La mort n’efface pas le nom pour les plus méritants. Ainsi, deux ans après sa mort, Ali Farka Touré n’est pas encore un souvenir pour une grande majorité d’entre-nous. L’émotion de cette mort est tellement si intacte qu’on croirait volontiers que c’est ce matin même que le bluesman universel s’est éteint.
7 mars 2006, 7 mars 2008 ! Voilà deux ans que s’est éteinte l’une des grandes légendes de la musique d’inspiration africaine, humaine et universelle : Ali Farka Touré. Oui, déjà deux ans ! Que le temps passe vite ! Si vite que ce deuxième anniversaire va surprendre beaucoup de tes fans.
Mais, pour nous autres, c’est comme si nous étions à cette aube du 7 mars 2006, l’instant où tu t’es éteint dans la discrétion et l’intimité familiale. Notre douleur est encore vivace ! Notre tristesse plus grande. Comment se résoudre à la mort d’un immortel ? Oui, tous les humains ne sont pas mortels sinon les légendes n’auraient pas existé.
D’ailleurs, ne dit-on pas que « les morts ne sont pas morts ? ». Ceux qui ont planté des « arbres » ou creusé des puits pour étancher la soif de leur prochain ne meurent jamais ! Et Ali est de cette catégorie. Père, époux, frère, ami, parrain, idole… Tu es encore dans nos cœurs comme tel ! L’amour que nous avons pour toi est si noble qu’il résiste à tout. L’ange de la mort détruit tout sauf l’amour dans sa noblesse.
Farka ! « Ane » ! Tu l’as réellement été par ta force et ton amour du travail. Tu as été un « âne » que personne n’a réussi à monter mais qui a pourtant porté le Mali et ses valeurs musicales partout dans le monde. Par ton talent, ton patriotisme, ta bravoure, ta persévérance… tu as rendu célèbre Niafunké, tu as donné un visage reluisant au Mali sur la planète. Ali a redonné aux blues ses vraies sensations et toute son émotivité en le ramenant à ses sources historiques et culturelles.
Comme le témoignent ceux qui l’ont accompagné partout dans le monde, Ali était, un phénomène. Il fallait tourner avec lui dans le monde pour le savoir réellement. C’est une foule déchaînée qui l’accueillait partout parce que sa musique est profonde, sensationnelle, sentimentale et humaine. Il est difficile de ne pas se retrouver dans ses œuvres. « Le Mali et l’Afrique ont perdu en lui un ambassadeur incomparable », reconnaît un confrère des Etats-Unis.
Radio Mali, Talking Timbuktu, The Source, The River, Niafunké, In the heart of the moon et, enfin Savane ! Ali tes productions sont aujourd’hui comme des livres de chevet. C’est dire que nous ne cessons de t’écouter. Et surprise ! Chaque nouvelle écoute est une redécouverte de l’artiste. C’est dire qu’on ne saura jamais mesurer ton talent à juste valeur, tellement il est immense et incommensurable.
C’est maintenant que nous découvrons toutes la noblesse de ta musique, la profondeur de ton inspiration. Quel délice que d’écouter et réécouter ces chefs d’œuvre, ces classiques de la musique universelle. A peine si l’on retient souvent ses larmes face à tant de poésie et de philosophie. Ali est-ce qu’on te comprenait réellement ? Nous pensons que non ! Ceux qui sont d’avis contraire, n’ont qu’à écouter Amadraï par exemple. Nous avons la chair de poule à chaque réécoute de ce titre langoureux qui fait vibrer tous les sens.
Les héritiers à l’œuvre
On comprend alors aisément qu’Ali est dans les récentes productions de tous ceux qui ont côtoyé le paysan/bluesman de Niafunké. Segu Blue de Bassékou Kouyaté en est la parfaite illustration. D’une mélodie irrésistible et fascinante, cet album nous évoque inévitablement le blues d’Ali Farka Touré que Bassékou a accompagné au ngoni sur le désormais mythique album posthume, Savane.
