Partager

une-159.jpgA force de se répéter, le manège, qui était des plus étranges, mit finalement la puce à l’oreille de plusieurs membres de notre grin. L’un de nous qui aimait bien aller au fond des choses fit sa petite enquête. Il arriva à une découverte surprenante. Celle-ci concernait Niélé, l’épouse de Cheick. En public, et en particulier avec nous les amis de son mari, elle donnait l’image d’une femme douce et aimante. Mais à la maison, dès que les portes se refermaient et que le couple se retrouvait en tête-à-tête, elle se transformait en véritable terreur pour son conjoint. Marié sous le régime monogamique et père de cinq enfants, Cheick vivait en silence un véritable calvaire dont la révélation nous a profondément troublés. En outre, cela durait depuis quatorze ans de vie commune. Cheick craqua un soir et nous eûmes droit à deux heures de confession qui laissèrent beaucoup d’entre nous un peu gênés par un tel déballage. Il faut tout d’abord savoir que notre ami ne s’était pas marié par amour, mais pour respecter la promesse que sa mère avait faite à sa meilleure amie pratiquement sur le lit de mort de cette dernière. Mais le respect de l’engagement pris par la vieille ne fut pas trop difficile à respecter pour l’homme. Lui-même nous l’avoua volontiers. « Niélé était jolie et sur¬tout bien faite physiquement, se sou¬vient notre ami, et la chose n’était donc pas désagréable. Ma future femme montrait aussi au départ une réelle gentillesse, même si dès notre troisième nuit de noces, il se produisit un incident dont je ne mesurai la portée que bien plus tard.

Mais sur le coup, je n’y avais pas trop prêté attention, car je m’étais aperçu que j’étais le premier homme de ma jeune épouse et cela m’avait comblé. Pour en revenir à cette troisième nuit, je ne sais quelle mouche piqua Niélé pour qu’elle se dérobe à moi juste au moment crucial. J’étais frustré, on le comprend, mais ma mauvaise humeur ne dura guère. Car juste après sa « feinte », ma femme entra littéralement en transes. Je dus d’ailleurs appeler la gardienne de chambre nuptiale, la « Magno-baga« , pour que celle-ci m’aide à la maîtriser. Le lendemain, Niélé ne se souvenait de rien et je n’insistais pas sur ce curieux incident. Je pensais avoir bien fait d’autant plus que le reste de la semaine se déroula tranquillement. Mon bonheur se prolongea quelques semaines plus tard quand j’appris que Niélé était tombée enceinte et que cela était survenu durant notre retraite nuptiale. J’en étais tout à la fois heureux et comblé.

Gonflé de rage
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Pourtant j’aurai dû être moins euphorique, car les crises de mon épouse se répétèrent durant les neuf mois de sa grossesse. Mais je ne voulus pas en faire une tragédie. Tout me monde sait que certaines femmes deviennent difficiles à vivre pendant la période de leur première grossesse. Je ne bronchais donc pas malgré que Niélé m’ait refait à plusieurs reprises le coup de notre troisième nuit. Les transes qui s’ensuivaient étaient d’ailleurs de plus en plus prolongées et dérapaient à certains moments vers une franche violence. Une nuit par exemple, ma femme me saisit brutalement le pénis, le serra de toutes ses forces et m’infligea un supplice prolongé. Cependant, deux jours après, elle me demanda à genoux humblement pardon et le nuage se dissipa. Mais, contrairement à mes espérances, les crises de Niélé ne s’interrompaient jamais pendant ses grossesses, qu’il se soit agi de notre premier enfant (un garçon) ou de notre dernier (une fille, la seule).

Quand celle-ci naquit, je crus que sa venue au monde aurait radouci Niélé. Mais rien de tel ne survint, et cela à mon grand désarroi. Au point que j’en étais arrivé à craindre de pénétrer dans ma propre chambre. La compréhension que je montrais longtemps vis-à-vis des crises de ma femme s’amenuisait au fur et à mesure que mon calvaire s’accroissait. Un soir, Niélé fit quelque chose qui m’inspira une peur panique. Elle m’entailla le pénis avec un couteau qu’elle avait pris le soin de planquer sous l’oreiller. Elle le fit juste au moment le plus crucial de nos rapports. J’ai poussé un hurlement de douleur que fort heureusement, nos enfants n’ont pas entendu. Ma femme s’est redressée avec une vivacité extraordinaire et s’est assise sur ma poitrine. Elle n’avait pas lâché son couteau. On aurait dit la vue du sang accroissait sa fureur. Elle avait le visage d’une folle et me posait des questions insensées, en promenant la lame au-dessus de mon visage.

