Pour beaucoup de ces refoulés, l’arrivée sur le territoire malien fait suite à un parcours semé de péripéties douloureuses. A la date du 8 avril 2006, huit convois au total ont transité par Gogui et Nioro du Sahel, soit 261 personnes. Certains parmi eux ont été arrêtés au large des côtes espagnoles. “La Croix rouge Espagnole est intervenue lorsque notre embarcation a été arraisonnée par la police“, nous a déclaré un refoulé à Nioro du Sahel. Mais l’époque où la Croix rouge donnait gîte et couvert aux clandestins semble révolue, car plusieurs parmi ceux que nous avons rencontrés ont eu la surprise désagréable de se trouver sur le territoire mauritanien ou marocain alors que la Croix rouge les avait embarqués à bord d’avions qui étaient censés les conduire à Madrid. Le mécanisme de lutte contre la migration clandestine mis en place par l’Espagne avec les pays de transit est bien en marche. Les policiers mauritaniens et marocains prennent le relais des Espagnols. Ainsi, la charge de reconduire les refoulés dans leurs pays respectifs échoit à ces pays. Mais cette coopération ressemble fort à un capharnaüm légal où des erreurs sont monnaie courante. C’est ainsi que “des étrangers travaillant depuis longtemps en Mauritanie se sont fait arrêter et reconduits à la frontière“, nous a confié un officiel de Nioro du Sahel. Ceux qui sont dans cette situation tiennent à retourner en Mauritanie soit pour rentrer en possession de leurs dus, soit pour recommencer à travailler. Mais l’envie du retour ne prend pas que ces derniers. Nombre des refoulés sont déterminés à réaliser le rêve de leur vie quel qu’en soit le prix. “Je continuerais à chercher d’entrer en Espagne, même si des bombes flottaient sur la mer“, a juré Makan Diallo, un bonhomme qui avait quitté le bercail depuis juillet 2003. Le retour des migrants clandestins est une crise humanitaire qui en cache une autre. En effet, le reflux des migrants à Gogui est devenu une charge pour les habitants du village. Les refoulés qui viennent par groupe de vingtaine ou de centaine d’individus sont exclusivement pris en charge par le village pendant plusieurs jours. “Nous avons des difficultés pour les entretenir car Gogui est un petit village“, a confié Madi Konaté, 1er adjoint du maire de la commune rurale de Gogui.
La venue de chaque groupe de migrants refoulés dans le village donne lieu à un élan de solidarité. “Quand ils viennent, les femmes leur donnent de l’eau, chaque famille apporte des plats“, a confirmé Cheickna Diawara, chef de village. Mais cette solidarité ne saurait durer et la générosité des habitants a des limites. La nature n’est pas tendre dans la région, surtout en cette période caniculaire. Le problème d’eau se pose avec acuité. Devant les quelques fontaines encore fonctionnelles du village, les femmes défient le soleil en attendant patiemment leur tour. “Une fois, nous avons reçu 56 personnes refoulées… Il nous a fallu l’aide de 7 à 8 charretiers d’un village environnant pour faire face au besoin d’eau“, a expliqué Madi Konaté. A la pénurie d’eau s’ajoute la perspective de la disette. La dernière récolte a été médiocre. Les paysans rapportent que les oiseaux ont ravagé les céréales, plongeant la zone dans une précarité inquiétante. “Les populations qui n’ont pas de nourriture doivent s’occuper des refoulés ? Nous nous privons de nourriture pour eux“, tempêta le premier conseiller du chef de village. Pour cet homme désabusé, comme pour tous les siens, les autorités maliennes ont failli à leur devoir. “Nous voulons qu’ils prennent des dispositions car des rumeurs disent que trois cents personnes attendent leur rapatriement dans des camps réfugiés en Espagne“, a averti le 1er adjoint du maire de Gogui.
Nioro : on s’organise comme on peut A tous les niveaux, les populations locales se plaignent de la non assistance dont les dirigeants sont coupables. “Quand on élit des dirigeants, ils doivent apporter leur soutien lorsqu’il y a des problèmes. Mais nous n’avons rien vu de la part du gouvernement“, s’est plaint un habitant de Gogui. Le village rencontre également des problèmes pour assurer le transfert des refoulés à Nioro du Sahel. “La Croix rouge n’existe pas au Mali, en tout cas je ne le pense pas“, ironisa un conseiller du chef de village. A Nioro du Sahel, les mêmes reproches sont formulés contre les services d’assistance. Le ministère de la Solidarité et de l’Action Sociale a été contacté par l’entremise de sa direction régionale. Mais l’aide promise se fait encore attendre. Parmi les refoulés, environ 20 % viennent de la zone de Nioro. Cela expliquerait en partie la grande compassion dont les habitants de la ville de Nioro du Sahel ont fait montre. Pour faire face aux charges des rapatriés, les autorités de la ville ont créé une commission composée de la Préfecture, du Conseil de cercle et de la Mairie. La première fois où cette commission a demandé de l’aide à la mosquée, les fidèles, dont certains étaient émus jusqu’aux larmes, ont mobilisé 60 000 F Cfa. Par ailleurs, la commission créée fait régulièrement des quêtes au niveau des services de la ville, et elle a réquisitionné le campement pour l’hébergement des réfugiés. Même si les populations de Gogui et de Nioro du Sahel se plaignent de cette situation inattendue, elles estiment tout de même que ce qu’elles font relève de leur devoir. Mais si les autorités n’entreprennent pas des actions pour leur venir en aide immédiatement, le drame des refoulés risque irréversiblement d’avoir des conséquences pour toute la bande sahélienne. Ce risque est notamment imminent dans le village de Gogui qui est absolument désarmé face à l’urgence qu’il gère bon gré mal gré.
Ismaïla Diarra
– Envoyé spécial à Gogui
13 avril 2006