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«La corruption dans le système judiciaire». Tel est l’un des trois thèmes débattus hier par les participants aux états généraux sur la corruption et la délinquance financière au Mali, qui se déroulent depuis mardi 25 novembre, au Centre international de conférences de Bamako (CICB). Il a été développé par Abraham Bengaly, professeur à la Faculté de droit de l’Université de Bamako et secrétaire général adjoint de l’Association malienne des droits de l’homme (AMDH).

Dans son document de 15 pages, il décrit les manifestations de la corruption dans l’appareil judiciaire, chez les juges en particulier, et formule une série de recommandations visant à la circonscrire. Les deux autres thèmes portaient sur «La corruption dans l’éducation» et «La corruption dans la Fonction publique et l’administration». Nous y reviendrons dans nos prochaines éditions.

Les travaux des Etats Généraux sur la corruption et la délinquance financière, ouverts le mardi 25 novembre par le président de la République, Amadou Toumani Touré, se poursuivent au CICB.

En effet, les débats thématiques ont débuté hier, mercredi 26 novembre, sous la direction de l’ancien Premier ministre, Modibo Kéïta, président du Comité préparatoire de ces assises. «La corruption dans le système judiciaire». Tel est l’un des thèmes débattus par les participants et présenté par Abraham Bengaly, professeur à la Faculté de droit et Secrétaire général adjoint de l’AMDH.

Dans son document de 15 pages, il évoque les manifestations de la corruption dans le système judiciaire et les mesures recommandées pour lutter contre ce fléau.

Concernant le premier sous-thème, il dira que «l’appareil judiciaire a fait l’objet de vives critiques qui, au-delà du juge, touchent l’ensemble de la famille judiciaire. De nombreuses études réalisées par d’éminents juristes et enseignants maliens ont suffisamment révélé les causes et pratiques de la corruption dans le secteur de la justice qui sont suffisamment connues de tout le monde.

Dans le contexte malien, les formes et mécanismes de corruption que l’on observe sont multiples et variés. La corruption se manifeste sous forme d’influence inappropriée sur l’impartialité du processus judiciaire et des décisions de justice. Cette manifestation peut s’étendre au fait de soudoyer un juge pour obtenir une décision favorable, ou une absence de décision. La corruption judiciaire englobe également l’abus des fonds affectés à la justice ou du pouvoir attaché à la fonction judiciaire.

Elle peut également se traduire par un système biaisé d’attribution des dossiers ou survenir dans le cadre des autres procédures antérieures au procès. C’est le cas notamment d’un agent soudoyé qui en vient égarer certains dossiers ou certaines pièces à conviction. Enfin, elle peut consister à influencer tout règlement judiciaire et l’application (ou la non application) des décisions de justice et des peines».

Le Pr. Bengaly catégorise les différentes manifestations de la corruption en deux points : les opportunités structurelles de corruption dans le secteur de la justice et l’intermédiation comme forme de corruption et de gestion de l’incertitude.

Sur le premier point, le conférencier soutient que les rapports qui se développent entre le service public de la justice et les usagers sont devenus marchands ou fortement personnalisés selon le cas. Ainsi, il a énuméré les pratiques courantes désormais ancrées dans la structure judiciaire.

Il s’agit de ce qu’il appelle la manipulation des espaces normatifs et la privatisation interne. «La recherche effrénée des décisions favorables crée la collusion entre le juge et l’avocat ou les décisions sont le produit d’un arrangement préalable. Le plus souvent, ceux-ci se connaissent et évoluent dans les mêmes milieux. Leurs relations de familiarité favorisent les arrangements des décisions de justice au détriment des principes et textes normatifs. Par ailleurs, c’est autour de la délivrance d’actes civils ou judiciaires que se déploie l’essentiel des stratégies corruptives. Celle-ci n’est presque jamais automatique. Malgré les textes qui régissent la matière, elle est toujours reportée et reportable, créant chez l’usager un sentiment d’insécurité…on fait alors payer aux usagers le service rapide», a-t-il expliqué.

L’intermédiation, l’influence de multiples réseaux d’intermédiaires, l’activation de liens avec le personnel judiciaire sont, entre autres, des formes de corruption évoquées par le Pr. Bengaly.

Au nombre des mesures recommandées pour lutter contre la corruption dans le système judiciaire malien, l’orateur a suggéré de privilégier les critères d’aptitudes professionnelles et morales dans les recrutements et nominations, d’établir et d’appliquer les plans de carrière, de former les magistrats, le personnel judiciaire et les auxiliaires de justice. S’y ajoutent le respect des règles éthiques et déontologiques et le renforcement du pouvoir du Conseil Supérieur de la Magistrature.

Au cours des débats, le gouverneur de Ségou, Abou Sow, a souhaité une collaboration accrue entre l’autorité judiciaire et les administrateurs, notamment dans le domaine foncier. L’ancien ministre, Konimba Sidibé, a laissé entendre que la justice est un maillon essentiel dans la lutte contre la corruption.

«Il y a des choses que nous avons honte de dire. L’indépendance de la justice, c’est l’arbitraire. Quelle indépendance par rapport à l’argent sale ? Quelle indépendance par rapport aux réseaux familiaux ? La justice baigne dans la corruption comme les autres structures de l’Etat. Quelqu’un a parlé d’enquête de moralité. Quelle enquête ? Lorsque j’étais proposé pour entrer au gouvernement, j’ai été informé du résultat avant le président. Parce que les enquêteurs sont venus me voir pour me demander comment on fait. En réalité, nous avons le sentiment que le juge est au-dessus de la loi», a-t-il déclaré.

Sans passer par quatre chemins, le gouverneur de Kidal, Ilyyène Ag Alhamdou a lancé que «certains magistrats ne sont pas à la hauteur».

Pour le président du Syndicat Libre des Magistrats, Hamèye Founé Mahalmadane, les juges ne sont pas au-dessus de la loi. «Si lutter contre la corruption, c’est lutter envers et contre la justice, on se trompe. Il y a parmi nous des bons comme des mauvais magistrats. On ne couvrirait aucun magistrat en situation délicate. La vérité judiciaire n’est par la preuve divine. On peut avoir raison, mais faute de preuve on perd le procès devant le juge. L’indépendance de la justice est une garantie pour le justiciable et non le juge», a soutenu Hamèye Founé Mahalmadane.

Avant de proposer que la saisine du Conseil Supérieur de la Magistrature soit revue, que le code pénal et le code de procédure pénal soient relus afin de correctionnaliser certaines infractions.

Le Procureur près la Cour d’Appel de Bamako, Mahamadou Bouaré, a fait, dans un long développement, l’historique de la justice. Avant de conclure que «notre justice n’est pas mauvaise».

Chahana TAKIOU

27 Novembre 2008