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C’est tout décontracté, du haut de ses 80 hivernages que Seydou Badian Kouyaté, une des figures emblématiques de la politique et de la littérature nationale, ministre du développement rural de Modibo Keita, auteur du célèbre roman «Sous l’orage»,pour ne citer que ceux-là, nous a reçu dans sa coquette villa à Hippodrome pour nous égrener quelques uns de ses souvenirs sur la révolution de mars 1991 et porter son regard critique sur le bilan de cet événement, la démocratie ainsi que sur le cinquantenaire de l’indépendance nationale.

jpg_seydou-badian.jpgTout naturellement, Seydou Badian Kouyaté a dénoncé les tares de la société malienne actuelle notamment la corruption, l’arrivisme, le règne de l’argent, l’incivisme, l’impunité, le poids des institutions de Bretton Woods sur notre politique économique, le sacrifice de l’industrialisation, l’enseignement en langue bambara. Avant de préconiser la formation morale des citoyens, l’autocritique du régime, la méditation sur les échecs et les réussites après 50 ans d’indépendance.

 » Nous avons changé le Mali, nous avons changé les Maliens, vous ne reconnaîtrez plus les hommes et les femmes que vous aviez laissés « .

Ce sont là les mots, nous confie Seydou Badian Kouyaté, que les militaires lui ont lancés lors de sa libération de prison qui a été suivie de peu par la chute du régime militaire. Comme pour lui dire combien le pays s’est transformé. Mais, s’il y a eu transformation, a-t-il indiqué, ce n’est pas dans le bon sens car le « Mali n’est plus le même : la corruption, le vol, l’absentéisme dans le service public sont devenus les traits caractéristiques de l’homme malien ».

Avant de rappeler, en regret, qu’ « autrefois (comprenez sous Modibo Keita), il était hors de question de faire la corruption. Quand on te prenait la main dans le sac, on t’infligeait une punition telle que ta famille, tes parents et tes amis sont déshonorés. Et cela, les Maliens n’aiment pas « .Selon lui, ‘’si la corruption, qui est généralisée et qui gangrène tout le système est grave, elle n’est pas aussi grave que l’impunité qui l’accompagne « .

L’absentéisme est également dénoncé par Seydou Badian. Rapportant une anecdote pour mieux illustrer ce problème dans nos services publics, M. Kouyaté raconte :  » un jour, je me suis rendu au service du domaine. A 10 heures, le Directeur était absent. J’ai voulu voir son adjoint. Après avoir péniblement gravi les marches de l’escalier pour accéder à son bureau, l’adjoint était absent, le bureau était vide « .

Avant d’ajouter que « c’est regrettable qu’on ne travaille plus au Mali. Je ne peux pas comprendre, on ne travaille plus et personne ne contrôle plus personne ».

En réponse à la question sur les causes de ces maux, Seydou Badian est formel : « C’est simplement la chute morale, la décadence morale « .

Seydou Badian Kouyaté a fustigé la spoliation de l’industrie nationale. « Ce qui me fait encore mal, c’est que j’ai été associé à l’industrialisation de ce pays.

C’est moi qui ai été chargé de mettre en place la SOCOMA à Baguinéda. Et l’autre jour, l’ORTM a osé présenter la SOCOMA (Société des conserves du Mali) sans me voir. Là n’est pas le problème.

Le problème porte sur les usines que le régime de Modibo Keita a laissées, notamment la SOCOMA, la SOCORAM, la cimenterie de Diamou, une sucrerie, la COMATEX qui ont été toutes fichues
, bradées en mettant au chômage beaucoup de jeunes « .

Et, à la question de la responsabilité de ce bilan désastreux, entre le régime militaire de Moussa Traoré et celui de la démocratie, Seydou Badian dit n’en savoir rien tout en avertissant que  » tant que l’Afrique ne se dégagera pas de la Banque Mondiale et du FMI, elle sera économiquement colonisée. Car si ces deux institutions nous donnent de l’argent, c’est de l’argent empoisonné, c’est l’argent de la recolonisation « .

Avant d’ajouter que ces institutions de Bretton Woods interdisent à l’État de tout faire pour laisser la place aux capitalistes.  » Où sont les capitalistes au Mali ? » s’interroge t-il, avant d’ironiser que ce ne sont pas quand même « ceux qui importent des poulets congelés, du sucre, du lait et du riz qui peuvent construire des usines qui coûtent des milliards « . « C’est notre avenir qui est en jeu, nos enfants et nos petits-enfants n’auront rien «  a-t-il averti.

La démocratie, selon notre interlocuteur, n’est que de « la corruption, car tout se vend. Et c’est ceux qui ont de l’argent qui se font élire « . Comme sur la démocratie, notre illustre homme de culture n’a pas une bonne opinion sur le cinquantenaire.

« ’Je pense qu’il y a eu 50 ans de gâchis. Moi je considère qu’il y a eu 8 ans d’indépendance et 42 ans de néocolonialisme «  a-t-il laissé entendre.

Par rapport aux solutions à ces multiples maux qui minent notre société, Seydou Badian Kouyaté préconise le réarmement moral et civique du citoyen et l’autocritique du régime. « ’ Il faut que le régime ose se remettre en cause, qu’il prenne ses responsabilités ».

Et, s’agissant du citoyen, Seydou Badian estime que  » ce n’est pas seulement le béton et le fer qui font un pays, c’est d’abord l’homme, le citoyen conscient d’appartenir à un ensemble auquel il doit « .

L’homme politique et littéraire a livré, à bâtons rompus, ses points de vue sur d’autres problèmes majeurs de notre époque notamment l’éducation, la santé, la culture sur lesquels nous reviendrons.

Mamadou Lamine DEMBELE

L’Indépendant du 25 Mars 2010.