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Le 26 Mars passé, comme chaque année, depuis les événements de mars 1991, le Mali célèbre les martyrs qui se sont battus pour l’avènement de la démocratie, d’une société juste, prospère et équitable. Ainsi, la tradition est respectée dans la ferveur, le recueillement, la communion. Le clou des évènements commémorant le 26 mars 1991, reste la pose par le chef de l’état Amadou Toumani Touré, de la gerbe de fleurs au monument aux Martyrs.
Ousmane Issoufi Maïga Premier ministre, membres du gouvernement, représentants des institutions de la République, du corps diplomatique, de l’Association des victimes de la répression (ADVR), parents et amis des victimes étaient présents à la cérémonie.
Durant la semaine commémorative, de nombreuses manifestations ont eu lieu.

Les journaux titrent :

Les Echos du 27 mars 2006 titre : « ATT au monument aux martyrs, « Nous avons un devoir de souvenir « .

Les Echos du 27 mars 2006 titre : « Quinze ans après, La jeunesse, parent pauvre du 26 mars ».

Nouvel Horizon du 27 mars 2006 titre : « Commémoration du 26 mars, Tradition respectée ».

Soir de Bamako du 28 mars 2006 : « Les nostalgiques du mouvement démocratique et du 26 mars, Le danger de la récupération politique ».

La célébration du 26 mars 1991, un facteur de rapprochement entre acteurs politiques ?

« Si au début, la célébration du 26 Mars 1991 à la mémoire des martyrs était interprétée différemment par les acteurs politiques en particulier, en raison des propos qui sont tenus en la circonstance, force est de constater qu’au fur et à mesure du processus démocratique, il se crée un rapprochement entre les acteurs politiques.
En effet, tous convergent vers les mêmes souvenirs vis-à-vis de cet événement qui a permis de tourner la page de l’histoire récente de notre pays. Toute chose qui est de nature à consolider les liens entre les composantes de la nation qui est en train de se renforcer. En effet, une nation, c’est avec l’existence de souvenirs communs, d’histoire commune, en plus du partage du territoire des textes juridiques, de la langue entre autres et au-delà des différences linguistiques, de dialectes..
Le 26 mars, en raison de son contenu historique mais aussi de la cohésion sociale qu’il est en train d’engendrer, peut être de nature à permettre à l’ensemble de la population de transcender l’essentiel des contradictions entre les membres d’une même communauté. Telle est l’ambition de l’ensemble de la classe politique et de la société civile aujourd’hui dans un contexte politique nouveau de consensus, à la faveur duquel toutes les sensibilités politiques participent à l’action gouvernementale.
A ce rythme, progressivement, on va vers la disparition de la race de restaurateurs tels que redoutés par les membres du mouvement démocratique : acteurs politiques, membres des associations démocratiques. Nous sommes, en effet dans une nouvelle dynamique politique susceptible de réconcilier l’ensemble de la classe politique, comme l’a souhaité le président de la République depuis sa conquête du pouvoir en 2002. Cela passe par la mise en application de son slogan de campagne, selon lequel il a émis un voeu ardent en ces termes : “Retrouvons ce qui nous unit”.
Politiquement, on évolue lentement mais sûrement vers cet objectif représentant le socle de la paix sociale et de la stabilité politique.
», écrit Nouvel Horizon du 27 mars 2006.

Etat du processus démocratique au Mali depuis le 26 mars 1991…

« Le 26 mars, considéré comme un repère, met l’ensemble du peuple malien face à ses responsabilités, celles de la reconnaissance des sacrifices consentis par des compagnons de lutte pour l’avènement de la démocratie au Mali. Les martyrs, leur esprit, le sens de leur sacrifice, tout cela nous interpelle et nous responsabilise. Il ne s’agit pas, par là, de se cantonner à ce souvenir pour occulter l’essentiel, la construction d’un Mali démocratique, prospère et uni. Ce combat est un processus de longue haleine et c’est à ce niveau qu’apparaissent autant les acquis fondamentaux du processus démocratique que ses tares.
Le bilan du président de la République est attendu en cette fin de mandat pour une évaluation sans complaisance de sa gestion du pouvoir. C’est avec sérénité que le pouvoir doit présenter ce bilan qui, du reste, sera apprécié globalement. Ainsi ferons-nous face à la balance des réalisations par rapport à la demande sociale, aux attentes des populations. Et avec une telle approche méthodologique, il va de soi qu’on trouve toujours à redire par rapport à un certain nombre d’aspects.
La qualité de la gouvernance, pour les uns et les autres, se révèle toujours mitigée, pace que la demande sociale est hiérarchisée et c’est en fonction des priorités dégagées par les autorités en place qu’est conduite la gestion des affaires publiques.
Dans le processus démocratique il est illusoire de penser que tous seront d’accord avec les actes posés jusqu’ici, les priorités étant différentes comme les centres d’intérêt. Tout ce qui est irréfutable, c’est que l’anniversaire du 26 mars incite à faire un bilan, certes pas exhaustif du processus démocratique, en tout cas, à jeter un regard rétrospectif sur le processus démocratique. Cela est de bonne guerre avec l’existence des sentinelles de la démocratie qui veillent au grin. Constamment.
Au stade actuel, ce qui est sans ambiguïté, c’est que le processus démocratique ne se porte pas si mal, malgré l’existence de nombreux problèmes.
», écrit Nouvel Horizon du 27 mars 2006.

« On entend souvent dire que le 26 Mars a été une tragique bouffonnerie, que la révolution malienne, à la différence de celle qui a aboli la monarchie en France au profit de la république ou de cette autre qui a fait passer la Chine de la féodalité à la modernité, grâce au  »grand bond en avant » maoïste, n’a pas généré un ordre nouveau.
La démocratie ? Elle existe davantage sur le papier que dans la réalité. Tant elle tarde à prendre forme dans le corps social, à s’incruster dans le comportement des gens. A devenir un réflexe. Sa définition la plus généralement admise est  »le pouvoir du peuple, par le peuple et pour le peuple ». Mais le peuple ne s’approprie ce pouvoir que par des élections libres et transparentes.
Se trouvant au Mali comme observateur aux élections générales de 1997, l’intellectuel et homme politique béninois, Robert Dossou, relevait que  »les élections sont le socle de la démocratie et qu’en l’absence de bonnes élections, il est illusoire et vain de parler de démocratie ».
Ces observations qu’il formulait à la faveur du grand cafouillage électoral de 1997 (le COPPO, lui, préférait le mot  »désastre ») restent toujours d’actualité. Les élections sont le talon d’Achille de la démocratie malienne. Elles affichent en permanence des taux de participation ridiculement bas (autour de 20%) qui leur enlèvent toute crédibilité. Nos dirigeants politiques, à quelque niveau de responsabilité qu’ils se trouvent, sont mal élus. Et souffrent, en conséquence, à la fois d’un manque de légitimité et de légalité.
Il y a là, assurément, une immense lacune à combler pour que la majorité de nos concitoyens puissent se reconnaître dans les élus, s’identifier à eux et se sentir concernés par l’action publique posée en leur nom. Et que la démocratie malienne sorte de l’état caricatural où elle se trouve actuellement.
Force est de constater que le retour aux affaires en 2002 de ATT par la voie des urnes, s’il s’est révélé un facteur de stabilité de la vie politique nationale (fini le contentieux électoral entre l’ADEMA et l’opposition radicale et les intrigues quotidiennes pour déstabiliser l’exécutif) n’en a pas moins favorisé un affaiblissement du système démocratique. En ce que les partis politiques, animateurs constitutionnels de l’activité politique, ont été mis en hibernation. Une situation qui pourrait se proroger cinq ans encore à partir de mai 2007, si ATT se représentait devant les électeurs, comme on lui en prête le désir. Dire que  »la consolidation des partis politiques » figurait en bonne place au nombre des thèmes électoraux favoris du Général candidat.
Les droits humains ? Certes, les enlèvements d’individus qui disparaissent sans laisser de trace, les tortures jusqu’à ce que mort s’ensuive, les emprisonnements sans jugement ont cessé avec la dictature militaro-civile. Mais nombre de droits humains continuent à être violés par l’administration, les agents de la force publique (policiers, gendarmes). La justice elle-même est accusée d’abus et de dérapages. Institué par Alpha Oumar Konaré pour prendre en charge ces frustrations et iniquités en tous genres, l’Espace d’Interpellation Démocratique (EID) après avoir suscité un formidable engouement au départ, a fini par sombrer dans un cruel anonymat.
Le mieux-être des populations ? On sait qu’avec la quête d’une école performante, il a constitué la lame de fond qui a fini par balayer l’ancien régime. Mais autant l’école malienne est toujours enlisée dans la gadoue, autant les travailleurs continuent à se lamenter de la vie chère, de leurs bas salaires qui ne leur permettent pas de joindre les deux bouts. Sans compter le chômage endémique chez les jeunes diplômés, qui les oblige à tenter de rejoindre l’eldorado européen, y compris – phénomène tout à fait nouveau – au prix de leur vie.
Difficile de soutenir, dans ces conditions, que le Mali démocratique se porte mieux économiquement que l’autre Mali, celui des années sombres de Moussa Traoré et compagnie ? Surtout si l’on garde à l’esprit le Rapport mondial sur le développement humain 2005 qui a classé notre pays au 174ème rang sur 177. L’Observatoire pour développement humain durable (ODHD) qui est un organisme local, a estimé, pour sa part, dans une étude publiée en mai 2005, que 68% des Maliens ne parvenaient pas, jusqu’en 2003, à gagner annuellement les 144 022 FCFA considérés comme le minimum en deçà duquel l’on est considéré comme pauvre dans notre pays.
Des chiffres qui illustrent, hélas, l’importance des défis à relever pour faire du Mali un havre où il fait bon vivre.
», écrit L’Indépendant du 27 mars 2006.

