Il s’agissait plutôt pour nos aïeux de constituer un noyau fort autour duquel vont gravir les fondements d’une société digne de ce nom : la société humaine. Et cela est valable pour toutes les sociétés au monde. Le fait que les religions monothéistes se soient inspirées du mariage a ses explications. Les religions sont venues pour corriger les bêtises de l’homme, l’orienter vers le droit chemin, le chemin de Dieu. Elles ne pouvaient donc ne pas prendre on considération la « seule » véritable bonne chose créée par les hommes : le mariage.
Dans la société traditionnelle malienne, le mariage était sacré car il engageait les liens de sang. Et toute chose ayant trait au lien de sang était à protéger pour non seulement l’harmonie de la société, mais aussi pour sa survie. Au-delà de ces liens, le mariage engageait la dignité et l’honneur des deux parties (les familles du mari et de la femme). Or, il est connu de notre société qu’il fallait plutôt mourir que de vivre dans le déshonneur et l’indignité. Les jeunes filles et garçons n’avaient donc pas mot à dire. Ils devraient se contenter de la femme ou de l’homme qu’auraient choisi pour eux leurs parents.
Pour l’honneur de la famille, les jeunes filles et garçons acceptaient et assumaient les choix des vieux. Le choix n’incombait donc pas aux mariés, mais aux parents. Les jeunes hommes étaient confiés à un sage qui était chargé de parfaire leur éducation dans tous les domaines. En un mot, ce sage leur apprenait la vie. Idem pour les jeunes filles qui étaient elles aussi confiées à une vieille dame qui leur apprenait la bonne conduite et la bonne manière de se comporter avec son mari et avec les parents de celui-ci.
Voilà les avant-gardes qui prévalaient hier pour sceller un mariage. Et une fois scellé, il n’y avait aucune possibilité de retour en arrière. Et si cela devait se produire, c’était la rupture totale entre les deux familles qui étaient vues sous un autre angle dans la société. Honneur entaché, certaines familles quittaient le village. Les mariages dans la société traditionnelle étaient réussis à 99%. Cela résulte du fait que le mariage était détenu par les vieux, il n’y avait alors aucune question « matérielle » et les deux conjoints étaient mieux préparés à ça.
Qu’en est-il aujourd’hui du mariage dans notre société ?
Avec le modernisme, malgré l’existence des lois et des institutions pour sacraliser davantage le mariage, on assiste plutôt à la banalisation de cette tradition.
Les mariages sont célébrés chaque jour. Et chaque jour, on assiste à des divorces. Les affaires courantes aujourd’hui dans nos tribunaux sont pour la plupart des affaires de divorce. Alors pourquoi on assiste à la multiplication des divorces aujourd’hui ?
Pour les jeunes, le mariage a perdu tout son sens. Les femmes ne respectent pas leurs maris, ces derniers ne respectent plus leurs épouses. Cela parce que le matériel a pris de l’ascendant sur la morale. Qui est à la base de cette situation ? A la fois les hommes et les femmes. Les hommes pour avoir cru qu’on peut tout avoir avec de l’argent, les femmes pour avoir cru que l’argent peut remplacer l’amour du coeur. Conséquences : divorces, querelles incessantes, coups et blessures entraînant souvent mort d’homme.
Peu satisfait de ses raisons invoquées par les jeunes, nous avons approché un vieillard, Sidiki Doumbia, 70 ans, fortement ancré dans la tradition dont l’entourage s’est habitué à appeler : « Vieux conservateur ». Pour Monsieur Doumbia, le mariage a perdu son sens parce que les choses ne se font plus comme avant. Le mariage était sacré hier, dit-il, parce qu’il était détenu, accompagné et protégé par les vieux.
Cela pour une seule raison : la « préservation de l’honneur et de la dignité » des familles d’abord, puis des conjoints ensuite. « Toute chose émanant des hommes et qui se construit sur ces deux choses ne peut en aucun cas s’effriter », insiste le vieux Doumbia avec fierté.
Il va un peu loin quand il se pose la question de savoir si l’honneur et la dignité ont un contenu pour les jeunes d’aujourd’hui. Et si c’est pas le cas, dit-il, les parents sont les premiers à les avoir perdus. « Quelqu’un qui n’a aucun égard envers lui-même ne peut pas apprendre à son enfant ce qu’est l’honneur et la dignité », déplore-t-il. Pour lui, le matériel seul ne peut pas expliquer les failles dans les mariages d’aujourd’hui.
C’est plus une question de responsabilité que d’argent, argue-t-il. Tout le monde a démissionné. Les vieux ont laissé place aux femmes qui sont les seules à pouvoir décider du conjoint de leurs filles. Les jeunes n’ont plus d’égard que pour l’argent lequel a fini par engloutir toutes nos valeurs de société, a fustigé Monsieur Doumbia.
Alors que faut-il faire ? Il n’y a rien à faire sauf si on peut encore apprendre aux jeunes ce que c’est que « l’honneur et la dignité ». Toute chose qui étonne notre vieillard qui se demande si tous les chefs de famille les ont encore. Et que dire des cas qui sont une réussite parfaite aujourd’hui ?
Le vieux Doumbia nous demande tout simplement d’aller fouiller dans l’éducation et la formation des hommes et des femmes de ces couples. Et il est prêt à parier que ces couples conservent en eux quelque chose, si minime soit-elle, de digne et d’honnête.
En résumé donc, il est clair que si l’argent ou le matériel tout court est pour beaucoup dans la désacralisation du mariage aujourd’hui, le désintérêt et le mépris envers certaines valeurs cardinales de l’homme en sont aussi pour beaucoup. Une introspection dans nos valeurs de société s’impose donc.
Adama S. DIALLO, stagiaire
26 avril 2005