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Désormais inextricablement liés, les concepts de démocratie et de développement font l’objet de réflexions, d’analyses et de prises de position. Aussi, sur le plan africain, comme partout ailleurs, du reste, les partis politiques, les groupes d’intérêt et la société civile paraissent nécessaires, sinon indispensables pour rendre la démocratie vivante.

L’on s’accorde généralement à constater que c’est en 1990 que l’exigence démocratique vit le jour en Afrique. En effet, cette exigence a trait à la désormais célèbre Déclaration de La Baule de l’ancien Président français, François Mitterrand, en Juin 1990, qui liait la démocratie au développement. Aussi, cette date-charnière est parfois considérée comme un cliché, voire une référence. Et pourtant…


Une vieille démocratie africaine ?

Pourtant, le confrère sénégalais récemment décédé, Elimane Fall, remarquait : “L’Afrique de la démocratie n’est pas née à la chute du Mur de Berlin, le 9 Novembre 1989, ni à la fin de la guerre froide (NDLR : entre les Etats Unis et l’ex-URSS)“. Et de justifier : “A la veille des indépendances, la compétition politique ouverte a existé un peu partout sur le continent : entre Léopold Sédar Senghor et Lamine Gueye au Sénégal, entre Modibo Keïta et Fily Dabo Sissoko au Mali, entre Hamani Diori et Zodi Ikhia au Niger, entre Patrice Emery Lumumba et Joseph Kasavubu au Congo-Léopoldville (NDLR : actuel RDC)… C’état là, peu ou prou, l’illustration de la réalité d’une certaine pratique démocratique“.

Toujours est-il que depuis 1990, les discours relatifs à la démocratie se sont juxtaposés à ceux du développent, à tel point que dans bien des domaines et des cas, ces deux concepts se sont compromis mutuellement. D’où le constat d’un Professeur béninois, Médard Dominique Bada, qui estime que “l’Afrique a perdu le contrôle du cours initial de son évolution aujourd’hui caractérisée par l’analphabétisme, la faim, la dette, la maladie, le gaspillage, le culte de la personnalité… La conjugaison de toutes ces données aboutit inévitablement au développement du sous-développement“.

Et M. Bada, de poursuivre que pour sortir de cette profonde crise économique et sociale, différents remèdes et autres thérapeutiques ont été proposés à l’Afrique, jusqu’à ce que des critiques avisés commencent par souligner …l’absence de démocratie comme obstacle majeur du développement en Afrique. C’est que l’histoire de l’Afrique post-indépendante est structurée autour d’une tradition autoritaire peu propice à une transformation radicale des systèmes politiques.

Aussi,le Pr Médard Dominique Bada, de constater : “L’impérieuse exigence de la liberté et du changement a fini par faire sauter les soupapes qu’on voulait de sécurité pour les régimes. Ainsi s’imposèrent les Conférences nationales, un modèle initié par le Bénin en 1989, qui allait rencontrer l’engouement des populations et faire le tour du continent africain“.

Démocratie majoritaire ou consensuelle ?

Quel est le consensus généralement issu de ces Conférences? Selon le chercheur béninois, Césaire Kpenonhoun, c’est la séparation des pouvoirs, le multipartisme, les élections libres et transparentes, l’alternance politique, la limitation à deux mandats à la tête de l’Etat, la protection de l’opposition. Cependant, M. Kpenonhoun souligne l’émergence d’une démocratie dont plusieurs régimes africains actuels se réclament : une démocratie dite “consensuelle“, mais qui, selon le chercheur, n’est qu’une “pseudo-démocratie“, une de “pacotille“.

Et M. Kpenonhoun, de préciser : “Dans une démocratie, la possibilité de l’alternance constitue le signe de sa maturité. Et pour son fonctionnement optimal, la démocratie exige que les équipes (NDLR : celles qui se succèdent au pouvoir) soient alternativement gagnantes, puis perdantes, et ainsi de suite“. Pour lui, c’est l’existence d’une majorité et d’une opposition politique qui caractérise la démocratie majoritaire.