Je dus lui faire les réponses qu’elle exigeait pour qu’à un moment donné, elle accepte de se recoucher. L’entaille qu’elle m’avait faite n’était heureusement pas profonde. Mais après une nuit blanche passée à la surveiller, je décidai de ne pas en supporter plus. Dès le lendemain, je suis allé voir ma mère pour lui signifier ma ferme intention de divorcer. Pour mon malheur, je tombai sur un mauvais moment. La vieille était au plus mal et le docteur, qui était venu la soigner, m’apprit qu’elle avait eu un malaise cardiaque et qu’il fallait la ménager en lui évitant notamment des grands chocs émotionnels. Quand elle alla mieux, ma mère qui avait appris la cause de ma venue me fit promettre de ne plus jamais parler de divorce. Car elle ne supporterait pas que j’abandonne la fille de sa meilleure amie. A partir de ce jour, je compris que je devrais subir Niélé sinon jusqu’à ma mort, du moins tant que ma vieille serait vivante.

Pourtant je faisais mon entrée dans un véritable enfer. En trois ans, les crises de mon épouse sont devenues de véritables accès de folie. Je cherchais en vain la meilleure parade. A un moment donné, j’ai même abandonné la chambre à Niélé pour passer mes nuits sur la canapé du salon. Nos rapports intimes, bien entendu, s’espaçaient au point de devenir inexistants. Ma froideur néanmoins n’agréait pas à ma femme. Une nuit, elle vint me trouver dans le salon et menaça de me tuer si je ne remplissais pas sur le champ mes obligations conjugales. Elle me cria les pires insanités dans des termes crus et il fallut que je m’exécute sur le champ. En pa¬reille circonstance avec la menace d’un couteau qui plane dans l’air, votre virilité ne se trouve pas dans les meilleures conditions pour s’exprimer. Mon épouse daigna comprendre ma défaillance passagère et elle me concéda un temps de récupération. Mon orgueil reprit le dessus et je pus me comporter en homme digne de ce nom. J’étais surtout gonflé de rage contenue et c’est cela qui m’a amené à me sur¬passer physiquement cette nuit-là. Mais sans éprouver aucun plaisir dans ce que je faisais et sans en obtenir le soulagement normal.

Je crus avoir apaisé ainsi mon épouse, mais cette situation eut pour moi des suites incroyables. Le lendemain matin de bonne heure, ma femme me réveilla brutalement et porta une accusation absurde. « Hier soir, hurla-t-elle, tu voulais me tuer et pour cela tu t’es dopé. Montre-moi le médicament que tu as pris pour me faire aussi mal. Tu es un monstre, mais le génie qui vit avec moi te tuera avant que tu n’aies raison de moi« . Je vous fais grâce une fois de plus de tous les détails crus qu’elle évoqua en parlant de ses souffrances, mais ce jour-là j’ai quitté ma maison, la tête en feu, comme on le dit. J’avais eu la confirmation de que je soupçonnais depuis un bout de temps. Ma femme était possédée par un « djinn » jaloux et c’était ce dernier qui lui suggérait tous les actes de maltraitance qu’elle m’infligeait. Cependant ce diagnostic laissait mon problème sans solution, puisque je ne pouvais quitter Niélé. Ce que j’aurais fait sans aucune hésitation, n’eut été le veto de ma mère.

