’Uémoa.
Nous avons convenu de dépasser le stade de l’intégration institutionnelle et réfléchi aux modalités d’une plus grande implication des administrations, des populations et des institutions nationales dans le processus d’intégration, en vue d’une plus grande appropriation de ce processus qui doit revêtir un processus participatif plus marqué.
Avec les uns et les autres, nous avons partagé la nécessité de travailler à l’émergence d’une citoyenneté communautaire qui sera l’aboutissement d’un processus de quête constante de consensus au plan national comme au plan communautaire, autour de certaines thématiques liées à la libre circulation et au droit d’établissement, à la politique budgétaire et fiscale, aux politiques commerciales et sectorielles. Ce succès a été possible grâce à la qualité de l’accueil qui nous a été réservé par les autorités maliennes. Je voudrais d’ailleurs les en remercier bien fraternellement au nom de la Commission de l’Uémoa.
Propos recueillis par
Alexis Kalambry
27 octobre 2008