La démocratie consensuelle, elle au contraire, fonctionne à partir d’un pouvoir partagé entre la majorité issue des urnes et l’opposition qui, bien qu’ayant perdu les élections, se voit proposer de gouverner dans ce que le chercheur appelle “une démocratie de tiers inclus“.

Mais selon M. Kpenonhoun, ce concept de pouvoir partagé traduit le plus souvent ”l’idée d’un processus démocratique dans lequel le Chef de l’Etat s’évertue à être le dépositaire du pouvoir politique, soit en détournant le consensus national à son seul profit, soit en en faisant l’expression de sa seule volonté. Des élections sont certes organisées. Mais au fond, tout est mis en œuvre pour assurer d’avance la victoire du Chef de l’Etat, l’objectif étant de s’éterniser au pouvoir“.

Et pour illuster ce “monolithisme politique“, M. Kpenonhoun relève le cas du Gabon d’Omar Bongo Ondimba, ou encore celui du Togo, où la mort de Gnassingbé Eyadéma, après 38 ans de pouvoir, voit succéder le fils à la mort de ce que le père appelait “la démocratie à la togolaise”.

Une démocratie africaine ?

Il est maintes fois arrivé -et il arrive encore- qu’en Afrique, la démocratie soit considérée comme une “greffe”, c’est-à-dire un concept extérieur qui a peu de chances de s’adapter sur le continent. Or, selon Césaire Kpenonhoun, il s’agit plutôt de savoir “s’il y aura une démocratie pour l’Afrique ou à l’africaine ; ou bien s’il existe des principes de démocratie pluraliste d’application universelle“.

C’est pourquoi, au terme de “démocratie“, le Professeur d’économie et chercheur congolais (de Brazzaville), Jean-Christophe Boungou Bazika, préfère celui “d’ouverture démocratique“. Aussi assimile-t-il l’évolution du Bénin, du Congo-Brazza, du Gabon et du Sénégal à leur ouverture démocratique, après analyse des Indicateurs de Développement Humain (IDH) publiés par le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) en 1990 et 2000, concernant ces quatre pays.

Selon M. Boungou Bazika, en Afrique de l’Ouest, le Bénin et le Sénégal sont de relatifs bons exemples démocratiques. Au Congo Brazza et au Gabon, par contre, l’ouverture démocratique apparente a rimé avec violences, eu égard au maintien du régime en place. Or, les IDH sont généralement plus fiables en Afriqque de l’Ouest qu’en Afrique Centrale. D’où les questions : démocratie et développement seraient-ils antinomiques? Une situation socio-économique favorable est-elle une condition préalable à la démocratie?…

En tout cas, se refusant à une analyse unilatérale des IDH, le chercheur Jean-Christophe B. Bazika les complète par des éléments contextuels, en concluant que les pays d’Afrique Centrale étudiés (dont le Gabon et le Congo Brazza) disposent de ressources stratégiques, minérales et pétrolières. “Dans ce cas, la rivalité entre les grandes puissances et les firmes multinationales, pour le contrôle de ces ressources, se révèle plus âpre qu’ailleurs et constitue un obstacle à la démocratisation“, constate le chercheur.

Par ailleurs, la pression démographique est plus forte à l’Ouest qu’au Centre de l’Afrique. Certes, elle diminue d’autant les ressources disponibles dans le pays, mais elle constitue une force incroyable de revendication démocratique. Enfin, considérés dans leur progression sur dix ans, les IDH se révèlent significatifs, puisque cette progression est plus remarquable à l’Ouest qu’au Centre de l’Afrique.

Toujours est-il que du point de vue de M. Boungou Bazika, ”le processus démocratique est vital pour les Africains. Il contribue à réduire l’arbitraire dans la gestion des hommes et des richesses, à accroître la participation de la société civile dans les initiatives de développement et la mise en œuvre des politiques économiques et sociales. Ainsi, plus un pays connaît l’ouverture démocratique, plus ses Indicateurs de Développement Humain (IDH) seront avancés“. (A suivre)

Rassemblées par Oumar DIAWARA

08 Octobre 2008