L’Association des victimes de la répression …

« L’ADVR est incontournable à l’anniversaire du 26 mars. Depuis le 22 mars, on s’active notamment à Bamako aux préparatifs de la commémoration de l’anniversaire des événements de Janvier à Mars 1991. La semaine des martyrs officiellement instituée est le cadre de la série d’activités en cours depuis le 22 mars.
Les membres de l’association des victimes des événements ont déjà procédé au dépôt de gerbes de fleurs au Carré des martyrs. C’était leur cadre, différent de celui des autorités du pays qui, après avoir pris part à la célébration de l’anniversaire de la mort de Abdoul Karim Camara dit Cabral le 17 mars, s’étaient donné rendez-vous le 26 mars autour du monument aux Martyrs pour leur rendre des hommages solennels. Les membres de l’ADVR étaient naturellement présents à cette rencontre quoique organisée par les plus hautes autorités du pays, puisque se sentant concernés par toutes les activités qui ont trait aux martyrs de la révolution de Janvier à Mars 1991.
Cette année, l’ADVR n’a pas un cahier de revendications. Cela est logique quand on sait qu’au fur et à mesure que le temps passe, sans oublier des événements, on prend un recul par rapport à certains aspects, notamment en raison de la prise en charge progressive des doléances, dont l’indemnisation des parents des victimes était un aspect essentiel. A présent, il ne reste plus que les aspects relatifs à la poursuite de la prise en charge de certaines victimes qui continuent de subir les séquelles de leurs blessures. Il s’agit des balles qui ne sont pas encore extraites de la chair. Ces cas délicats représentent encore des préoccupations pour l’ADVR. Est-ce encore le cas pour les plus hautes autorités au pays ?
A l’ADVR on continue à s’interroger sur cette question. C’est ce qui ressort des échanges que nous avons eus avec le président de l’ADVR Amadou Diawara qui a exprimé quelques griefs par rapport à l’attitude des autorités, vis-à-vis de certaines victimes d’une part et à celle des acteurs politiques d’autre part, en raison du fait que des élections législatives partielles ont été organisées en Commune V et à Mopti le 26 mars. Selon Amadou Diawara, cette année l’ADVR a placé la célébration du 26 mars sous le signe des soins médicaux. Ainsi ils ont tenu à mettre l’accent sur la prise en charge des victimes qui souffrent encore. Il a regretté le fait que le gouvernement n’était pas au rendez-vous avec l’ADVR au Carré des martyrs. “Cela nous a beaucoup touchés, c’est un pas en avant, deux pas en arrière”, a-t-il dit.
D’autre part, a déploré M. Diawara, les promesses faites par le ministre du Développement social n’ont pas été respectées. Pour cette année, l’ADVR n’a pas organisé de conférence de presse, estimant qu’au cours de la conférence-débats qu’elle a organisée, toutes les préoccupations ont été exprimées. Par ailleurs, M. Diawara a déploré que les autorités organisent les élections législatives partielles à la date du 26 Mars et que la classe politique n’y ait pas vu d’inconvénient. Il accuse la classe politique d’avoir cautionné une telle décision.
Se prononçant par rapport aux victimes des événements de Janvier à Mars 1991 qui continuent à souffrir des séquelles de leurs blessures, il a dit que leur état s’explique par le degré d’atteinte et la qualité des balles utilisées. Toutes choses qui, selon lui, ne pourraient être expliquées clairement que par les auteurs de ces actes de barbarie, a-t-il conclu.
», écrit Nouvel Horizon du 27 mars 2006.

Pour réhabiliter la journée mémorable du 26 mars 1991,, les anciens de l’AEEM ont organisé plusieurs conférences débats le 25 mars dans les lycées du District de Bamako. Elles portaient sur le rôle et la place de l’AEEM dans l’avènement de la démocratie. Il s’agissait d’exhorter les responsables actuels du Mouvement estudiantin à tenir haut levé le flambeau de la lutte pour la performance de l’école malienne, la démocratie et les droits de l’homme.

« Le quinzième anniversaire de la révolution de mars 1991 n’aura pas été uniquement une journée de recueillement à la mémoire des martyrs. Il a été l’occasion pour les fondateurs de l’AEEM de se retrouver et de réitérer leur volonté de sauvegarder la mémoire des martyrs.
Au lycée Ibrahima Ly, Ismaïl Yoro Dicko, ancien secrétaire général de l’AEEM de l’ENA, Fousseni Sidibé dit Fou, ancien secrétaire général de l’AEEM du Lycée Technique étaient face aux élèves du lycée Ibrahima Ly.
D’entrée de jeu, Ismaïl Yoro Dicko a déclaré qu' »aujourd’hui, tout le monde est devenu homme dans ce pays. Les gens se sont battus pour l’avènement de la démocratie. On ne peut pas renforcer la démocratie si les gens oublient les martyrs. Il faut dénoncer cet état de fait. Aujourd’hui, la démocratie malienne marche à reculons. On a l’impression de revenir en arrière, à l’étape de la création de l’AEEM. Les gens ont peur d’assister aux rencontres de l’AEEM. Il faut persister. Si on baisse les bras, le 26 mars va disparaître au grand plaisir des anti-démocrates qui sont cachés parmi nous. Jeunes, ne soyez pas des nuls. Il faut travailler. Le 26 mars, c’est pour une école performante. Il ne faut jamais casser quoi que ce soit. Votre droit, c’est faire des pétitions, d’organiser des marches pacifiques ». Même son de cloche chez Fousseyni Sidibé dit Fou qui a affirmé : « Oui au pardon, mais non à l’oubli ». II a déclaré aux jeunes que le 26 mars 1991 a été le couronnement d’un long combat. Selon lui, la chute de Moussa a été le fruit d’une action collégiale. Au premier rang, il a cité les acteurs de l’école qui se sont battus même étant en exil. « L’AEEM a été le fer de lance de la chute du régime de Moussa Traoré », a-t-il laissé entendre. Selon lui, ce qui a motivé le reste de la société contre les militaires après les élèves et étudiants c’est la détermination des femmes dans le combat. Il a aussi salué l’action des mouvements démocratiques. Il s’agit de l’AMDH dirigée à l’époque par Me Demba Diallo, le CNID, l’ADEMA.
Suite à ces interventions les élèves qui n’étaient que quelques dizaines, ont pris la parole pour poser des questions. Des interrogations ont porté sur les changements qui sont intervenus dans l’AEEM après le 26 mars 1991, les préoccupations par rapport au pacte de partenariat pour une école apaisée et performante.
Selon le secrétaire général de l’AEEM du Lycée Ibrahima Ly, le partenariat pour une école performante et apaisée est un piège tendu par le gouvernement afin d’arriver à dissoudre l’AEEM. « L’AEEM n’a aucun intérêt dans ce protocole d’accord », a-t-il affirmé.
Les conférenciers ont pris l’engagement d’aller s’informer sur le contenu de ce partenariat afin d’apporter leur soutien à l’AEEM.
», écrit L’Indépendant du 28 mars 2006.