Un havre de paix
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Personnellement, je ne croyais pas auparavant à ces histoires de possession. Mais mon martyre était la preuve que ces phénomènes aussi étranges qu’ils soient se produisaient. Je suis donc allé demander conseil à un grand ami de mon défunt père. Ce dernier me fit savoir qu’il ne pourrait jamais persuader ma mère de me délier de ma promesse. Par contre, il s’en fut consulter un voyant pour chasser le « djinn » qui habitait ma femme et pour me permettre de retrouver la paix. Mais l’action du « spécialiste » s’avéra infructueuse. Après une accalmie de deux semaines qui me donna de faux espoirs, Niélé retomba en plein délire. Cette fois, elle répétait inlassablement qu’elle allait me tuer, parce que je fréquentais d’autres femmes. Cinq nuits de suite, j’ai dû subir ces assauts de jalousie furieuse. J’eus beau proposer à ma femme de lui démontrer que je lui réservais à elle seule mon ardeur conjugale, elle ne faisait que me rire méchamment à la figure. Devant une telle situation, une idée inspirée par le désespoir me vint à l’esprit. Vilipendé pour vilipendé, autant je paie pour quelque chose que j’avais fait. Voilà comment je me mis en chasse discrètement d’une amante auprès de qui je trouverai refuge et pourquoi ne pas le dire – qui me redonnerait le goût aux choses de l’amour. Ce fut ainsi que je fis la conquête de Aïda, une jolie femme à qui je rendis service au départ sans arrière-pensée.

Avant que je ne sache qu’elle était l’épouse d’autrui, j’en avais déjà fait mon amante. La passion s’était déclenchée si vite entre nous qu’il a fallu deux sorties pour que nous puissions calmer nos étreintes, ras¬sembler nos esprits et commencer à nous faire des confidences mutuelles. L’adultère m’est tombé littéralement dessus, moi qui au début de notre ménage ne songeait même pas à une aventure extra-conjugale. Mais je dois reconnaître qu’il y a avait très longtemps que je n’avais pas connu une telle plénitude amoureuse dans l’acte sexuel. J’ai eu de gros scrupules à poursuivre mon aventure lorsque j’ai appris qu’Aïda était la deuxième épouse d’un homme marié à trois femmes. Mais je ne pus résister plus que dix jours avant de renouer avec mon amante. Quelque part ma conscience me gronde, mais Aïda me fait revivre. Je me prouve avec elle que je suis un homme normal et ce que j’apprécie en elle, c’est qu’elle ne me demande rien. Cette bouffée d’oxygène malhonnête m’a redonné mon équilibre. Alors, tant pis pour la morale ».

A ce point du récit, on sentait les yeux de Cheick briller d’une lueur éloquente que tout homme averti sait comment interpréter. Coulou, un des proches amis du brimé et moi compatissions en silence. De s’être confié ainsi fit d’ailleurs du bien à notre ami, qui se retira peu après. L’enfer ne s’était pas entièrement éloigné de lui. Mais au moins maintenant, il possédait un havre de paix où il pouvait récupérer de temps en temps. Coulou laissa éclater néanmoins son indignation révoltée. Ironiquement, je lui fis remarquer qu’il était assez mal placé pour juger le ménage de qui que ce soit, lui qui à l’approche de la cinquantaine n’avait pas encore convolé en jus¬tes noces, préférant rester dans sa vie de vieux garçon fêtard. Mais je convins avec lui que mieux valait ne pas se marier que subir ce que Cheick vivait dans son foyer. Ou ce qu’avait subi Barou, un cousin à Coulou installé en Côte d’ivoire. « Barou, lui aussi, avait une épouse impossible, se rappela Coulou. Elle n’était pas violente comme l’autre folle. Mais elle également harcelait son époux toute la nuit. Au point de laisser le pauvre sans forces au petit matin.

Kady (ainsi s’appelait la dame) était d’une jalousie maladive et soumettait Barou à un véritable interrogatoire de police toutes les nuits. Elle faisait elle-même les questions et les réponses. « Qu’est-ce que tu as fait aujourd’hui ? lançait-elle au malheureux. Tu es allé chez les prostituées, je le sens. Ce n’est pas ton odeur habituelle« . Et ainsi de suite. Elle pouvait ainsi meubler toute une nuit avec une pluie ininterrompue d’interpellations. De temps en temps, elle s’offrait un court répit pour recenser de nouveaux soupons et revenir à la charge au moment où son mari se mettait au lit. Kady ne manquait jamais de demander « sa ration« , (c’était le terme qu’elle employait pour évoquer ce qui est supposé être des ébats conjugaux) et une fois que l’époux se soit acquitté de ce qui était devenu plus une corvée qu’autre chose, les questions reprenaient plus explicites et surtout plus effrontées. « Pourquoi es-tu moins fringant aujourd’hui ? Tu n’as même pas tenu un quart d’heure. N’avais-je pas raison de te demander où est ce que tu allais t’encanailler ? Moi, j’ai la conscience tranquille. Je ne connais que toi comme homme, alors je n’entends pas te partager avec une autre. » Si Barou feignait l’indifférence, Kady le secouait de toutes ses forces et jurait qu’il ne s’endormirait pas ainsi après avoir fait impunément ses « bêtises« .

