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Échec de la Fédération du Mali procède, entre autres, au plan des causes juridiques directes, tout d’abord de la nomination d’Abdoulaye Soumaré au poste de chef d’état-major de l’Armée malienne.

Et de la destitution de Mamadou Dia, vice-président du Gouvernement fédéral, de ses fonctions de ministre de la Défense et de la Sécurité extérieure du Mali.
La nomination du colonel Abdoulaye Soumaré au poste de chef d’état-major était-elle légale ?

Modibo Keïta, en sa qualité de chef du Gouvernement fédéral, avait choisi le colonel Abdoulaye Soumaré comme chef d’état-major de l’Armée malienne. Un problème se posait alors : cet acte de nomination n’avait pas été contresigné par Mamadou Dia, ministre chargé de l’exécution de cet acte.

En effet, en tant que chef du département de la Défense et de la Sécurité extérieure, c’était à lui de poser son contreseing sur l’acte de nomination de Soumaré, colonel de l’Armée. Car, en effet, l’article 11 de la Constitution du 18 juin 1960 est clair à ce sujet.

En son dernier alinéa, il énonce : « Les actes du président, à l’exception de ceux qu’il accomplit en sa qualité de gardien de la Constitution et de son rôle d’arbitrage, sont contresignés » par les ministres chargés de leur exécution.

Il ressort de ces dispositions que ce sont les actes de Modibo Keïta qui sont visés : celui-ci était provisoirement chargé des fonctions de président de la Fédération en attendant l’élection présidentielle.

L’acte de nomination de Soumaré ne relevant pas des actes que Keïta « accomplit en sa qualité de gardien de la Constitution et de son rôle d’arbitrage », le contreseing de Mamadou Dia était obligatoire. Or Dia avait refusé de contresigner l’acte de nomination, qui est, par conséquent, illégal.

Modibo Keïta s’est, en réalité, conformé au règlement militaire du 23 juillet 1960 exigeant que le chef d’état-major soit « le plus ancien dans le grade le plus élevé ».

En l’occurrence, c’était Abdoulaye Soumaré qui répondait à ces critères en ce qu’il était, d’un côté, colonel comme d’autres- soit le grade le plus élevé au Mali – et de l’autre, le plus ancien dans ce grade.

L’illégalité de sa nomination peut donc être tempérée par l’observation de ce règlement militaire. Mais aussi par la pratique française du contreseing pour deux raisons : primo la législation malienne se référait à la loi française sauf dispositions contraires, secundo la nomination d’un chef d’état-major entre dans le cadre des actes propres du président que celui-ci exerce sans contreseing.

Mais, mise à part cette décision, d’autres ont été prises par Modibo Keïta. L’on peut, à juste titre, se poser la question de savoir si le Conseil qui leur a donné naissance a été régulièrement constitué.

Le Conseil des ministres fédéraux était-il régulier ?
C’est dans la soirée du 19 août 1960, soit une semaine avant l’élection présidentielle fédérale, qu’un Conseil des ministres fédéraux extraordinaire s’est tenu à Dakar sous la présidence de Modibo Keïta.

Il a réuni, en sus du ministre fédéral de la Justice, Boubacar Guèye, de nationalité sénégalaise, quatre autres d’origine soudanaise. Il s’agit des chefs des départements de la Fonction publique, du Travail et des Lois sociales, Ousmane Bâ; des Travaux publics, des Transports et des Télécommunications, Mamadou Aw ; de l’Information, Tidiani Traoré ; et du chef du Gouvernement, Modibo Keïta, chargé des Affaires étrangères.

Autrement dit, » cinq ministres sur huit étaient présents pour un quorum de quatre membres. D’ailleurs, les ministres absents avaient été convoqués en temps utile », d’après Pierre Gam. Ces absents étaient: Mamadou Dia, chargé de la Défense et de la Sécurité extérieure ; Abdoulaye Fofana et Doudou Thiam. Ce dernier s’était en fait présenté au Conseil avant de repartir.

Le quorum atteint et même dépassé, le Conseil des ministres a été régulièrement constitué et avait donc valablement délibéré. La présence du ministre de la délégation sénégalaise, Boubacar Guèye, vient confirmer cette manière de voir. En revanche, cela ne signifie pas que les décisions prises lors de ce Conseil soient automatiquement légales.

La destitution de Mamadou Dia de ses fonctions de ministre de la Défense et de la
Sécurité extérieure
«  Après consultation de la délégation de leur Etat, le président du gouvernement fédéral met fin aux fonctions des membres du gouvernement. »

Le quatrième alinéa de l’article 12 de la Constitution malienne du 18 juin 1960 ainsi conçu autorise Modibo Keïta seul, en sa qualité de chef du Gouvernement, à révoquer un ministre. Il va sans dire que celui-ci n’a pas consulté la délégation sénégalaise à l’Assemblée fédérale avant de destituer Mamadou Dia de ses fonctions de ministre de la Défense et de la Sécurité extérieure du Mali.

Comme il a été signalé plus haut, le texte de la Constitution ne précise pas si le Chef du Gouvernement est tenu de se conformer à l’avis émis par la délégation du pays fédéré dont le ministre à révoquer est originaire.
L’on sait que dans les normes le président d’un gouvernement a traditionnellement le pouvoir discrétionnaire de nommer ou de révoquer les ministres.

C’est ce qu’avait fait Modibo Keïta, sans consultation de l’Assemblée fédérale, en nommant Mamadou Dia par décret n° 60.125 du 16 juin 1960.
Le Chef du Gouvernement fédéral soutient qu’en vertu de cette nomination provisoire – pour deux mois jusqu’à l’élection du président de la Fédération -, nomination faite sans consultation, il peut révoquer Mamadou Dia sans consultation non plus. Pour lui, celui-ci n’était d’ailleurs pas un ministre mais un chargé provisoire de la Défense et de la Sécurité extérieure.

Ce qui pose un autre problème : la répartition des fonctions, entre Sénégalais et Soudanais, prévue par l’alinéa 2 de l’article 12, se fonde sur le système paritaire, nous l’avons largement évoqué. Keïta a donc enfreint le bon sens qu’exige l’interprétation des constitutions, la nomination d’un ministre devant être, en principe, proposée par l’Etat membre dont celui-ci est issu.

Même si son attitude peut être atténuée : il avait nommé un Sénégalais originaire de Saint-Louis, en l’occurrence le colonel Abdoulaye Soumaré. La décision de destituer Mamadou Dia peut être, elle aussi, selon Guédel N’Diaye, tempérée par la pratique française du contreseing.

Légales ou illégales, ces décisions ont eu des conséquences qui, en partie, ont fait sonner définitivement le glas de la Fédération du Mali dans la nuit du 19 au 20 août 1960.

Zoubeirou MAIGA

13 septembre 2005.