La jeunesse, parent pauvre du 26 mars…

Après 15 années d’exercice démocratique, la jeunesse malienne demeure dans une large mesure le parent pauvre, l’inconsidéré, l’oublié, le martyr et l’éternel incompris. C’est le cri de cœur lancé par le Collectif des associations de jeunesse du mouvement démocratique (Adide, AEEM, AJDP) qui a organisé samedi une conférence-débats à la Maison des jeunes sur le thème : « le 26 mars, la jeunesse et la démocratie.

« Pour commémorer les 15 ans de la démocratie malienne, le Collectif des associations de jeunesse du mouvement démocratique a organisé une conférence-débats sur le 26 mars, la jeunesse et la démocratie. Une occasion pour ces jeunes de faire le bilan de l’avènement démocratique.
Un bilan jugé d’ailleurs mitigé. Car, à en croire le président du Collectif, Youssouf Maïga, la jeunesse toujours qualifiée dans les discours de force vive incontournable de la nation, demeure le parent pauvre, l’inconsidéré…
Selon M. Maïga, malgré les efforts déployés, l’emploi constitue toujours une préoccupation partagée par les familles maliennes.
L’absence d’une vision cohérente pour la résorption du chômage et l’absence de politique de renforcement des capacités des jeunes font que toutes les actions de création d’emplois au profit des jeunes connaissent des résultats mitigés.
La jeunesse malienne est gravement malade et a besoin d’être soigné. « Après tous les sacrifices consentis pour l’avènement de la démocratie, la jeunesse malienne ne mérite pas le sort qui est le sien actuellement », a-t-il lancé.
En l’absence de deux conférenciers Mme Sy Kadiatou Sow, Dr. Oumar Mariko et du modérateur Mamadou Lamine Traoré, Sidy Camara et Modibo Diakité ont développé le thème.
Ils ont surtout invité les jeunes à se former, à s’armer de courage tout en ayant conscience de leur rôle dans la société.
Sidy Camara a par ailleurs invité le gouvernement à élaborer une loi d’orientation de la promotion de l’emploi. Une loi qui dégagerait des orientations claires, des objectifs prioritaires et qui mettra en synergie toutes les structures œuvrant pour la promotion de l’emploi des jeunes.
», titre Les Echos du 27 mars 2006.

Un officier supérieur de l’armée malienne, le colonel Assimi Souleymane Dembélé, raconte la nuit du 26 Mars 1991, nuit, où, le pouvoir militaire chuta …

« 26 Mars 1991 : la nuit ou le pouvoir militaire chuta

Un officier supérieur de l’armée malienne raconte

Né en 1935 à Mourdiah, brillant officier du Génie militaire formé au Sénégal, en France, en ex-Union Soviétique et aux Etats Unis d’Amérique, le colonel Assimi Souleymane Dembélé a le mérite d’être l’un des rares hauts gradés de l’armée malienne, s’il n’est pas le seul, à consacrer un livre au régime militaire qui a gouverné le Mali d’une poigne d’acier entre le 19 novembre 1968 et le 26 mars 1991. Cet ouvrage a été publié sous le titre de «Transferts définitifs» aux Editions Le Figuier, en 2003. Au moment où le Mali commémore le 15ème anniversaire de la chute de la dictature militaire, nous avons jugé opportun de vous livrer le témoignage de celui qui fut un haut représentant de la hiérarchie militaire et un observateur privilégié de ces années de braise que le Mali a vécues. Le chapitre que nous publions ci-dessous est intitulé : «La fin du pouvoir militaire : mars 91 l’apocalypse».