Le ngonifola a d’ailleurs ajouté à l’œuvre un couplet en hommage au paysans/bluesman. Ce titre, c’est Lament for Ali Farka ! Un morceau sur lequel danse majestueusement l’éblouissante voix de sa sublime femme, la chanteuse Amy Sacko.
Que dire alors des titres comme « Fimani » et « Baara », sur l’album Afriki de Habib Koité. Vieux Farka ! N’en parlons pas puisqu’il ne saurait être autrement pour cet héritier naturel comme Afel et tous ceux qui se réclament aujourd’hui « les Amis d’Ali Farka » et qui continuent de véhiculer les valeurs qu’il a toujours défendues à travers le monde.
Mais, ressemblance n’est pas similitude. « Les gens disent que ma musique est pleine de promesses et qu’elle rappelle l’œuvre de mon père à bien d’égards. Mais, je pense qu’Ali Farka est unique en son genre. Ce n’est pas facile d’égaler une star comme Ali Farka, à plus forte raison faire plus que lui », nous disait un jour Boureïma dit Vieux Farka Touré.
« Le miel n’est pas doux dans une seule bouche » ! Avoir et partager est la vertu des grands hommes ! Et Ali Farka Touré en est un ! Il le restera pour l’éternité puisqu’il continue à partager avec nous son talent et son humanisme ! « Le soutien qu’Ali a apporté aux artistes, surtout aux jeunes, si toutes nos stars en faisaient autant, le Mali compterait déjà de nombreuses distinctions internationales, la musique malienne n’aurait pas eu de rivale dans le showbiz international…Ali était un homme exceptionnel.
Même se sachant condamné, il n’a rien perdu de sa joie de vivre, de son humour…C’est lui qui consolait ceux qui venaient le voir », dixit Bassékou Kouyaté (dans « Parlons un peu d’Ali » de Cauris Editions).
Quel bel exemple pour notre génération, attirée par l’eldorado de l’Occident, que ton attachement à ta patrie, à la terre de Niafunké qui t’a maternellement accueilli pour le repos éternel. « L’Afrique est ma source d’inspiration, mon repère, mon bonheur », nous disais-tu.
En effet, contrairement à de nombreux artistes africains, Ali Farka Touré n’a jamais cédé à la vague d’exil vers l’Occident lorsque, dans les années 70-80, l’expansion de la world music a attiré nombre d’entre eux en Europe.
Bien au contraire ! Ce musicien à la culture musicale impressionnante, respecté et révéré dans le monde entier, est plus qu’aucun autre proche de sa terre, le Mali. A tel point qu’aujourd’hui, après avoir séduit la scène musicale internationale avec son blues sensible et inspiré, il consacre le plus clair de son temps à l’agriculture.
Dors en paix l’artiste, le paysan ! Rien ne nous consolera de ta disparition. Ni les torrents de larmes versés ni tous ces témoignages émouvants !
DISCOGRAPHIE
Farka (1976)
Red (1984)
Ali Farka Touré (1987)
Green (1988)
The River (1990, World Circuit)
The Source (1992, World Circuit avec Taj Mahal)
Talking Timbuctu (1994, World Circuit)
Radio Mali (1996, World Circuit)
Niafunké (1999, World Circuit)
In The Heart of the Moon avec Toumani Diabaté et Ry Cooder (2005, World Circuit)
Savane (2006, World Circuit)
FILMOGRAPHIE
Ali Farka Touré est apparu dans de nombreux films-documentaires :
Ça coule de Source de Yves Billon et Henri Lecomte (2000)
Je chanterai pour toi de Jacques Sarasin (2001)
Le Miel n’est jamais bon dans une seule bouche de Marc Huraux (2002).
Le Festival au désert de Lionne Brouet (2003)
Du Mali au Mississipi de Martin Scorsese (2003)
A Visit to Ali Farka Touré de Marc Huraux (2006
Moussa Bolly
07 mars 2008.