Une étrange remarque

De temps en temps, le mari demandait à sa conjointe de le laisser dormir, lui rappelant qu’il avait horreur des femmes qui ne savaient pas se retenir de parler. Kady se taisait deux-trois minutes avant de repartir de plus belle. Certaines nuits, Barou perdait patience. Une ou deux gifles partaient, mais elles ne suffisaient pas pour rendre muette l’épouse acariâtre. Très vite, celle-ci séchait ses larmes et repartait à l’assaut. Elle jurait que même si son mari la tuait, elle continuerait de sa tombe à lui poser les questions qu’elle voulait. Le calvaire de l’homme se poursuivait donc jusqu’à l’aurore. Des fois, il arrivait à Barou d’abandonner carrément la chambre et d’aller passer la nuit, assis dans un fauteuil du salon. Mais cette mauvaise solution le laissait épuisé au matin.

Un jour, alors qu’une de ses tantes qui était la femme forte de la famille lui rendit visite, Barou lui dit envisager le divorce. La vieille se récria aussitôt. « Ne prononce jamais ce mot, que vas-tu dire à notre famille qui est restée à Bamako ? On interprétera ta décision comme si elle émanait de moi. Je t’ai élevé, mais c’est ton père qui t’a trouvé une femme, alors sois patient avec cette dernière, ses défauts sont dûs à sa jeunesse« . Barou ne partageait pas cet avis et il avertit sa tante qu’un jour Kady cesserait de le soupçonner d’infidélité pour passer à l’acte et le tuer. A cause de cette chipie, indiqua-t-il, il ne dormait plus, il constatait que ses poches régulièrement fouillées et parfois vidées, il avait même été menacé de convocation à la police. « Je bénéficie de la considération de mon entourage et je n’aime pas le scandale, dit en conclusion Barou, mais depuis deux ans que ma femme est là, ma vie est devenue un enfer. Alors de grâce si tu avais un peu d’amour maternel pour moi, débarrasse-moi d’elle. Sinon un jour ça risque de très mal tourner« .

La tante lui fit alors une remarque étrange. « Tu es un homme, oui ou non ? dit-elle. Alors conduis-toi en homme« , Barou, perplexe, voulut savoir comment il devait se comporter. « Un homme, un vrai, rétorqua sa tante, doit trouver le moyen de dominer sa femme ». Barou comprit le message et il sentit aussi que sa tante n’irait pas plus loin dans ses conseils. C’était à lui de voir comment faire pour mettre en œuvre cette recommandation. Barou songea tout d’abord à épouser une seconde femme, mais conscient de ses possibilités pécuniaires limitées, il rejeta bien vite l’idée. La con¬joncture était dure en Côte d’ivoire, surtout pour un jeune exilé (il avait trente ans) comme lui qui avait un emploi stable, mais pas très bien rétribué chez des Libanais. Dans le bus qu’il prenait chaque jour à Marcory pour aller à son lieu de travail, il fit la connaissance d’une Malienne, Awa, dont il perçut très vite la gentillesse et la douceur. Leurs rapports subirent une escalade vertigineuse pour aboutir à un petit hôtel un après-midi pluvieux. La conquête de Barou était mariée, mais son époux était souvent absent. Pris dans ses affaires entre la Côte d’ivoire et le Gabon, il n’avait pas beaucoup de temps pour s’occuper de sa jeune femme et de ses deux enfants. Les amants adultères de Marcory vécurent donc intensément leur relation.