« Les rues de Bamako, à cette heure de pointe matinale, vivaient au rythme des événements qui secouaient le pays tout entier.
Le colonel Souley au volant de sa voiture, rejoignait son service, au ministère de la Défense nationale en empruntant justement une de ces principales artères à haut risque tout en espérant atteindre sa destination sans encombre, quand, au niveau du rond point du seul hôpital de la ville, une clameur lui parvint.
La colonne de véhicules dans laquelle il roulait se trouva brusquement bloquée. Un essaim d’élèves de la célèbre et redoutable Association des Elèves et Etudiants, en conflit ouvert contre le pouvoir prit possession de la rue.
Soudain, un adolescent sauta par dessus les étals des marchandes de légumes avec toute l’énergie de sa jeunesse poursuivi par ses camarades. Malheureusement il ne pouvait leur échapper en raison du nombre des poursuivants et de l’encombrement de la voie. Il fut rattrapé et fauché dans sa course.
Etalé sur le goudron, il n’eut d’autres recours que de se protéger la tête avec ses bras croisés. Combien étaient-ils à le tabasser ? Cent ? Deux cents ? En quelques secondes, il fut assommé et resta inerte le long du trottoir, personne n’osant lui porter secours.
Observant ce corps allongé à quelques mètres de sa voiture, le colonel Souley fut parcouru d’un frisson à la pensée que ce garçon pouvait avoir le même âge que son premier fils. Il resta pétrifié dans sa voiture tambourinée par les élèves surexcités.
Certains d’entre eux se couchaient sur son capot en proférant des menaces : « A bas le Général Président ! A bas l’Armée ! A mort tous les généraux et colonels criminels ! Article 320 ! ». L’article 320 signifiait « tuer par le supplice du feu », le litre d’essence pour arroser la victime coûtant 300 F CFA et la boîte d’allumette 20 FCFA.
Le colonel Souley, dans son uniforme d’officier, réalisa qu’il était en danger de mort. Cependant, il eut la chance d’être décoiffé, le béret vert caractéristique de l’armée nationale, étant jeté sur le siège arrière. Il n’attira donc pas l’attention des élèves aveuglés par leur surexcitation.
Il n’osa pas penser à ce qui lui serait arrivé s’il avait été dévisagé et, se rappelant sa première frayeur de soldat à son baptême de feu au cours duquel sa compagnie perdit le quart de son effectif, il comprit que celle qu’il éprouvait en ce moment était indicible.
Mourir cent fois sur un champ de bataille eût été pour lui un moindre mal au regard de ce qui lui serait arrivé maintenant : lynché, humilié par ces élèves de l’âge de son fils, déchaînés comme des démons.
Soudain, la sirène des troupes de choc du groupement mobile de Sécurité (GMS) retentit et la rue se vida aussitôt. Le colonel ne se posa pas mille questions, dès qu’il eut le champ libre, il démarra sur les chapeaux de roues : il venait d’échapper à une mort humiliante. Il avait cependant eu le temps d’entendre crier sur le trottoir que le garçon lynché était un dissident du mouvement estudiantin et qu’il était considéré comme un traître à la solde du pouvoir.
Les autorités ne se doutaient certainement pas que cette crise scolaire serait le départ d’un vaste mouvement insurrectionnel. Ce fut là une grave erreur, une erreur mortelle pour le pouvoir qui avait espéré trouver la solution dans une simple action d’intimidation.
La crise prit une autre tournure, les syndicats entrèrent dans la danse à leur tour et un troisième larron, tapis dans l’ombre, se révéla plus dangereux. Il s’agissait des mouvements dits démocratiques, clandestins, hostiles au régime et animés par d’habiles manipulateurs d’hommes.
La capitale s’embrasa, les artères furent coupées avec des barricades de pneus enflammés, les symboles de l’Etat furent pris d’assaut et mis à sac et, partout, des casses et incendies de maisons, de commerce, de domiciles de personnalités politiques et gouvernementales.
En permanence, il tombait sur la ville une fine pluie de cendre accompagnée d’une odeur âcre de brûlé qui vous étouffait. Bamako brûlait. La violence eut droit de cité et les magasins, les usines, les grandes surfaces et les entrepôts furent pillés.
Les autorités étaient prises à la gorge par une ingénieuse guérilla urbaine. Les élèves et étudiants, galvanisés et guidés par de vrais artistes en la matière, attaquaient simultanément, tous les points sensibles de la ville. Les responsables du parti unique, les ministres, leurs familles et intimes se trouvaient dans une insécurité totale. Certains avaient déserté leur résidence et évitaient de se déplacer dans leur voiture de fonction.
Les forces de l’ordre furent déployées, mais l’insuffisance des effectifs faisait que leurs interventions ressemblaient à la course effrénée et désordonnée d’un homme pourchassé par un essaim d’abeilles.
Le pauvre ministre de la Défense nationale, chargé du maintien de l’ordre, ne savait plus à quel saint se vouer. Il crut sincèrement qu’une simple intimidation aurait suffi à stopper cette flambée de violence ; conséquemment, un poste de commandement opérationnel fut installé sous la responsabilité du chef d’Etat Major de la Gendarmerie Nationale, lequel PC était coiffé par une cellule de crise sous l’autorité du chef d’Etat Major Général des Armées et comprenant tous les Chefs d’Etat Major des différentes Armées le tout chapeauté par le Ministre de la Défense Nationale lui même, le général Mamadou Couloubaly.
Très vite, les forces de maintien de l’ordre furent submergées. Tour à tour, les commissariats de police de la capitale firent preuve d’une incapacité notoire à endiguer la furie des casseurs, et des pyromanes.
La police ne disposant pas de caserne, les familles en location dans les quartiers populeux, étaient énormément fragilisées par leur isolement dans un environnement hostile.
Soucieux donc de la sécurité des leurs laissés sans défense dans des quartiers désormais à haut risque, les agents ne manifestaient plus aucun enthousiasme dans l’accomplissement de leur mission.
La situation devenait de plus en plus infernale pour les forces de l’ordre. Elles avaient en face d’elles une véritable insurrection qui embrasait non seulement la capitale mais commençait à s’étendre à l’ensemble du pays.
En raison de l’insuffisance des effectifs de la Police, l’armée fit son entrée dans le jeu en violation de la procédure légale. Les troupes envoyées au Nord pour réduire la rébellion furent rappelées. Des engins de guerre firent leur apparition aux points névralgiques de la capitale, disposition prise dans le cadre des mesures sincères de dissuasion envisagées par le ministre de la Défense nationale.
Tout bascula dans l’horreur en l’absence de ce dernier envoyé en mission au titre du Parti unique. Avant son départ, il aurait ordonné la réintégration des engins dans leurs unités respectives. Rien n’en avait été. Pourquoi ? Le saura-t-on jamais ?
On eût dit que la présence de ces engins avait été le levain de la flambée de violence. Les manipulateurs invisibles savaient que la défense de son matériel de combat, en l’occurrence son arme, revêt pour le soldat, un caractère foncièrement sacré et ils étaient persuadés qu’il y aurait une réaction violente de la troupe si jamais elle était agressée dans le cadre de la protection de son matériel de combat.
Il ne restait plus qu’à trouver des troupes d’assaut. De véritables légions de jeunes garçons et jeunes filles, furent lancées à l’assaut des positions militaires. Toutes les grandes artères, furent étrangement bouclées par des véhicules bondés de soldats, surgis d’on ne sait où. L’apocalypse s’abattit sur la ville. Une folie meurtrière s’empara des rues, des usines et du centre commercial.
Une symphonie sinistre, faite du crépitement des mitraillettes, du ricanement rauque des mitrailleuses, des grondements des grenades, du soufflement des lance-flammes, du ronflement rageur des véhicules et engins et des cris des blessés, des agonisants et des mères éplorées, monta au ciel.
L’insurrection se radicalisa. La puissante centrale des syndicats décréta une grève illimitée. Les femmes, épouses, pères et sœurs des victimes sortirent dans les rues. Les morgues des hôpitaux s’emplirent suite à la rage des enfants allant à la mort.
Incroyable ! Le plus enragé de la légion étrangère, ne sèmerait pas ainsi la mort sur son passage, le plus écervelé d’un commando Viêt-Cong n’irait pas ainsi à la mort.
Que s’était il passé soudainement et dans les rangs des assaillants et dans ceux des troupes?
Impossible, inimaginable ! D’un côté, les enfants offraient leur ventre nu aux balles de l’autre, même les malades mentaux des trottoirs étaient mitraillés impitoyablement. Le monde ici, avait basculé dans la folie de tuer ou de se faire tuer. La poudre brûlait et le sang chaud coulait à flot.
Dans l’histoire des guerres et des batailles célèbres, dans la nuit des temps et à travers le monde, on a beau reconnaître que l’odeur âcre de la poudre brûlée mêlée à celle, pénétrante, du sang chaud enivre l’homme en action et le pousse à des excès, ceci ne saurait expliquer cette rage de part et d’autre.
Etait-il possible que des enfants nés hier, puissent braver des engins de la mort, livrer leur ventre nu aux balles, sans la moindre précaution de protection ?
On a vu une fille, à peine pubère, éventrée par un éclat de grenade, refuser le secours qu’on lui portait et crier ; « Non ! Allez y ! Ne vous occupez pas de moi. La lutte continue, nous vaincrons ».
Etait il possible que des Maliens tuent froidement et sans discernement d’autres Maliens, leurs enfants, leurs frères et sœurs et même d’innocents malades mentaux ? Etaient ils devenus soudainement des criminels aveugles ?
Dans ces camions militaires « ECU ». Ces Lands TOYOTA roulant à tombeau ouvert et semant la mort sur les trottoirs, dans les magasins et même dans les cimetières, y avait il réellement des « Maliens » ? Et ces armes, ces lance-flammes, ces grenades incendiaires qui, jusqu’au 26 Mars 1991, n’étaient pas en dotation dans les Forces Armées et de Sécurité du pays ?
C’était une totale confusion. L’Etat était ébranlé jusque dans ses soubassements. Existait il réellement en ces moments tragiques ? Il se résumait à ceci : un organe suprême du Parti unique et un gouvernement totalement désemparés ; une Assemblée Nationale dans l’expectative, une cellule de crise et un PC opérationnel sevrés des directives d’un département de tutelle en l’absence du Ministre titulaire en mission, des troupes de maintien d’ordre, sans discipline de feu, coupées de leurs chefs, enfin un chef d’Etat qui ne savait plus à quel saint vouer son âme.
Ses services de renseignement ayant fait preuve soit d’une carence totale soit de complicité, son Armée et ses services de Sécurité confrontés à un désordre inouï, son gouvernement, son Assemblée Nationale et la Direction de son Parti unique ne lui étant plus d’aucune utilité, son ministre de la Défense absent, il était tragiquement fragilisé et laissé à la merci de conseillers occultes dont la sincérité et la clairvoyance n’étaient pas évidentes.
Devant cet imbroglio, on se posait les questions suivantes Qui a tiré ? Qui a ordonné de tirer ?
A présent, ces deux questions demeurent sans réponse. Peut-être, le mystère aurait il été en partie élucidé si une expertise balistique était intervenue…
Entre temps, au grand soulagement de son intérimaire, le Ministre de la Défense Nationale était de retour de mission. Il constata avec une profonde amertume les dégâts causés en son absence. Le mal était fait, il ne lui restait qu’à jouer au sapeur pompier. Son talkie walkie était devenu à la fois son fidèle compagnon et son persécuteur permanent.
Il n’arrêtait pas de fonctionner soit pour lui signaler l’assaut des assaillants à des points sensibles soit pour faire arrêter des tueries soit pour l’inviter à prendre des mesures de protection au profit de la famille d’un haut dignitaire etc.
Il n’en pouvait plus de toutes ces sollicitations dont certaines, formulées sur un ton péremptoire, ne lui laissaient aucune alternative. La maison brûlait. Le brasier était dévastateur. Il ne faisait plus l’ombre d’un doute que la République était agonisante. Il en avait conscience, mais foncièrement légaliste, il tentait désespérément de sauver les meubles.
Ce fut un dilemme affreux pour cet officier réputé être un homme de principe, courageux de ses opinions et dont les prises de position tranchantes dérangeaient souvent, à plus d’un titre, certains intellectuels démagogues, opportunistes et corrompus.
On dit chez nous : « Quand les premières lignes ennemies se situent derrière les murs des premières maisons, aucun rite ne saura conjurer la prise du village ». Le Général Mamadou Couloubaly voulut alors tenter une ultime démarche auprès du Président. Pour ce faire, il donna rendez vous à des officiers, ses plus proches collaborateurs dans cette crise. Aucun d’eux ne se présenta. Il ne s’attarda pas à analyser cet acte d’insubordination et dut se résoudre à accomplir tout seul cette délicate mission. Oui, il se retrouva désespérément seul, face à l’immensité de sa responsabilité nationale.
Il faisait nuit. En descendant de sa voiture, le Général Couloubaly, ce bel officier malgré son handicap physique à la suite d’un accident d’avion (il fut pilote), avait le dos sensiblement voûté sous le poids de ce qu’il s’apprêtait à entreprendre. Il se rappela alors, les instructions qu’il avait données ce matin, à son Directeur de Cabinet, ce jeune colonel d’aviation d’une intelligence rare. Il se répéta une fois de plus et péremptoirement sa dernière phrase, fort mystérieuse : Ce sera mon ultime démarche. Fasse Dieu que j’arrive à le convaincre. Si jamais j’échouais …
Le Général Couloubaly n’eut pas le temps d’apprécier la réussite ou l’échec de sa démarche car, en plein entretien avec le Général Président Moussa Traoré, il fut surpris par l’entrée intempestive d’un jeune Colonel, Amadou Toumani Touré, entouré d’une poignée de commandos parachutistes en armes. Il s’agissait du Commandant de la garde présidentielle, cet autre jeune colonel dynamique et intelligent qui avait été guidé par le propre aide de camp du Président à travers les dédales du palais.
Le Président et son ministre de la Défense étaient tous deux des officiers généraux qui connaissaient ce colonel dont l’irruption dans le bureau Présidentiel sans y être invité et entouré de ses hommes en armes ne saurait avoir mille interprétations. Ils comprirent qu’une page de leur vie, en même temps que celle de l’histoire de ce pays, venait d’être tournée définitivement.
Oui, 23 années de pouvoir venaient de prendre fin. L’homme ne pouvant échapper à cette puissance surnaturelle qui gouverne inexorablement notre existence, le Général Couloubaly, dans l’accomplissement d’une mission presque désespérée pour empêcher que le sang des innocents ne coule davantage, vit en une fraction de seconde son destin se confondre avec celui de son président.
Ainsi va la vie ! L’apocalypse emporta tragiquement des innocents en même temps qu’elle balayait impitoyablement, irrémédiablement, les derniers et principaux acteurs de 23 années de notre histoire.

