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Le rapport d’enquête élaboré par une équipe d’experts sur la qualité des huiles dans notre pays est sans appel : sur 29 unités de production, alimentant les marchés locaux en huile alimentaire, 26 ne disposent pas de chaîne complète de production. Pire, ces 26 minis huileries produisent de l’huile impropre à la consommation, à cause de sa teneur en gossipel.

Un poison, contenu dans les graines de coton, dont la neutralisation exige un équipement adéquat. Du coup, c’est la mort programmée du consommateur. Mais contre toute attente, ces 26 unités de production d’huile continuent de commercialiser leur « poison ». D’où le nombre, de plus en plus, élevé de victimes. Surtout, dans le Kénédougou où, dit-on, on frôle l’hécatombe. Nous sommes tous en danger… de mort !

C’est à l’issue d’une réunion interministérielle que l’équipe d’inspection s’est rendue dans les localités censées abriter ces « huiles qui tuent ». Notamment, Sikasso, Koutiala, Ségou, Tabacoro, Fana, San, Bandiagara, Kita et la capitale. Objectif : évaluer la qualité des huiles produites, par les huileries, installées dans ces localités.

Pour ce faire, les enquêteurs ont procédé à des prélèvements d’échantillons, dans ces huileries. Mais aussi, dans les magasins de stockage de produits finis et sur les marchés locaux.

Sur les 92 échantillons prélevés, 16 proviennent de Sikasso, 11 de Koutiala, 5 de Ségou, 3 de Fana, 8 de San, 5 de Mopti, 4 de Sévaré, 3 de Bandiagara, 5 de Bougouni, 4 de Banakoro, 5 de Koulikoro 3 de Moribabougou, 5 de Kita et 15 de Bamako. Des échantillons analysés au Laboratoire National de la Santé.

Selon le rapport, cette analyse a porté, essentiellement, sur les paramètres physico-chimiques. Il s’agit, en clair, de déterminer la teneur de ces huiles en savon, en acide, en humidité, en peroxyde…

Premier constat : sur les 92 échantillons prélevés, 83 sont conformes aux normes d’humidité (0,2%). Mais neuf échantillons, prélevés dans les minis huileries et sur les marchés locaux sont non-conformes aux normes.

S’agissant de leur teneur en savon, 80 échantillons sur 92 sont conformes aux normes, ajoutent les Inspecteurs. Avant de préciser : « Sur les 12 échantillons non-conformes à la norme, 6 ont été prélevés auprès des huileries et six sur les marchés locaux ». Second constat : sur ces 29 huileries, rares sont celles qui produisent de l’huile raffinée de coton.

C’est-à-dire, une huile obtenue à partir des opérations de neutralisation de l’huile brute, de lavage de l’huile jusqu’à la débarrasser des traces de savon, de filtration, de décoloration, de désodorisation etc.

Seul processus, capable de produire de l’huile raffinée. Une huile sans danger pour le consommateur. Mais ce processus, permettant d’avoir de l’huile raffinée, est incontournable dans la plupart des huileries visitées par la mission d’inspection.

Une hécatombe en vue

A en croire le rapport d’enquête, trois huileries sur 29 disposent d’un système de raffinage : l’Huilerie Cotonnière du Mali (HUICOMA), la Société Malienne des Oléagineux (SMO-SA), l’Huilerie Abou Woro Yacouba Traoré (Hawyt).

Encore que, sur ces trois huileries citées, les équipements de raffinage de l’Huilerie Abou Woro Yacouba Traoré ne sont pas des matériaux adéquats. C’est-à-dire en inox ou en fer galvanisé. Ce qui, de l’avis des enquêteurs, constitue une source d’inquiétude pour les consommateurs.

Les 26 huileries visitées, par la mission d’inspection, produisent deux types d’huiles impropres à la consommation : l’huile brute et l’huile neutre.

L’huile brute est obtenue à partir d’une pression exercée sur les graines de coton. Elle ne subit aucune opération de neutralisation, des produits jugés dangereux pour l’organisme, comme le gossipel, le savon ou l’acide.

Quant à l’huile neutre de coton, c’est une huile qui a subi les opérations de neutralisation de l’huile brute, de lavage de l’huile jusqu’à la débarrasser de toutes traces de savon, de séchage et de filtration. Une vingtaine d’huileries produisent de l’huile neutre, « impropre à la consommation », ajoute le rapport d’inspection.

Pire, certaines huileries ne disposent même pas d’autorisation pour produire leur « poison ». D’où le lieu pour les enquêteurs de faire une conclusion et des recommandations : la fermeture pure et simple des huileries qui ne disposent pas d’autorisation d’exercice, produisant de l’huile brute, impropre à la consommation. Elles sont au nombre de cinq, implantées à Sikasso et Koutiala.

Pour les huileries produisant de l’huile neutre, le rapport d’enquête recommande leur arrêt temporaire, jusqu’à l’installation d’équipements permettant la production d’huile raffinée. Aussi, la mission met en demeure la Société Malienne des Oléagineux (SMO-SA), basée à Koutiala, pour la correction de la teneur, en savon, de son huile.

En outre, elle oblige Abou Woro Yacouba Traoré, PDG de la société Hawyt, basée à Sikasso, à incorporer dans sa ligne technologique, le processus de désodorisation de son huile. Mais aussi, à acquérir des équipements en matériaux adéquats pour la production d’huile raffinée.

Rédigées par quatre équipes d’inspecteurs, issus de la Direction Nationale des Industries, du Laboratoire National de la Santé et de l’Agence Nationale de la Sécurité Sanitaire des Aliments, les conclusions du rapport d’enquête sur la qualité des huiles n’ont pas été suivies avec effet par les autorités compétentes.

La suite est connue : le marché malien est ravitaillé en huile frelaté. Avec à la clé, des empoisonnements à la pelle et des maladies, aussi grave les unes que les autres.

Mais pourquoi après cette mission, dans ces localités, les recommandations contenues dans ce rapport ont été sans suite ?

Pourquoi ces huileries continuent de commercialiser leur huile, jugée malsaine, malgré une interdiction ? Pourquoi tant de victimes, après consommation de ces huiles ? Combien sont-elles ? Et de quoi souffrent-elles ? La réponse dans nos prochaines éditions.

Jean pierre James

Le Quotidien de Bamako du 16 Avril 2010.