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L’Afrique, terre d’humanisme, de fraternité et de solidarité !“, s’exclamait un des chantres de la Négritude, Léon Gontran Damas (1912-1978). En effet, ce constat est celui de tout Occidental ou autre étranger qui foule le sol africain pour la première fois. Mais qu’en est-il de nos jours?

De nos jours, sur cent Africains, il est difficile d’en trouver trente qui éprouvent le même sentiment, tant les relations humaines qui avaient jadis cours, et qui faisaient (et qui, dans certaines parties de l’Afrique, font encore) le renom et la fierté des Africains, se sont lamentablement détériorées au fil du temps, jusqu’à emprunter la voie de la dispparution.

Cette détérioration des qualités humaines pourrait s’expliquer, entre autres, par la conjoncture mondiale actuelle faite de difficultés économiques, politiques et sociales, par “l’ immixion “ des effets du modernisme dans le train de vie des Africains, par certaines tares de la gestion des affaires des Etats africains, et par la baisse de moralité du citoyen, avec son corollaire d’incivisme et de carence patriotique.


Les Africains sont tous frères, pourtant…

Aussi n’est-il pas rare d’entendre certains Africains prétendre que de nos jours, l’Africain tend à vivre un rythme de comportement, de conduite ou d’habitude presque identique à celui de l’Européen, en particulier, et de l’Occidental en général.

Quoi qu’il en soit, le coeur de l’Africain tend de plus en plus à se “durcir“, face aux difficultés socio-poilitiques et économiques que subit l’Afrique, même si le continent conserve encore jalousement certaines de ses valeurs qui restent toujours enviées par les étrangers (les non Africains).

Pourtant, du point de vue de maints Occidentaux, tous les Africains sont non seulement frères, mais surtout “identiques “, physiquement et morphologiquement parlant. Cette remarque est autant partagée par maints Africains eux-mêmes, concernant les Européens.

Il n’en demeure pas moins que le constat le plus étrange et frappant est que les Africains les plus voisins (sur le plan géographique) sont ceux-là mêmes qui ont du mal à se supporter ou se sentir mutuellement.

Des cas d’intolérance

Pour preuve, citons le cas des Ivoiriens qui ne pouvaient pas “gober“ des Maliens ou des Burkinnabés résidant chez eux. Ou celui de l’intolérance ethnique ou raciale qui a provoqué des ravages sanglants et meurtriers entre Congolais (de la RDC), Rwandais et Burundais… Et notons que ces cas ne sont pas exhaustifs en Afrique : du reste, ne sont-t-ils pas à l’origine de tous les drames que subissent les Africains?

Tout récemment, des Zimbabwéens, qui avaient fui leur pays à cause du chômage et des brimades politiques, s’étaient réfugiés en Afrique du Sud à la recherche d’un boulot. Mais une “chasse aux sorcières“ avait aussitôt été entreprise à leur encontre par des Sud-Africains.

En effet, ces derniers s’étaient mis à les rechercher partout et à les molester juusqu’au sang. Ils ne tenaient tout simplement pas à ce que “ces étrangers” (les Zimbabwéens) viennent leur ravir leurs places et prérogatives.

Aussi s’étaient-ils mis à les chasser comme des pestiférés, avec des propos de ce genre : “Retournez chez vous, sales usurpateurs ! Nous ne voulons pas de vous ici ! Vous venez pour nous prendre notre travail, et il n’en est pas question ! Si ça va mal chez vous, est-ce que c’est de notre faute?

C’était exactement le genre de récriminations que formulaient les Ivoiriens à l’encontre les “étrangers“ (entendez les immigrés maliens, burkinabés, nigériens…), au cours des années dites fastes de la Côte d’Ivoire (de 1960 à 1980).

Ces manifestations de xénophobie avaient même entraîné quelques drames au sein des populations. A l’époque, il avait fallu l’intervention énergique de feu Félix Houphouet Boigny qui prit des mesures draconiennes à l’encontre de ces Ivoiriens racistes.

Si la Côte d’Ivoire est aujourd’hui économiquement forte, c’est aussi grâce à nos frères des pays voisins“, avait signalé le premier Président ivoirien.

Pourtant, de nos jours encore, en dépit des appels à la tolérance lancés par les dirigeants africains, de tels comportements xénophobes se manifestent entre des citoyens de pays dits voisins et frères. Le cas d’Amadou en est une parfaite illustration.

En effet, il arrive que des Africains, dont les pays sont condamnés (sur les plans géographique, historique, économique et même politique), à cohabiter ensemble, entretiennent réciproquement des comportements discriminatoires.