Pour le Mali, une ère nouvelle s’ouvrait. »

L’Indépendant du 27 mars 2006.

Entretiens avec quelques grandes figures emblématiques de la politique malienne, et quelques célèbres représentants d’associations ou de syndicats, comme Bakary Konimba Traoré, secrétaire politique du RPM ; Tiébilé Dramé, président du Paréna, ; Soumeylou Boubèye Maïga premier vice-président de I’ADEMA ; Oumar ibrahim Touré (Urd) ; Traoré Oumou Touré, présidente de la CAFO ; Me Brahima Koné Président de l’AMDH ; Tierno Diallo, directeur de la pyramide du souvenir et Maouloud Ben Kattra, un responsable du SNEC et de l’UNTM, à propos du 26 mars …

« Entretien avec Bakary Konimba Traoré, secrétaire politique du RPM…

L’Indépendant : Monsieur Bakary Konimba Traoré, vous êtes l’un des principaux acteurs de la révolution du 26 mars. Peut-on savoir les raisons qui ont motivé votre combat?

Pionnier : Merci de vous avoir intéressé à ma modeste personne. Que la paix et la sérénité de Dieu soient sur le peuple malien.
Ceci dit, acteur du 26 mars, je ne pourrais pas dire qu’en tant que Bakary Pionnier Bikoté, je me classe parmi les principaux acteurs de la révolution, c’est aux autres d’en juger.
Je sais, en tout cas, qu’à l’avènement du régime militaire le 19 novembre 1968, jeune étudiant à l’ENA qui était rentré en octobre 1968, au lendemain du coup d’Etat je me trouvais avec des aînés, amis et cadres au nombre de sept ou neuf où l’analyse du coup d’Etat fait apparaître la nécessité de s’organiser pour débarrasser le pays d’un régime militaire. Nous avions pensé que cela pouvait prendre le temps d’une génération de 20 à 25 ans, mes autres collègues avaient pensé que ça ne durerait pas. Mon avis était autre. La motivation réelle est que le coup d’Etat n’a pas permis au Mali de poser des avancées démocratiques. Au fur et à mesure que le régime se raffermit, que le régime a pris un pied au niveau politique, monopolisé la pensée politique, on a débouché sur un parti unique. Je rappelle du reste qu’en 1974, je faisais partie de l’équipe de ceux qui avaient fait des tracts et qui ont été emprisonnés à Taoudenit et Inakounder.

L’Indép. : Les valeurs pour lesquelles vous vous êtes battus sont-elles consolidées ?

Pionnier : C’est de façon pérenne qu’il faut construire cela. Il ne faut pas se faire des chimères, il ne faut pas dormir sur ses lauriers, il est certain que cela se consolide et je suis conscient en tant que combattant de la liberté, en tant que responsable qui a eu à vivre de 1960, date d’indépendance du Mali à aujourd’hui, la succession d’un certain nombre de régimes, qu’à aucun moment de l’histoire, les idéaux les plus importants n’ont pu automatiquement être réalisés. Il y a toujours du chemin à faire. Cela veut dire qu’il n’y a pas lieu de laisser de la place à la déception, au découragement. Il ne faut pas être ébranlé.

L’Indép. : Alors qu’est-ce qui reste à faire ?

Pionnier : Ce qui reste à faire, c’est d’avoir conscience qu’aucun acquis n’est définitivement gagné pour toujours. Autant la lutte a pris 23 ans pour arriver au 26 mars 1991 autant la mise sur chantier, la mise en œuvre des idéaux qui ont suscité le 26 mars nécessitera que des générations et des générations prennent toute la mesure de toutes les dimensions de l’événement afin qu’on comprenne que c’est dans l’effort et dans la lutte que les idéaux du 26 mars seront réalisés. Prenez la révolution de 1789, elle a eu un écho mondial mais après elle, il y a eu le thermidor, il y a eu 1799, Napoléon I, Napoléon II, la dictature, Vichy. De 1789 à 1962, la République Française a connu des régimes qui ont fait la déception, qui ont géré l’Algérie, qui ont fait la colonisation.

L’Indép. : Pour revenir au Mali, partagez-vous l’idée selon laquelle le retour d’ATT est un recul démocratique ?

Pionnier : Je rappelle qu’à l’occasion du troisième anniversaire de la prise du pouvoir du président, nous avons attiré l’attention des autorités sur la dérive démocratique, on nous en a même voulu. Nous avons le devoir républicain de ne pas laisser les choses se mal passer. Et nous ne laisserons personne croire qu’il a le monopole de bien faire. Chaque fois que les gens voudraient usurper le pouvoir du peuple et l’assumer en leur propre nom, nous serons là pour dénoncer.
Pour notre part, nous participons à la construction de la démocratie tout en restant vigilants, dans le respect de la loi fondamentale. Les reculs de la démocratie, il y a en a eu.