Chez lui, rien qu’en pensant à son prochain rendez-vous avec Awa, Barou supportait mieux maintenant le calvaire qui lui faisait vivre sa femme. La nouvelle carapace qu’il s’était forgée désarçonnait Kady. Celle-ci comprit que quelque chose d’important venait de se passer. Une nuit, elle passa brusque¬ment à l’attaque. « Je sais tout, dit-elle en regardant Barou au fond des yeux, celle que tu amènes dans tes hôtels de passe ne m’est plus inconnue« . En fait, Kady ne savait rien du tout et elle lançait un ballon d’essai. Mais elle avait parlé avec une telle assurance qu’elle faillit réussir dans son entreprise. Barou fit mine d’être indifférent, mais son cœur cognait fort dans sa poitrine. En fait, il ne craignait pas le scandale pour lui-même, mais il se souciait de mettre Awa à l’abri d’éventuels désagréments. Ce fut cela qui le rendit imprudent. Le lendemain, il sortit précipitamment de chez lui et ne s’aperçut même pas que sa femme l’avait suivi. Il s’empressa de donner rendez-vous à son amante sur une artère très passante du Plateau. Heureusement pour le couple adultère, la suiveuse ne put se jeter sur lui avant qu’il ne s’engouffre dans un taxi de passage. La nuit, Kady repartit à l’assaut, faisant à nouveau semblant d’être au courant de tous les détails. Cette nuit-là, les questions les plus farfelues tombèrent en cascade sur le pauvre Barou. L’épouse se comporta en véritable voyeuse. Elle voulait savoir ce que sa « rivale » avait de plus qu’elle, comment elle se comportait au lit, comment elle réagissait aux assauts de son mari.

Cécile en position de force
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Mais Kady ne se rendait pas compte qu’à force de harceler son époux, elle obtenait le résultat inverse de celui recherché. Barou au début inquiet se détendait au fur et à mesure que sa femme parlait. Car il se rendait compte que cette dernière tout en prétendant qu’elle était au courant de tout à force s’acharnait en fait à le faire avouer. Ce qui signifiait qu’en réalité, elle en savait très peu sur Awa. Il pouvait donc reprendre tranquillement ses relations avec sa maîtresse. Mais un coup dur survint. Peu après, Awa dut rejoindre son mari au Gabon où il s’était en fin de compte installé et le calvaire de Barou reprit. Mais par pour longtemps. Désormais trempé par l’expérience, il ne mit guère de temps à se trouver une nouvelle amante, Cécile de son prénom et Ivoirienne de nationalité. La nouvelle amante possédait de surcroît une situation sociale enviable. La dame s’attacha tellement à notre homme qu’elle plaqua carrément son compagnon avec lequel elle vivait depuis plus de dix ans. Barou, gâté comme un coq en pâte, n’avait même plus de scrupules à étaler sa relation adultère devant sa femme. Celle-ci était dévorée d’une rage impuissante. Tout le voisinage était désormais au courant de l’enfer qu’elle faisait vivre à son mari et du soulagement que celui-ci trouvait dans sa liaison avec l’Ivoirienne. Cécile s’était en effet chargée de répandre la nouvelle après les confidences de son amant et les gens, conformément aux coutumes de ce pays permissif, donnaient raison à Barou d’aller chercher ailleurs l’équilibre absent dans son foyer.

Cécile, qui se savait en position de force, poussa plus loin son avantage. Un jour, elle se rendit jusqu’au domicile de Barou pour signifier à Kady que cette dernière perdait son temps à lui faire concurrence. Pour situer son avantage, elle usa d’une image forte comme savent en trouver les femmes qui veulent abattre leur rivale. « Entre une excisée et une non excisée, dit-elle, ton mari sait où se trouve son bonheur au lit. Car toi tu as perdu ce que tu avais de mieux et comme moi je l’ai gardé, Barou m’appartient désormais. Tu te contente¬ras maintenant de mes restes« . Ce jour là, parait-il, Kady pleura longuement de rage. Parce qu’elle savait qu’il y avait du vrai dans ce prétendait Cécile, mais que cela n’était pas lié du tout à l’excision. L’épreuve ne lui enleva rien de ses anciennes habitudes, seulement elle trouvait moins d’occasions de s’exprimer maintenant. Car il arrivait fréquemment à son mari de découcher. Barou, bon prince, proposa à Kady de la faire retourner au pays, mais la dame refusa tout net. Elle savait qu’au Mali la nouvelle selon laquelle une « étrangère » lui avait pris de force son mari la rattraperait et que la honte qui s’abattrait sur elle serait insupportable« .