L’aventure d’Amadou

Pour illustrer le fait, évoquons, entre autres, cette histoire qui s’est déroulée au payx des Hommes Intègres (Burkina Faso), à l’époque de la Révolution du régime du feu Capitaine Thomas Sankara. Celui qui relate ladite histoire n’est autre que son héros, un homme qui a requis l’anonymat et que nous appellerons donc Amadou.

Un beau matin, Amadou débarque pour la première fois à Ouagadougou : il ne sait donc pas où loger, ni même où aller. Mais à la gare même, il fait la connaissance d’un compatriote Peulh qui consent à l’héberger temporairement chez lui.

Mais quelques mois plus tard, ledit logeur tombe gravement malade, et son état empire de jour en jour. Il devient aussi maigre qu’un fil de fer, et des tâches bizarres apparaissent sur tout son corps. En réalité, cette maladie n’était que latente, et elle a fini par terrasser le Peulh “d’une manière aussi brutale qu’inattendue”, selon les voisins.

Du coup, la rumeur se répand comme une gangrène mal circoncise, et les voisins se communiquent la nouvelle, ou plutôt le “mot de passe“. Le logeur d’Amadou est atteint de ce que tout le voisinage pensait depuis longtemps, sans le dire ouvertement : le sida.

En effet, après des tests à l’hôpital Yalgado (le plus grand de Ouagadoudou, et l’équivalent de notre Gabriel Touré), la mauvaise nouvelle est confirmée. Pire, le Peulh décède dix jours plus tard, laissant Amadou seul et désemparé. “Je savais depuis longtemps que mon logeur était condamné. Mais malgré les avertissements des voisins qui voulaient que je l’abandonne, j’ai continué à l’assister jusqu’à sa mort, mais en prenant toutes mes précautions“.

Après la mort de son logeur, Amadou est donc obligé de reprendre la maison à son propre compte. Il en informe alors les fils du propriétaire qui y consentent. Pour mieux être à l’abri d’éventuels désagréments, il règle une avance de deux mois de loyer.

Xénophobie manifeste

Mais quinze jours seulement après la date du “contrat” de location, le propriétaire, un vieux Gourounsi (ethnie burkinabé), se présente devant Amadou et lui lance, sans autre forme de procès : “Comment ! Tu es toujours là, alors que je te croyais déjà parti ? Et tu oses encore rester chez moi,


alors que tu savais depuis longtemps que ton Peulh avait le sida, et que tu n’en as rien dit? Vous les gens d’ailleurs, vous êtes tous pareils ! Partout où vous passez, c’est le “ bogodel” (NDLR : le bordel). Tu as sûrement contaminé les voisins, à ton tour !
“.

Face à cette avalanche de propos aussi grossiers que désobligeants, Amadou reste silencieux et garde son calme, eu égard à l’âge du propriétaire. Mais son attitude enhardit le vieil homme qui lance, encore plus féroce : “Ecoute-moi bien, je te donne un seul jour pour ramasser tes chiffons et foutre le camp d’ici ! Sinon, je te montrerai qui je suis, tam piga ! (NDLR : fils d’âne)”.

Le propriétaire traite Amadou de tous les noms, sans que ce dernier ne réagisse encore, se contentant de le regarder comme une espèce rare. En fait, ce comportement du vieil homme se comprend aisément, quand on sait que les méchantes langues ont du l’influencer dans sa subite décision de jeter Amadou dans la rue.

Du reste, c’est le plus souvent le cas sous nos cieux, où les gens ont plutôt tendance à se fier, sinon se plier d’emblée aux rumeurs et autres ragots, avant de les vérifier et d’en établir la véracité. Et le vieux n’a tout simplement pas dérogé à la “règle“. La règle du “on dit” qui, dans l’esprit des gens (les plus bornés surtout), finit le plus souvent par prendre le dessus sur leur perception de la réalité des faits.

Après avoir subi l’assaut, sinon l’outrage verbal du vieux, Amadou sort de sa torpeur apparente. Et brusquement, la moutarde lui monte au nez : il n’allait quand même pas se laiser insulter par “ce salaud ”, fut-il un vieux, sans répliquer.

Alors, il le foudroie du regard et lui assène froidement à la face : “Ecoute-moi à ton tour, vieux salopard ! Je ne te reconnais même pas comme le propriétaire de cette maison. C’est avec tes enfants que j’ai traité, et je leur ai remis deux mois de loyer. Ni à eux, encore moins à toi, je ne dois un seul sou, tant que ce n’est pas la fin de ces deux mois ! ”.

Et Amadou, de poursuivre, encore plus virulent : “A toi surtout, je ne dois aucune explication, et je n’ai rien à voir avec toi, vieil imbécile ! Je croyais qu’à ton âge, tu aurais plutôt du être sage. Mais je remarque seulement que tu es pire qu’un garnement mal élevé ! Si tu détestes les gens d’ailleurs, comme tu dis, eux au contraire te vomissent ! Et d’ailleurs, est-ce que tu t’es bien regardé? Tu ressembles plutôt à un charognard non rassasié de pourriture ! “.