L’Indép. : Lesquels ?

Pionnier : Regardez par exemple au niveau politique, l’article 28 de la Constitution consacre le rôle des partis politiques. Aujourd’hui, le pouvoir et ses amis donnent l’impression que seuls ceux qui se réclament d’eux sont des acteurs politiques. Ils sont vus, affichés dans la presse officielle, à la télévision et à la radio nationales. Les partis qui sont l’essence de la gestion des institutions politiques sont marginalisés. Vous pensez que parce que quelqu’un est au pouvoir, on va lui laisser être plus Malien que nous ou s’approprier le Mali en dehors de nous.
Le Mali, c’est nous tous. S’il y a stabilité, c’est l’effort de nous tous. Comment dans un pays vous donnez à croire que tout ce qui se passe, ce sont ceux qui sont au pouvoir qui en sont les concepteurs, les réalisateurs. Quel gros mensonge. Même un pouvoir n’a pas intérêt à ce que les gens puissent lui donner le sentiment qu’il est le seul à pouvoir bien penser, à bien agir. Un pouvoir qui croit à ça se momifie. Il n’aura pas longue vie.

Propos recueillis par Chahana Takiou

…Et Tiébilé Dramé, président du Paréna

«La supériorité de la démocratie sur le parti unique est une réalité»

L’Indépendant : En votre qualité d’ancien leader estudiantin, de combattant des droits de l’homme à Amnesty International, peut on savoir, selon vous, les raisons qui ont amené le peuple malien à se rebeller pour réclamer le multipartisme intégral ?

Tiébilé Dramé : A mon avis, ce sont les injustices sociales et l’absence de liberté qui ont conduit les Maliens à réclamer l’instauration du multipartisme perçu alors par beaucoup comme la panacée.
Le pluralisme politique est une vieille revendication démocratique du peuple malien, dans toutes ses composantes. Les combats menés à l’intérieur et à l’extérieur du pays par les patriotes maliens pendant des décennies visaient l’instauration d’un régime de libertés démocratiques en particulier les libertés d’association et d’expression et le droit de manifester.
Le parti unique constitutionnel et son corollaire, le pouvoir personnel, étaient aux antipodes de ces revendications.
La précarité des conditions de vie des travailleurs et de leurs ménages, des élèves et étudiants allait accélérer la rupture entre le régime de l’UDPM et le peuple malien. La répression brutale des manifestations, le carnage sans précédent dans notre vieux pays depuis la conquête coloniale, ont conduit le peuple et son armée à se rebeller.

L’Indép. : Le Dimanche 26 mars, le peuple malien va fêter le 15ème anniversaire de la chute de la dictature. Les espoirs ont-ils été comblés ?

T.D : Ce qui se passe au Mali depuis mars 1991 démontre incontestablement la supériorité de la démocratie (même avec ses imperfections et ses insatisfactions) sur le régime de parti unique et de pouvoir personnel. 15 années de pratique pluraliste et démocratique sont loin d’avoir réglé tous les problèmes du Mali et des Maliens. Mais les résultats sont là, les progrès sont incontestables.
Les libertés fondamentales et le multipartisme sont là pour l’attester. Il y a eu en 15 années de régime démocratique et républicain, plus d’écoles, plus de lycées, plus de puits, plus de routes, plus de téléphone et d’électricité qu’en 23 ans. Les progrès dans la satisfaction des besoins du peuple, la mobilité sociale sont des réalités que chacun peut tâter du doigt. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas de problème. Loin s’en faut. Il s’agit de mesurer le chemin parcouru. D’où venons-nous ? Où en sommes-nous ? Quel est le « starting point » ?

L’Indép. : Avec le double mandat de l’ADEMA, les acquis de la révolution ont été consolidés. Cependant, avec l’avènement d’ATT en 2002, certains estiment qu’il y a recul dans tous les domaines. Partagez-vous ce point de vue ?

T.D : Dans quel domaine y a-t-il eu recul ? Y a-t-il un recul dans le domaine des libertés fondamentales? Y a-t-il eu entorse au multipartisme, au fonctionnement régulier des institutions démocratiques ?
Y a-t-il un arrêt dans la construction des centres de santé, des écoles, des routes ?
A t on cessé de creuser des puits, d’étendre l’électricité et le téléphone à l’intérieur du pays ? Ceux qui disent qu’il y a recul dans tous les domaines seraient bien en peine de le démontrer.
A mon avis, la consolidation de la démocratie, la lutte contre les injustices sociales, le développement du pays exigent une mobilisation de tous les instants, de toutes les filles et de tous les fils du pays.
Nous sommes dans la bonne voie, même si nous avons encore du chemin à faire, pour satisfaire l’ensemble des besoins de notre peuple et de notre pays. Le Mali est une vieille nation, mais la République est jeune, la République démocratique est encore plus jeune. Persévérons sur le chemin de l’effort, de la construction nationale.

Propos recueillis par Chahana Takiou.

L’Indépendant du 27 mars 2006.

ENTRETIENS AVEC SOUMEYLOU BOUBEYE MAÏGA…
«Nous devons toujours veiller à la continuité du pluralisme»

L‘Indépendant : Monsieur le premier vice-président de I’ADEMA, en tant qu’un des principaux acteurs du 26 mars, pouvez-vous nous rappeler les raisons qui ont motivé la lutte démocratique qui a finalement eu raison de la dictature de Moussa Traoré ?

Soumeylou Boubèye Maïga : La principale revendication du mouvement démocratique, surtout dans la dernière période allant d’octobre 1990 à mars 1991, c’était l’avènement du multipartisme intégral.
Depuis le coup d’Etat de 1968, il y a eu diverses formes de lutte, de revendications démocratiques, notamment le retour à une vie constitutionnelle normale. Puis, lorsqu’il y a eu la Constitution de 1974, cette lutte s’est focalisée sur la suppression de l’article 5 de la loi fondamentale, qui faisait de l’UDPM un parti unique constitutionnel. Je pense que la revendication principale c’était l’avènement de la démocratie pluraliste. C’est évident qu’elle était sous tendue par une profonde aspiration au changement, à la justice sociale, à la solidarité et au progrès économique.

L’Indép. : Votre parti, l’ADEMA, demeure le grand bénéficiaire du 26 mars dans la mesure où il a exercé le pouvoir durant une décennie. Au cours de ce double mandat, le parti de l’abeille a-t-il consolidé les acquis de cette révolution ?

S.B.M : L’ADEMA n’est pas un bénéficiaire du 26 mars. C’est un des acteurs du 26 mars. Il est à la base du 26 mars. Les militants qui se sont battus au sein de l’Alliance pour la démocratie au Mali ont été, pendant plus de 20 ans, sur tous les fronts de lutte, et c’est tout à fait logiquement que les citoyens, je crois, nous ont fait confiance en 1992 et 1997. Je pense honnêtement que les tâches qui nous incombaient après la chute de la dictature, c’était la consolidation du pluralisme politique.
Nous avons dû recourir à notre propre créativité, je veux dire à la créativité du peuple malien pour faire en sorte qu’en dépit de la domination ou de l’hégémonie de l’ADEMA, notre parti ne monopolise pas l’espace public.
C’est comme cela que le financement public des partis a été mis en place alors que la Conférence nationale l’avait rejeté. C’est ainsi que l’aide à la presse a été instaurée, parce qu’on s’est dit que s’il n’y a pas une volonté politique pour faire en sorte que différents courants s’expriment, nous pouvions retourner à une situation pire que celle d’avant le 26 mars.
C’est pourquoi, même quand, en 1997, certaines formations politiques avaient boycotté les élections, l’ADEMA a fait ce qu’on a appelé à l’époque le portage électoral. Pour faire en sorte que, les forces politiques, qui voulaient s’exprimer, mais qui n’étaient peut-être pas assez fortes pour avoir suffisamment de suffrages pour le faire, nous avions fait des listes communes avec elles, afin que l’Assemblée nationale ne soit pas monocolore.
Et on a bien vu que ces différents partis, une fois qu’ils ont eu leurs élus, n’ont pas été les satellites de l’ADEMA, ils ont affirmé leur identité propre. Nous avions, entre autres tâches, outre la consolidation de la démocratie, la mise en route de la décentralisation. Toutes les énergies qui se libèrent, tous les pouvoirs qui sont transférés aux citoyens, afin qu’ils gèrent eux-mêmes leurs affaires, ces aspects là sont bien appréciés par les populations.

