Parlées par une minorité de la population, les langues des puissances coloniales (anglais, français, portugais, espagnol) devenues des langues officielles continuent d’être utilisées comme principales, voire seules langues d’instruction.
Malgré de nombreuses études qui montrent qu’il est préférable d’enseigner aux enfants dans leurs langues maternelles, la promotion des langues africaines se heurtent à plusieurs obstacles.
Cette problématique était au cœur des débats du 3 au 5 août à Windhoek (Namibie) où spécialistes de l’éducation, linguistes, experts en communication, universitaires, éditeurs, haut-fonctionnaires de ministères de l’éducation et représentants d’agences de développement en provenance d’une vingtaines de pays africains et de plusieurs pays du nord se sont donnés rendez-vous. L’académie africaine des langues (Acalan) était également de la partie.
Organisé par l’Association pour le développement de l’Éducation en Afrique (ADEA), la GTZ (agence de coopération allemande, et l’Institut de l’Unesco pour l’éducation (IUE), en partenariat avec le ministère de l’Éducation de la Namibie et l’Association intergouvernementale de la francophonie (AIF), la conférence de Windhoek a fait le bilan des connaissances sur l’utilisation des langues maternelles dans le secteur de l’éducation en Afrique.
Les préjugés contre les langues locales, y compris de la part des élites africaines et des populations; les besoin de les transcrire et de les stabiliser mais aussi de créer des environnements lettrés qui assureront la durabilité des efforts d’alphabétisation; les défis techniques et matériels qui se posent, notamment au niveau de la formation des enseignants et du développement de ressources matérielles et pédagogiques ont été abordés.
M. Nangolo Mbumba, ministre de l’éducation de la Namibie, estime que l’utilisation des langues locales dans les systèmes éducatifs est un facteur essentiel d’amélioration de la pertinence de l’éducation en Afrique.
Cette conviction s’explique par l’option faite par son pays d’introduire les langues maternelles (au nombre de 13) comme langues d’instruction dans les quatres premières années de la scolarité.
Bilinguisme équilibré
Deux écoles s’affrontent en Afrique sur la question fondamentale de l’introduction des langues maternelles dans l’enseignement. Il y a ceux qui préconisent le statut quo, c’est-à-dire la pratique actuelle dans la majorité des pays d’Afrique qui encourage l’utilisation de la langue étrangère comme première et principal moyen d’instruction.
La position en faveur d’un moyen d’instruction plus approprié implique une rupture avec le statu quo et préconise l’emploi de la langue maternelle comme moyen d’instruction principal tout au long du système d’enseignement.
Pour le secrétaire exécutif de l’ADEA, Mamadou N’doye, il est préférable d’aller vers un bilinguisme équilibré. Les pays africains, estime t-il, doivent avoir comme objectif à atteindre, l’utilisation de la langue maternelle comme langue d’enseignement le plus longtemps possible, couplée avec l’enseignement de la langue officielle comme deuxième langue.
La diversité linguistique dans les systèmes éducatifs est une question très préoccupante, estime Anand Rumajogee, représentant de l’AIF.
«Cette question nous interroge sur ce qui se passe dans nos salles de classe. La pédagogie qui constitue à faire de la seule langue française la langue d’alphabétisation est-elle bien adoptée à la réalité culturelle des populations scolaires francophones ?», se demande-t-il.
Comment l’école dans certains pays d’Afrique francophone, même si elle a fait des progrès, peut-elle jouer pleinement son rôle moteur du développement quand ont sait que le taux d’accès en dernière année du primaire dans six pays étudiés (étude récente réalisée par la Banque Mondiale) dépasse à peine 28% à cause des échecs, abandons et l’analphabétisme même après plusieurs années de scolarité.
Vu le faible taux d’inscription en première année, (environ 50%), selon les résultats de l’étude, il faudrait plus de 120 ans pour que 100% des élèves de ces pays parvienne à une scolarité complète.
Langues opérationnelles
«La fonction d’accueil, de communication et d’affirmation de soi dans sa langue dans laquelle l’enfant a appréhendé son monde avant d’arriver à l’école est fondamentale», estime M. Rumajogee.
A l’en croire, une des priorités de l’Agence intergouvernementale de la francophonie est de contribuer aux efforts des pays membres à améliorer la prise en compte de la diversité linguistique dans les systèmes éducatifs afin d’assurer l’accès de tous les enfants à un cycle complet d’études primaires.
Pour Adama Samassekou, directeur de l’Académie Africaine des langues (Acalan) : «Il est grand temps que l’Afrique cesse d’être le seul continent où quand l’enfant va à l’école, il est obligé d’accéder à la connaissance et à la science dans une autre langue que celle qu’il parle dans sa famille». L’une des priorités de l’Académie est de créer les conditions permettant aux langues africaines, notamment les langues transfrontalières, de devenir véritablement des langues de travail opérationnelles.
Fousséni Traoré
-Envoyé spécial à Windhoek
15 août 2005