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L’Ecole fondamentale de Filamana, dans la Commune rurale de Koussan, manque de maîtres alors que des milliers d’instituteurs formés sont au chômage. Une inadéquation incompréhensible au moment où nos autorités en charge de l’Education crient victoire sur tous les toits alors qu’elles n’ont instauré qu’une école poubelle. C’est qu’au Mali, l’âne va longtemps continuer de frotter l’âne.

Deux maîtres pour six classes : c’est la triste réalité de l’Ecole fondamentale de Filamana, dans la Commune rurale de Koussan (environ 350 km au sud de Bamako). Constituée de neuf salles de classes dont trois pour le second cycle, l’école manque cruellement d’enseignants, peut-être à l’image de beaucoup d’autres écoles villageoises du pays.

Cette situation serait assez banale chez nous si, au même moment, des milliers d’instituteurs formés n’étaient pas au chômage ou ne se battaient pas pour une amélioration conséquente de leurs traitements ou leur intégration dans la fonction publique.

Jusqu’à la mi-octobre, les parents d’élèves de la Commune rurale de Koussan nourrissaient l’espoir d’obtenir la mise à leur disposition d’un nombre suffisant d’enseignants à même d’assurer l’encadrement pédagogique de leurs enfants. Les oiseaux rares ne sont jamais arrivés bien que le directeur d’école a alerté dans plusieurs correspondances sa hiérarchie qui demeure sourde.

Fatigué d’attendre, il essaye de faire contre mauvaise fortune bon cœur, en assurant avec son seul collègue les cours dans toutes les classes. Chacun est obligé de s’occuper en plus de sa classe de deux autres avec des programmes différents.

Selon, le directeur de l’école, M. Doumbia, encore contractuel, « nous pratiquons les trois systèmes : le système classique en 6e année, la pédagogie convergente en 5e, 4e et 3e années et le curriculum en 2e et 1re années ». Il ajoute que « le curriculum n’est même pas assimilé par les enseignants qui l’ont appris ». Que faire ? « Il s’agit simplement de sacrifier les enfants des pauvres paysans ».

Au Mali, selon l’annuaire national des statistiques scolaires de l’enseignement fondamental (2005-2006) publié en août 2006 par le ministère de l’Education nationale, on compte environ 3600 écoles primaires publiques (15 000 salles de classes) pour 15 300 maîtres chargés d’encadrer près d’un million d’élèves, soit en moyenne un maître pour 66 élèves. Un ratio qui dépasse la norme fixée par l’Unesco, qui est d’un enseignant pour 45 élèves.

La mauvaise répartition des enseignants selon les écoles complique encore la tâche. « Il y a une forte concentration des enseignants dans les grandes agglomérations, surtout toutes ces femmes qui suivent leurs époux dans les villes », explique un responsable de l’Association des parents d’élèves de Filamana. Ce qui fait dire aux observateurs que tous les efforts sont concentrés sur Bamako où il n’est pas rare de voir « dans des écoles de 9 classes, une quinzaine de maîtres, dont la moitié est constituée de femmes ».

Les fils de paysans exclus

Mais, une fois dans les campagnes, on mesure le désastre : des écoles presque à classe unique (six classes encadrées par deux maîtres), des cours jumelés donnés par des maîtres sans formation ni niveau académique acceptable, des établissements où presque tous les enseignants sont des vacataires contractuels, etc. On se demande si le gouvernement ne se moque pas des populations rurales, qui sont pourtant des contribuables au même titre que les citadins.

En vue de l’égalité des chances et pour en finir avec les écoles « poubelle » dans certaines zones, il serait sage de corriger le tir, car on a l’impression que des segments de la population sont exclus du système par le simple fait qu’ils se sont installés en campagne.

Au Mali, ce ne sont pas les maîtres qualifiés qui manquent. Depuis la création ou la réhabilitation en 1994 des instituts de formation de maîtres, fermés pour certains (Institut pédagogique d’enseignement général) ou ajustés pour d’autres (Ecole normale secondaire) 10 ans plus tôt, environ un million de maîtres ont été formés.

Seule une minorité a été intégrée à la fonction publique ou sert effectivement dans les classes. Or, on ne cesse d’engager des enseignants contractuels avec un salaire mensuel de moins de 35 000 F CFA payés 9 mois sur 12.

Au même moment un lot important formé aux frais du contribuable malien est mis au chômage. Le recrutement des contractuels avait été fait sur la promesse d’une intégration à la fonction publique au bout d’un certain nombre d’années. Cette promesse a été interrompue suite à des malentendus et l’entente trouvée par le gouvernement est de les aligner sur leurs collègues de la fonction publique.

Aussi prétextant de la nécessité de responsabiliser davantage les parents dans la gestion de l’école, le gouvernement a-t-il décidé unilatéralement de transférer les charges aux collectivités décentralisées sans mesures d’accompagnement adéquates, c’est-à-dire sans les compétences et les ressources. Ce qui entraîne dans le meilleur des cas des retards de salaires qui s’accumulent sur 8 voire 10 mois, un enseignement au rabais avec des « maîtres » aux niveaux académiques inférieurs à ceux des élèves.

Le ministère de l’Education détient avec celui de la Santé les enveloppes budgétaires les plus élevées. Le département de l’Education reçoit également des financements au titre de l’Initiative pays pauvres très endettés à laquelle le Mali est éligible ; des financements importants qui proviennent de l’USAID, des coopérations belge, néerlandaise et française, de l’Unesco, du Pnud, la Banque mondiale… y sont mobilisés. Cependant, ces ressources restent encore mal gérées dans des dépenses de prestige (achat de véhicules 4×4, organisations de rencontres à caractère politique, etc.), malgré les besoins de plus en plus criants.

Yaya Sangaré

16 octobre 2006.