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C’était au beau temps du marasme économique des années 80, qui avait lui-même succédé à celui des années 60. Le peuple n’était pas seulement accablé par une misère noire, mais il était frappé d’une dégradation morale affligeante, qui faisait dire aux anciens du temps colonial qu’ils se refusaient à être des Maliens, qu’ils préféraient demeurer Soudanais, c’est-à-dire des hommes honnêtes, travailleurs et respectés dans toute l’Afrique de l’Ouest.

Le Mali avait été dirigé d’abord par le descendant de Soundiata Kéïta, le Porteur de l’arc, qui lui avait redonné son nom et qui devait le remettre debout au sortir de l’ère coloniale.

Puis vint le descendant de Toura-Maghan-le Dompteur-du-sabre, réclamé par l’armée à la tête du pays (s’il faut en croire le Colonel Youssouf Traoré dans sa lettre de démission du BEC de l’UDPM), militaire et socialiste, qui échoua également à la tâche de redressement promise.

Ces deux premiers dirigeants furent même accusés, chacun en son temps, d’avoir affamé le pays et perverti le peuple. Ils avaient pourtant, l’un et l’autre, pressenti qu’il fallait se méfier de ces vieilles rengaines auxquelles les griots eux-mêmes ne croyaient plus, les “fasia” ou hymnes claniques.

Modibo Keïta avait donc proclamé l’abolition des castes, ce qui était d’ailleurs conforme aux principes de l’idéologie communiste, tandis que Moussa Traoré interdisait la diffusion sur les antennes nationales de morceaux de musique dithyrambiques pour les dirigeants, ce qui fut respecté au moins pendant toute la période du CMLN.

Décidément, comme le reconnut un homme de caste se plaignant de la récession interminable qui pesait sur le pays comme une fatalité, il fallait au Mali des dirigeants dotés du sens des affaires, capables d’attirer les capitaux dans le pays, les ancêtres guerriers n’ayant pas apporté le secours attendu.

Le ciel sembla exaucer ses voeux en faisant venir à Koulouba le président Alpha Oumar Konaré. En effet le régime d’Alpha fit pleuvoir tant d’or sur le pays qu’on construisit des monuments aux carrefours et qu’on engagea (chose jamais vue chez nous) des balayeurs de rues payés par l’Etat. Mais Alpha, chantre de la démocratie, fut vite accusé d’en être le griot, et son régime de vivre de la rente démocratique.

La vieille panacée du “sanakuya” ne fonctionne plus toujours, comme on l’a vu récemment sur la scène politique, quand un Dogon a tenu des propos hostiles à l’endroit d’un Bozo, un signal de détresse émis par notre société, et qui a été perçu par plus d’un avec inquiétude.

Mais seuls auront été surpris ceux qui avaient fermé les yeux sur les larges insuffisances de la démocratie au temps d’Alpha, sur ces grenades lancées dans les cours, ces policiers lynchés à mort… Et on a entendu d’éminents membres du mouvement démocratique dire que jamais la misère et la corruption n’avaient sévi autant au Mali que pendant la décennie d’Alpha !

Quel est le mythe qui sous-tend la paix instaurée par ATT? En attendant que les anthropologues nous dévoilent ce qui est sûrement enfoui dans nos coeurs, force est de reconnaître que l’actuel consensus est solide et fait du bien aux Maliens.

I. KOITA

10 mars 2006.