Dans les cahiers de Mandé Bukari (une revue trimestrielle de l’université Mandé Bukari), le président fondateur de cette université privée, le Pr Chéibane Coulibaly, dans sa contribution au Forum National sur l’Education (tenue du 30 Octobre au 2 Novembre) a indiqué que le projet de société élaboré, lors de la conférence nationale qui a suivi la chute de la IIè République, est aujourd’hui altéré.
Selon le Pr Chéibane Coulibaly, la construction de la démocratie passe par un processus permettant la réalisation d’un projet de société déterminé par un consensus national, lui-même construit lors d’un débat auquel toutes les catégories sociales auront participé librement et pleinement.
C’est en cela que la conférence nationale du Mali, dans son esprit, son organisation et son déroulement, peut être considérée comme un moment très fort de la construction de la démocratie au Mali. La conférence a touché à tous les sujets qui préoccupaient le plus grand nombre des Maliens, chacun a pu s’exprimer librement et le plus souvent, dans le laps de temps qui pouvait le lui permettre ; les débats se sont déroulés dans des langues et un langage accessibles à chacun ; et la diffusion la plus large et fidèle possible en a été assurée, a-t-il fait savoir
Toujours selon le Pr Chéibane, ce moment, issu d’une période de changement violent, ne peut se répéter ; alors qu’avec le temps et le comportement des acteurs dans la lutte pour la défense de leurs intérêts corporatistes, le consensus s’effrite et finit par disparaître, provoquant un ralentissement grave du processus d’implantation de la démocratie.
Comment s’effrite donc un consensus de ce type ?
Aux dires du Pr Chéibane Coulibaly, quatre facteurs ont oeuvré dans l’effritement du projet de société issu de la conférence nationale. D’abord le non respect des résolutions prises, concernant le financement public des partis politiques et la décentralisation dont l’option a été prise très clairement, mais dont la forme devait faire l’objet d’une large consultation, pour voir comment mettre en synergie le nouveau et l’ancien, les nouveaux acteurs chargés de la gestion (les communes par exemple), et les anciennes institutions qui ont jusqu’ici financé et géré le développement local.
Ensuite, la non définition des mécanismes nouveaux de mise en œuvre des résolutions prises : la conférence, qui ne voulait pas trop durer (deux semaines en tout), n’a pas suffisamment réfléchi sur les nouveaux mécanismes (nouvelles institutions et/ou nouveaux types de fonctionnement) de mise en œuvre des résolutions prises. Elle a confié cette tâche aux États Généraux qui devaient être organisés plus tard et qui, dans la majorité des cas, ont été l’occasion, pour les différentes administrations, d’avoir à nouveau le contrôle des anneaux de prise de décisions politiques, sous le couvert de décision techniques (concernant les politiques de développement).
Souvent cela s’est fait sans fard, comme pour les Etats Généraux du monde rural où il y avait plus d’agents de l’administration et des services techniques que de représentants paysans. Le renforcement d’une démocratie passe par le contrôle du politique sur l’administration et (tout de même) un fonctionnement interne de l’administration (règle de discipline, promotion des agents) qui ne peut être soumis au politique. En clair, il faut trouver l’équilibre entre la nécessité que le politique ait la suprématie sur l’administratif et la mise de l’administration publique au service d’un parti politique.
Le troisième facteur est certainement l’affaiblissement des contre-pouvoirs : le Mali appartient à une civilisation où les contre-pouvoirs ont toujours joué un rôle important. Ces contre-pouvoirs sont bâtis sur une certaine conception de l’homme (notion de liens) et de la société (notion de biens) : une règle fondamentale du fonctionnement des institutions.
Dans notre tradition, le contre-pouvoir, c’est que même quand il travaille au changement de pouvoir, il ne peut se transformer en pouvoir, c’est-à-dire en institution d’exercice du pouvoir. Les évènements de Mars 1991 ont vu les contre-pouvoirs (syndicats, associations estudiantines, organisations de défense des droits de l’homme, organisations de femmes, presse privée, etc.) contribuer, de façon décisive, au changement politique. Une des erreurs majeures aura été leur participation à l’exercice du pouvoir politique.
Le changement opéré, suite aux évènements de Mars 1991, a entraîné trois effets : la tentation, pour les leaders de contre-pouvoirs, d’utiliser leurs institutions comme leviers de conquête du pouvoir ; la peur que l’Exécutif éprouve renverse les contre-pouvoirs et sa tendance à les affaiblir par des manœuvres de divisons ; la stabilisation des contre-pouvoirs par les partis politiques, les pouvoirs en place, et même parfois par les alliés de ces pouvoirs : bailleurs de fonds, ONG internationales…
Toutes ces pratiques ont entraîné l’affaiblissement d’un des types d’institutions essentiels au jeu démocratique. Enfin, il y a l’illusion que la démocratie entraîne automatiquement le développement.
“Manifestement, il faut construire un nouveau projet de société consensuel. Et j’ai cru comprendre, à travers les différents fora organisés et les travaux menés par la Commission Daba Diawara sur le renforcement de la démocratie malienne, que le gouvernement actuel veut ainsi parvenir à définir ce nouveau projet. J’ai d’ailleurs été invité par la commission Daba à exposer mon point de vue sur cette question”, a indiqué le Pr Chéibane Coulibaly.
Moussa TOURE
05 Novembre 2008