Il se faisait tard, mais Coulou et moi continuâmes à deviser sur les épouses impossibles à vivre et qui, par leur comportement, poussent très souvent l’homme à l’adultère. Le cas de Mohamed, un ami de l’oncle de Coulou, était explicite. Sa femme, Sansa, pratiquait sur lui un marquage à la culotte. Par exemple, il suffisait que notre aîné se fasse coudre un habit neuf pour que l’épouse y mette le feu lorsqu’il le lui donnait à laver.

Pour elle, c’était la meilleure façon de ne pas laisser son conjoint jouer au « kamalenba » (au Don Juan). Pourtant, ils avaient derrière eux plus de vingt-¬deux ans de mariage. Tous les amis de l’époux s’étonnaient de la hargne de Sansa. En effet, ils percevaient Mohamed comme un homme plein d’humour et très facile à vivre.

Notre homme resta ainsi stoïque pendant des années, puis en abordant la cinquantaine, il changea de philosophie. A présent il défendait le principe suivant, « Quand ta femme te fait suer, réfugie-toi ailleurs pour décompresser« . Comment ? La réponse de Mohamed était simple. « Il n’y a qu’à trouver une femme qui n’ait pas froid aux yeux, conseillait-il. Car l’antidote à l’épouse mesquine, incendiaire, violente ou d’une jalousie maladive, c’est l’amante je m’enfoutiste, dégourdie, qui est capable sans état d’âme de ramener sa « rivale » sur terre et de lui flanquer des complexes« .

Le « piment » de Kankou

En somme, le remède de la femme, c’est la femme elle-même. Mohamed ne se faisait jamais prier pour développer sa théorie sur l’adultère et un jour au grin, il nous fit une vraie conférence sur la meilleure manière d’aménager les rapports entre épouses et maîtresses. « Petits frères, nous dit-il, nous sommes entre hommes. Alors laissez-moi vous donner quelques conseils pour ne pas transformer votre vie de famille en champ de bataille. Ne vous fâchez jamais contre vos femmes. Du moment que vous pouvez en épouser quatre, ne signez jamais la monogamie, même si vous êtes monogame par principe. Faites en sorte que vos épouses se sentent aussi vos copines : ça aide à supprimer beau¬coup de tabous au lit et c’est utile le jour où vous voudriez en faire des amantes et vous offrir des fantaisies. Ne vous laissez pas non plus jamais voler l’initiative au lit, vous risquez de devenir un mari dominé.

Si votre femme parle trop et se montre mesquine, allez dormir chez un ami célibataire, car il n’y a rien de plus vexant pour une épouse que de se réveiller le matin et de voire l’autre côté de sa couche vide. Mais n’abusez pas trop de ce procédé. Parlez-lui quand vous vous retrouvez en intimité. Faites en sorte qu’elle se rende compte qu’à tout moment elle pourrait vous perdre au profit d’une autre ou vous partager avec celle-ci. Mais n’insistez pas trop sur cette possibilité. Pour finir, soyez attentif à ses signaux de désir. Les plus subtiles mettent de l’encens dès le crépuscule, d’autres s’arrangent pour que vous sachiez par leur tenue légère qu’elles sont dans les meilleures dispositions ce jour-là. J’en connais qui vous demandent de façon habile « Est-ce que je dois faire ton lit ? » En demeurant attentif aux paroles et aux intonations des femmes, vous saurez décoder une multitude de messages. Comme celui qu’elles vous adressent en vous demandant d’une certaine manière après le dîner « Es-tu rassasié ?« . Moi, je suis lié avec Sansa, la femme au monde la plus impossible à vivre. Mais comme elle est pour moi quelqu’un d’intéressant, j’ai appris tout au long de mes vingt-deux ans de mariage à l’étudier et à la dompter.