L’Indép. : Depuis 2002, le général Amadou Toumani Touré préside aux destinées du Mali. Y a-t-il eu recul ou non par rapport aux avancées que vous venez de citer ?

S.B.M : Je crois que le président Amadou Toumani Touré a été élu dans un contexte qu’il faut analyser par rapport à notre processus. Aujourd’hui, on ne peut pas porter des jugements définitifs sur tel ou tel autre aspect. Il faut prendre la situation comme une étape du processus historique que nous vivons. Il a des aspects positifs et des aspects critiquables. Je pense seulement que nous devons veiller à deux choses.
La première, c’est que le pluralisme puisse exister et que le devoir du citoyen de s’exprimer et de donner son point de vue ne soit pas nécessairement perçu comme de l’anathème, de l’adversité, de l’hostilité. Cela doit être perçu comme une aspiration normale des citoyens. Sinon, nous serions dans une situation pire qu’avant le 26 mars.
La deuxième chose, c’est de veiller à ce que la volonté des citoyens soit prise en compte dans la gouvernance des affaires publiques.

L’Indép. : Vous avez parlé d’aspects critiquables. Pouvez-vous nous citer quelques uns ?

S.B.M : Je crois que nous fêtons le 26 mars. Chaque chose en son temps. Je pense que, par la force des choses, l’agenda dans lequel nous sommes tous inscrits nous imposera à un moment ou à un autre de faire une évaluation et ce moment-là, on verra bien.

L’Indép. : Partagez-vous le point de vue du Pr. AIi Nouhoum Diallo qui estime que le fait d’organiser les législatives partielles de Mopti et de la commune V le 26 mars est une tentative d’occulter cet événement historique ?

S.B.M : Je ne sais pas dans quel contexte il a dit cette phrase. Je me pose la question de savoir si ce n’est pas sorti de son contexte. Je pense que l’organisation du scrutin de dimanche prochain obéit à un calendrier. C’est assez localisé, puisque, c’est dans deux circonscriptions que le vote aura lieu. Cela ne pourra donc pas entacher la commémoration normale du 26 mars qui reste un devoir de mémoire pour l’ensemble des Maliens.
Aujourd’hui, le 26 mars est l’affaire de tous les Maliens puisque cette date historique n’est plus nécessairement une ligne de fraction entre les différentes composantes de la société. Plus personne ne conteste la suprématie de la démocratie sur la dictature.

…Et Oumar ibrahim Touré (Urd)

 » Les perspectives économiques nous permettent d’espérer que demain sera mieux qu’aujourd’hui « 

L’Indépendant : Monsieur le ministre, on sait que vous avez présidé l’ADEMA association à San et participé activement aux journées folles de mars 1991. Quinze ans après, vos attentes ont-elles été comblées ?

Oumar Touré : Ce que je peux dire, c’est que le 26 mars est une journée historique, inoubliable compte tenu de tout ce que la chute du régime défunt a apporté au Mali en terme de démocratie, d’amélioration des conditions de vie de nos populations notamment sur le plan économique et social. C’est pourquoi, je crois fermement que le 26 mars doit être magnifié.
Cette date doit rester dans la mémoire collective pour montrer aux générations futures tout le processus que le peuple malien a mené pour l’instauration de la démocratie et du multipartisme intégral.
Aujourd’hui, la liberté d’expression, les libertés collectives et individuelles sont clairement affirmées. Des élections transparentes et pluralistes sont organisées de façon légale, les citoyens votent sans contrainte. C’était entres autres, les raisons du combat qui a conduit au 26 mars. Je peux donc dire que mes attentes sont comblées même si je reconnais qu’il y a des efforts à déployer pour vaincre la pauvreté et l’analphabétisme qui entravent sérieusement le développement souhaité du pays. La démocratie malienne suit son chemin et au fur et à mesure qu’elle progresse, des solutions sont envisagées pour atténuer voire résoudre ces problèmes, auxquels, nos compatriotes sont confrontées.

L’Indép. : L’avènement d’ATT au pouvoir n’est-il pas un recul démocratique ?

O.T : Non ! A mon avis, ce n’est pas un recul démocratique. C’est au terme d’une élection transparente qu’il a été élu président de la République. Franchement, tout le monde reconnaît en lui l’homme du 26 mars. Et c’est ce qui lui a valu de revenir au pouvoir. Son avènement ne doit pas être considéré comme un recul, c’est une confirmation de la bonne marche de la démocratie malienne.

L’Indép. : Monsieur le ministre, vous convenez avec moi que l’absence de débat démocratique et le marasme économique constituent un recul par rapport à l’héritage légué par l’ADEMA.

O.T : Non ! Il y a un débat politique. Il se fait à l’Assemblée nationale et vous êtes bien placé pour le savoir. C’est vrai qu’il n’ y a pas d’opposition parlementaire mais les débats sont pertinents à l’hémicycle. Les députés ne prennent pas en compte la formation politique des ministres et posent toutes les questions pour comprendre et critiquer. Cela se fait à chaque session à travers des interpellations du gouvernement et des questions orales adressées à des ministres sur un domaine bien précis. Au sein des différentes formations politiques, il y a également des débats intenses.
Au plan économique, malgré les nombreuses difficultés liées à la crise en Côte d’Ivoire, la montée vertigineuse du prix du pétrole, la mauvaise pluviométrie, les criquets, le gouvernement a su maîtriser la situation.
Où est le recul dans la mesure où actuellement, il y a plus d’écoles, plus de centres de santé, plus de points d’eau que de par le passé? Les salaires ont connu une nette amélioration et les perspectives économiques nous permettent d’espérer que demain sera mieux qu’aujourd’hui.

Mme Traoré Oumou Touré, présidente de la CAFO

 » Il faut que les hommes acceptent de partager le pouvoir avec les femmes « 

Le 26 mars est un grand événement historique. Ce qui a changé dans la vie des femmes du Mali, c’est leur prise de conscience. Mais, nous régressons en matière de promotion féminine.
Les femmes ont milité dans les mouvements démocratiques. Elles ont joué un grand rôle auprès des hommes dans la clandestinité et à visage découvert. Les femmes ont participé aux marches les plus dangereuses. Je parlerais de Mme Sy Kadiatou Sow.
Aujourd’hui, après 14 ans de démocratie nous voyons certains comportements qui défavorisent les femmes. Cela n’honore pas le Mali, cité parmi les pays les plus démocratiques du monde. La promotion de la femme régresse considérablement dans ce pays.
Quand on regarde les chiffres à l’Assemblée nationale il n’y a que 10 femmes. Aux places nominatives, il n’y a pratiquement pas de femmes. De 6 ministres, on est descendu à 4 ou 5 ministres. De 18 députés, on est descendu à 14 ou 15. Les Etats-majors disent que 30 % de quota c’est un cadeau. On utilise de surcroît le terme donner. On ne nous donne pas, c’est un droit. Là où il y a danger, c’est dans les comportements, les gens sont hantés par leurs intérêts, leur ambition d’arriver au pouvoir par toutes les manières. Si aujourd’hui certains acteurs tentent d’ignorer d’autres, les femmes en sortiront les mains nues.
Ce qui n’a pas marché après le 26 mars 1991, au lieu que les esprits, les mentalités soient ouverts pour que chaque Malien puisse bénéficier des avantages de la démocratie, la recherche du pouvoir l’a emporté sur l’esprit patriotique qui avait prévalu en son temps. Nous, les femmes, sommes les parents pauvres de cette démocratie.
Nous les femmes du Mali, nous plaçons l’anniversaire du 26 mars sous le signe de la stabilité. Il faut que les cœurs et les esprits travaillent ensemble, il faut que les gens communiquent. Il faut que les gens partagent le pouvoir. Il faut qu’on avance vers le mérite. Il faut qu’on arrête de prendre dans les états-majors des gens qui sortent du néant qui n’ont eu que des avantages de la démocratie qui leur sont offerts sur un plateau d’argent. C’est cela le drame de notre démocratie. Tout le monde se dit démocratique, tout le monde a bénéficié des avantages de la démocratie. Tout le monde ne sait pas à quel prix cette démocratie a été acquise.
Nous plaçons ce 26 mars sous le signe du partenariat fort entre les hommes et les femmes. Nous ne voulons plus être des femmes qui luttent à côté des hommes.
Nous voulons être des femmes qui luttent avec nos hommes pour un Mali prospère et uni.