Mais Amadou ne s’estime toujours pas rassasié. Aussi lui place-t-il sa dernière estocade : “Tout être humain, où qu’il soit né et où qu’il se trouve, possède une maison, et tu devrais le savoir, sale con ! Si c’était possible, avant de quitter mon pays, j’allais plier ma maison, la ranger dans ma valise et y loger partout où j’irai.

Même mort, un être humain possède une maison : sa tombe. Tu devrais le savoir aussi. Et maintenant, je t’ai assez vu. Tu vas donc vider les lieux avant que je me fâche. Et tu peux aller te plaindre là où tu veux, je m’en fous : j’ai la conscience tranquille“.

A quelque chose, malheur est bon

Estomaqué et tétanisé par cette riposte, le vieux propriétaire reste prostré et muet comme une carpe. Ensuite, il se lève péniblement et sort de la concession, une grosse fumée de colère, sinon de rage, lui sortant des narines.Tous les locataires de la concession avaient assisté à la scène, et personne n’a placé un mot.

Cinq jours après cet incident, Amadou reçoit une convocation du service des Domaines : c’est là que se règlent les litiges fonciers et les problèmes de loyer. Amadou s’y rend et trouve le vieux propriétaire. Sans rancune, il lui tend sa main que le vieux ignore superbement.

Alors, le Directeur du service qui l’a convoqué en arrive aux faits. Après l’avoir écouté, Amadou lui relate les faits tels qu’ils se sont passés, sans omettre les mots orduriers que lui et le vieux ont échangés. “De toute façon, on ne meurt pas deux fois“, pense Amadou à part lui.

Le Directeur lui dit alors : “Ecoutez, camarade ( NDLR : au temps de la Révolution, on s’appellait tous ainsi), libérez la maison du vieux. Je vous en trouverai moi-même une autre que vous pourrez louer et occuper dès ce soir, si vous le voulez. Il faut mettre fin à cette histoire, vous comprenez“.

Amadou comprenait, et le même jour, il déménage. Et Dieu n’oubliant jamais ceux qui ont la conscience tranquille, la vie d’Amadou change subitement du tout au tout. Grâce à un ouvel ami burkinabé qui était Directeur de la Section des Arts, Amadou devient, en quelques mois, très lié… au Capitaine Thomas Sankara.

Le camarade Sankara aimait beaucoup les artistes, étant lui-même qualifié dans le domaine : il jouait parfaitement de la guitare, et avait formé un groupe musical dénommé “Les jeunes chanteurs au poig levé ” : une formation exclusivement composée de gamins de 8 à 12 ans.

Et comme Amadou avait aussi des aptitudes artistiques, c’est tout naturellement qu’il devient l’ami de Sankara, dans ce domaine. Et c’est dans ce cadre que lui et son ami (le Directeur des Arts) sont chargés, par Sankara, de compléter la formation de ce jeune groupe musical.

Plus tard, le Directeur des Arts (l’ami d’Amadou) obtient une nouvelle voiture et une promotion : Le Capitaine Sankara le nomme Chargé de la formation des artistes du CDR (Comité de Défense de la Révolution). Le nouveau promu refile donc son ancienne voiture à Amadou : une Mazda ayant appartenu au Capitaine Sankara et portant encore la plaque minéralogique de la Présidence du Faso.

Mieux, le Capitaine Sankara finit par faire d’Amadou l’Adjoint du nouveau Chargé de la formation des artistes du CDR. En fait, ce dernier était l’ami intime de sankara bien avant que ce dernier ne vienne aux affaires de l’Etat. Et les amis de nos amis étant nos amis, comme on dit, c’est donc tout naturellemnt qu’Amadou devient très lié à Sankara et à l’ancien Directeur des Arts : comme quoi, l’art mène à tout.

C’est ainsi que plus tard, le nouveau Chargé de la formation des artistes du CDR trouve une belle maison pour Amadou et règle lui-même une avance de quatre mois de loyer. “Dieu merci ! “, s’exclame Amadou. En effet, comme disait l’autre, “Dieu n’oublie jamais personne, même pas les oiseaux du ciel “.

C’est dire qu’en dépit des vicissitudes du temps et des circonstances de la vie qui ont fait disparaître beaucoup de valeurs morales, certaines d’entre elles demeurent toujours des acquis “inoxydables“ en Afrique. Ente autres, la courtoisie, la compassion, la pitié, l’hospitalité, la solidarité,… bref, l’humanisme.


Oumar DIAWARA

19 Mai 2008