Aujourd’hui, elle a gardé encore quelques-uns de ses anciens défauts comme brûler les habits neufs que je me fais coudre. Mais je pourrai dire que sa jalousie est devenue raisonnable. Le jour où j’ai décidé de la tromper, je lui ai demandé en public devant des amis qui étaient là. « Sansa, départage-nous : manger chaque jour du poulet ne risque-t-il pas à la longue de vous dégoûter de ce plat ? « . Sans méfiance, elle plongea en répliquant « Tu as parfaitement raison, il faut parfois changer, c’est sûr« . Mes amis qui avaient vu le coup partir et qui connaissaient la jalousie de ma femme, rirent sous cape. Le lendemain, je rentrais épuisé par mon premier acte d’adultère. Sansa qui ne manque pas de flair devina aussitôt ce que j’avais fait et voulut se déchaîner. Alors je lui retournai sa vérité. « Tu avais bien dit qu’il fallait changer souvent, non ? ». « Moi, dit-elle en s’étouffant d’indignation, j’ai dis ça ? Et quand ? ». « Mais hier soir. Et devant témoins en plus », répliquai-je froidement. Elle comprit aussitôt le coup que je lui avais joué. Elle m’en voulait, c’est sûr, mais elle s’en voulait aussi à elle-même. Je pus désamorcer ainsi la bombe en misant sur ce dernier sentiment. De pareilles anecdotes, je pourrais vous en dire des dizaines, toutes susceptibles d’atténuer une crise de ménage. Alors gardez toujours l’initiative des débats. Mais laissez-moi vous dire ceci, ne trompez jamais vos femmes avec une autre qui ne les égale pas ou qui ne les dépasse pas en beauté physique.

Prenez le cas de Séga. Sa femme Maï était tellement acariâtre qu’elle avait réussi à se faire détester de tout le monde sans exception, mais notre ami portait sa croix en silence jusqu’au jour où je le poussais à l’adultère. Je le mis en présence d’une ancienne conquête d’un de nos camarades. Celle-ci avait avec les hommes un comportement singulier. Son plaisir à elle se trouvait dans les préliminaires. Il fallait lui donner l’impression de la bousculer pour la faire au final céder. Je conditionnai donc Séga et le poussai dans les bras de Kankou. Cette dernière se comporta comme d’habitude. Elle commentait à haute voix toutes les manœuvres d’approche de son futur amant avant de passer à l’essentiel. La première fois qu’on entendait la jeune femme, c’était déroutant, mais par la suite, cela ne manquait pas de piquant. Voilà un échantillon de ce qui se passait ou plutôt de ce qui se disait : « Karça, lançait Kankou, pourquoi tu m’as amenée ici ? Qu’as-tu l’intention de faire ? », « Tu es en train de me pousser vers ce lit, n’est-ce pas ? Et pourtant je n’irai pas. Alors, arrête. », « Tu m’y as entraînée de force, que vas-tu faire après ça ? » « En tout cas, ne me demande pas de m’étendre, parce que je ne le ferais pas. » « Tu t’attaques à mon pagne, hein ! Pourquoi tu fais ça ? » « Ne froisse pas mon sous-pagne, sinon… » « Qu’est ce qui te prend ? Tu veux m’obliger à céder ! Hein, c’est ça ? » « Qu’est ce qui ne va pas chez toi ? Cela ne va pas se passer comme tu l’espères ».

En tous les cas, Séga après qu’il eut passé l’épreuve de Kankou, se révéla moins contracté, moins timide, moins renfermé. C’était comme si on le déniaisait une seconde fois. Il devenait moins vulnérable aux attitudes parfois inqualifiables de son épouse. Même les pires méchancetés de celle-ci ne le touchaient plus ».

« Petits frères, dit avec un large sourire Mohamed, je vais vous faire un aveu : je ne regrette pas d’avoir pu faire cela pour mon ami. Sa femme Maï n’est pas plus facile à vivre qu’avant, mais Séga, après sa liaison, a appris à retrouver ses réflexes d’élément dominant du ménage. Aujourd’hui, je ne dis pas que leur couple soit idéal, mais il est équilibré et d’une certaine manière, il tient la route. Voyez-vous, l’adultère n’est à recommander à personne. Car il crée des tragédies parfois incommensurables. Mais il arrive que par lui se rétablissent entre les hommes et les femmes des équilibres rompus. La femme réapprend à mieux apprécier son mari et ce dernier retrouve ses réflexes de responsable du couple. Il est vrai que la méthode ne marche pas toujours. Alors, petits frères, ne dites pas que je vous incite à l’infidélité ».

La sagesse de Mohamed est parti¬culière, mais il y a des cas où elle est complètement inopérante. Par exemple, quand les « tricheurs » optent pour l’hypocrisie et la dissimulation. Mais de cela nous parlerons la fois prochaine. Si vous le voulez bien.

(à suivre)

TIÉMOGOBA

Essor du 29 août 2008