Me Brahima Koné, Président de l’AMDH

«L’Espace d’interpellation démocratique est vidé de tout son sens»

Par rapport à la liberté de la presse et aux droits de l’homme, il y a eu des reculs. On a assisté à certaines répressions contre les journalistes.
Au delà de la voix judiciaire, les journalistes ont fait l’objet d’agression. J’ai été personnellement interpellé l’année dernière, soumis à un interrogatoire par la sécurité d’Etat pour avoir fait quelques déclarations sur l’agression de Dragon. C’était le 5ème cas du genre en une année. Nous avons estimé qu’il fallait monter au créneau et dénoncer ces pratiques.
Il y a beaucoup d’insuffisances dans la gestion des affaires relatives aux droits depuis le 26 mars 1991. Ces insuffisances s’expliquent par le fait que les institutions sont là mais que la plupart ne travaillent pas convenablement. Le médiateur de la République n’a pas la possibilité de saisir directement des juridictions face à la négligence coupable de l’administration. Généralement l’administration ne répond même pas aux correspondances formulées par le médiateur de la République. L’Espace d’interpellation démocratique (EID) est aussi vidé de tout son sens. Les citoyens commencent à perdre confiance en cette institution. Car la procédure de sélection des interpellations n’est plus respectée. La commission nationale des droits de l’homme mise en place récemment par le Mali n’a jamais fonctionné. Elle est aujourd’hui un grand indicateur démocratique dans l’espace francophone.
La justice est mal rendue. La justice malienne n’est pas indépendante malgré qu’il existe un pouvoir judiciaire. La justice est corrompue, son coût dépasse la capacité des citoyens moyens. Souvent les gens renoncent aux procédures parce que les coûts sont élevés.
En 2005, nous avons constaté qu’il a eu augmentation du taux de la population carcérale de plus de 7 % par rapport à l’an 2004. Les prisons sont remplies à cause de la lenteur judiciaire. Il faut que les acteurs de la justice tiennent compte du prix de la liberté. Les magistrats s’amusent aujourd’hui avec les mandats de dépôt alors que la liberté doit être la règle. Le code de procédure a limité la durée de la détention dans le temps en fonction des infractions.
Dans les prisons, les droits de l’homme ne sont pas respectés. Après la visite des prisons de Kati, de Bamako-coura, je me suis rendu compte que les conditions de détention des prisonniers sont mauvaises.
A Kati, j’ai vu des personnes qui sont malades qui ne reçoivent aucun soin. Un prisonnier est venu avec une fracture, qui par manque de soin la facture s’est aggravé. Il est dans un état inqualifiable. Un vieux de 70 ans malade se trouve dans cette prison. Il a même perdu la vue.
A Bamako-coura, dans la cellule dénommée  » muta « , les citoyens sont enfermés dans l’obscurité et sans toilette. La cellule est exiguë et les gens n’ont que 30 minutes dans la journée pour parler avec les visiteurs. Il y a des cellules qui contiennent plus de 80 détenus.
Dans certaines chambres, plus de 8 détenus dorment sur une même natte.
A Mopti, certains détenus sont enchaînés dans les cellules même la nuit.

Tierno Diallo, directeur de la pyramide du souvenir

«La principale leçon, c’est que ATT est aujourd’hui adulé par le parti qu’il a fait tomber, le MPR-UDPM

On a fait que gagner après le 26 mars. II y a des imperfections, çà c’est le propre de l’homme puisque nous sommes imparfaits. Par rapport aux libertés démocratiques, à tout ce qui est progrès économiques, des avancées sont indéniables. Dans d’autres pays, le fait seulement de dire que le chef de l’Etat est tombé par suite d’une crise a valu des années d’emprisonnement. Au Mali, vous imaginez ce que les artistes disent, ce que la presse écrit sur les premiers responsables du pays. Ce n’est pas que ces hommes d’Etat soient insensibles aux critiques, c’est parce qu’il y a la liberté d’expression. Vous voyez toute cette chaîne de demandes sociales, c’est des réalités, c’est l’expression des problèmes, mais c’est aussi l’expression de la liberté, qu’on puisse dire ce qu’on ne veut pas qu’on dise. Aujourd’hui quand certains disent qu’on a un multipartisme de façade, un parti unique et autres, tant mieux, c’est ce qui fait la beauté de l’après 26 mars. Les années ayant passé, les gens se sont dit qu’au delà de la vision politique, l’essentiel c’est le Mali et sur le Mali on doit être d’accord.
Vous avez combien d’établissements scolaires à Bamako ? Vous imaginez qu’à l’époque avant 1991, dans tout Bamako, on n’avait pas plus de 7 lycées ni de lycées privés. Aujourd’hui vous en avez combien ? Il y a eu une explosion dans le domaine de l’éducation de base et technique. En terme de développement économique, il y a des routes. L’audience du Mali qui va abriter en 2007 la communauté des démocraties, sera une bonne image. C’est vrai que l’impact sur le quotidien du Mali en ne va pas se faire sentir tout de suite.
Au moment où j’aspire à une augmentation de salaire, au même moment il faut construire un CSCOM, au même moment il faut procéder à l’irrigation des terres de l’Office du Niger. Il faut avoir une vision globale et relativiser les choses.
La vraie leçon que je retiens du 26 mars, c’est le fait de voir qu’un acteur principal de la révolution, ATT soit aujourd’hui adulé par le parti qu’il a fait tomber. C’est-à-dire le MPR (ex- UDPM). Vous imaginez cette ironie de l’histoire. Le 26 mars est une date commémorative mais c’est aussi une fête, c’est à dire le Mali de l’union retrouvée. Avant le 26 mars des Maliens étaient exclus, la parole leur était interdite, des gens mouraient de faim, des gens faisaient trois mois sans salaires, six mois sans bourses. Cela a pris fin, on a même augmenté les salaires. Tout le monde est devenu « un », on a répondu à la devise «Un Peuple Un But Une Foi».

Maouloud Ben Kattra, un responsable du SNEC et de l’UNTM

La marche vers l’unité syndicale

Ce qui a réellement changé, c’est l’engouement des Maliens pour les fruits de la démocratie. C’est-à-dire, cette façon de s’organiser librement en syndicat, de s’exprimer librement, de défendre ses intérêts matériels et moraux sans aucune contrainte politique d’aucun régime que ce soit depuis l’instauration du multipartisme dans notre pays.
C’est vraiment quelque chose de très important.
Je place cet anniversaire sous le signe de la réconciliation entre les travailleurs. A défaut d’être dans une seule organisation, si on avait mené des actions syndicales unitaires, on aurait pu gagner beaucoup plus que ce que nous avons gagné de façon dispersée, parce que ceux qui ont créé les organisations syndicales sont issus des organisations traditionnelles dans notre pays. L’entente, entre nous était extrêmement difficile, l’unité d’action était pratiquement impossible, cela a donné l’occasion au pouvoir de faire ce qu’il veut face à des travailleurs divisés. Il y a eu des acquis mais pas à souhait.
15 ans après, nous partons aujourd’hui vers une unité d’action entre organisations syndicales même si ce n’est pas effectif, il y a de bons signes.

L’Indépendant du 27 mars 2006.