Alors que, étudiants à l’Université du Bénin au Togo, nous étions en voyage d’études à l’Université d’Ibadan au Nigeria, tout juste après le coup d’Etat militaire, en novembre 1982, du colonel Saye Zerbo et de ses camarades du Comité militaire pour le redressement national, nous fûmes interpellés par un étudiant nigérian, à peu près en ces termes : «Vous, les Voltaïques, qu’aviez-vous fait de notre ami Ki-Zerbo ? Est-ce que les militaires ne vont pas faire du mal à notre professeur ? Le Mogho Naaba se porte-t-il bien» ? A l’Université d’Ife, tout comme à l’Université de Bénin City, toujours au Nigeria, ce sont pratiquement les mêmes questions qui nous ont été posées.
Nous sommes au Nigeria, le pays le plus peuplé d’Afrique, un pays anglophone loin du Burkina Faso, la Haute-Volta d’alors. Nous ne nous imaginions pas que notre professeur était aussi bien connu à l’étranger. Au point d’entendre certains ne jurer que par lui. Ils sont nombreux, les Burkinabé qui ont été certainement en maints endroits du monde, l’objet de telles interpellations sur le Professeur Ki-Zerbo.
Ce n’est pas parce qu’il s’appelle Ki-Zerbo, il est bien plus que son nom ; d’aucuns parleront facilement de «mythe», alors que le professeur qui vient de tirer sa révérence a été tout simplement cet homme qui croyait en l’Afrique, en l’unité du continent africain, en une autre façon de gérer l’Afrique et le monde.
Si le professeur a été si illustre au point d’être une référence, voire la référence de ce que devrait être un intellectuel dans ce contexte d’une Afrique qui se bat contre tant de maux comme la pauvreté, la maladie, c’est parce qu’il croyait en l’action, en l’engagement, en la politique dans sa conception la plus haute, la plus noble.
Grâce à ce combat au-delà des frontières de son pays, le Burkina Faso, le Professeur Ky-Zerbo a été un des meilleurs ambassadeurs de la terre des Hommes intègres. Et cela, même si malgré lui, son combat s’est déroulé pour l’essentiel, chez lui. Il aurait, sans doute, aimé être le citoyen d’un continent politiquement et économiquement uni. Ceux qui l’ont connu dans sa lutte politique, dans son combat sont unanimes à dire que le professeur a toujours vu grand, loin.
Son parcours d’étudiant en France, son engagement politique aux côtés d’Africains aussi illustres que Kwamé N’Krumah, Julius Nyeréré, Sékou Touré, Léopold Sedar Senghor pour ne citer que ces hommes, ses nombreux écrits sur les grandes questions d’Afrique et de ce monde, sont le témoignage de ce qu’il a pensé et voulu pour le continent africain. Son dernier ouvrage, un grand succès «A quand l’Afrique ?» sonne comme un testament.
Dans une de ses communications, Georges Balandier, professeur, lui aussi, à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, a présenté cet ouvrage primé d’ailleurs par Radio France Internationale (RFI) comme le produit d’un historien hors pair, doublé de l’intellectuel engagé qui montre, dénonce et appelle inlassablement à l’action. Un appel plus précisément à la jeunesse africaine pour qu’elle s’assume, pour qu’elle sache que si nous nous couchons, nous sommes morts. Le combat de Ki-Zerbo, a dit Balandier, est double. D’abord, en tant qu’intellectuel et ensuite, en tant que pédagogue, ou plutôt éducateur.
C’est toujours Balandier qui a vu en Ki-Zerbo, l’acteur politique sans complaisance qui s’est présenté ironiquement comme l’opposant de toujours au Burkina Faso. Il est, tout en maintenant sa vigueur critique et autocratique, celui qui propose inlassablement, celui qui agit pour ne plus avoir à se poser cette question : à quand l’Afrique ?, écrit Georges Balandier.
C’est, bref, un monument que les Burkinabè, les Africains et le monde pleurent. Son combat, en tant qu’intellectuel et homme politique, est très riche de leçons de courage, de patience, d’intelligence, de foi en l’idéal d’une Afrique libérée des chaînes de la soumission, de l’humiliation. Celui que les Burkinabè en particulier pleurent, est un de ceux qui ont porté haut à l’étranger, le flambeau d’un pays fier et digne. Ki-Zerbo, c’était une vitrine de laquelle transparaissait l’image d’hommes courageux et braves.
Bessia BABOUE
19 mars 2007.