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Le projet de réformes politiques pour la consolidation de la démocratie au Mali, fièrement brandi par ATT comme un cadeau du millénaire au peuple martyr de ce pays, nage carrément à contre-courant de l’histoire et obéit à des motivations insoupçonnables mais surtout inavouées. C’est un projet opportuniste, loin des véritables préoccupations du citoyen malien car l’actuelle Constitution n’a jamais été réellement appliquée pour qu’on parle de ses limites. Ce texte est une mascarade astucieusement élaborée qui ne rend guère service au Mali mais aux détenteurs du pouvoir. Au demeurant, face à un peuple déterminé à sauvegarder la mémoire des martyrs de la révolution, peut-on avoir le culot de toucher à un article de la Constitution? C’est la substance de cette contribution que nous a envoyée le magistrat de haut rang, Daniel Amagoin Téssougué, président de l’Observatoire de l’Etat de Droit, par ailleurs membre du Bureau du Vérificateur général, sur les réformes initiées par le président de la République Amadou Toumani Touré.

Le projet de révision constitutionnelle, se classe dans la catégorie des révisions dites opportunistes, loin des véritables préoccupations du citoyen malien.

La présente volonté de réviser la Constitution de 1992 est tout à fait hors sujet et la hâte à boucler le processus d’ici la fin de l’année 2010 démontre, sans nul doute, des motivations insoupçonnables, et surtout inavouées ; car l’actuelle Constitution n’a jamais été réellement appliquée pour qu’on parle de ses limites.

Aussi, il reste à relever la question relative à la capacité des ressources humaines qui ont en charge l’application de ladite Constitution. Le pouvoir actuel a écrasé, de sa pratique, tous les principes proclamés dans la loi fondamentale, s’aliénant tous les pouvoirs, au point que sa gestion des affaires publiques et du pouvoir est devenue clanique, voire solitaire.

Au jour d’aujourd’hui, le Mali se caractérise par une paupérisation extrême de sa population, la misère colle à la peau du citoyen et aucune perspective n’est visible pour l’en sortir. L’administration, sclérosée et tenue par la promotion de la médiocrité, se singularise par la corruption au grand dam de tous, le culte de la délinquance économique et financière, le tout sur fond d’impunité totale. L’existence de gros investissements, la propension à tout magnifier masquent une pratique de mises en scènes grotesques destinées à mystifier le peuple malien et à entretenir une illusion de développement, face aux réels défis et aux attentes du citoyen.

A l’heure où nous parlons, à l’horizon l’avenir du pays est obstrué, car l’école qui est le lieu où le futur se façonne, est la dernière préoccupation des pouvoirs publics, malgré toute la rhétorique populiste d’une certaine presse.

La santé est hypothéquée, et mieux vaut ne pas tomber malade. L’agriculture, présentée comme la mamelle du pays, est mortellement atteinte. Les paysans sont spoliés des bonnes terres par une caste de fonctionnaires étonnamment très fortunés. Le chômage des jeunes est créateur de tant de désespoir que la force vive de la nation préfère affronter la mort dans le désert ou dans l’océan, plutôt que de vivre dans sa patrie. Les entreprises publiques sont bradées à des privés qui réalisent des plus-values en violation des cahiers de charges, sans aucune conséquence.

Dans ces conditions, la proposition d’une révision constitutionnelle, une véritable chausse-trappe, a suscité un ébahissement, car les observateurs avertis s’attendaient à voir inscrites dans la loi fondamentale les préoccupations majeures : l’école, la santé, le monde paysan, la lutte contre la corruption, la spéculation foncière, la mise en évidence de la responsabilité des dirigeants etc.

Mais au lieu de cela, un texte à contre-courant de l’histoire est présenté, et pour divertir la nation tout entière, le  »demandeur de la révision » exhibe le fait que l’article 30 de la Constitution n’a pas été touché comme s’il s’agissait d’un cadeau du millénaire au peuple martyr du Mali.

Mais qui aurait pu toucher à cet article ? Qui ?

Pense t-on que les patriotes vont oublier de sitôt le sacrifice de milliers de Maliens ? Oublier le cri de cœur du peintre Ismaël Diabaté à l’ouverture de la Conférence Nationale Souveraine, présentant sa toile désormais érigée en monument à l’entrée du Pont des Martyrs ?

Oublier les mots du rapport de la Commission de la Constitution, quand évoquant la limitation du mandat présidentiel, il déclarait «plus jamais un pouvoir perpétuel?»

Le projet de texte est une mascarade astucieusement élaborée ; mais qui ne rend pas de service au Mali, mais plutôt aux détenteurs du pouvoir temporel, aux ayant fait fonction et à leurs ayant-droits.

Dans ses grandes lignes :

1. La Commission, par ignorance ou par mépris du peuple malien, parle de régime semi-présidentiel. Mais il s’agit, en réalité, d’une hyper-présidentialisation du régime. Le Président concentre tous les pouvoirs, nomme les chefs d’institutions dont l’indépendance est la qualité première.

2. Le jeu parlementaire est faussé, dès l’instant où c’est le Président qui définit la politique de la nation, le gouvernement ne la mettant qu’en œuvre. Or, le Président de la République n’est pas responsable devant la représentation nationale. Et si la majorité parlementaire n’est pas la majorité présidentielle, qu’arrivera t-il, car le Premier ministre, devant obligatoirement sortir du rang de la majorité parlementaire, de quel droit, il empiètera sur la volonté du peuple exprimée à travers le suffrage universel, à appliquer la politique d’un président dont il n’a que faire de celle-ci?

Il est à souligner que sous tous les cieux, la pratique parlementaire impose que ce soit le gouvernement qui détermine la politique de la nation, soumettant sa responsabilité aux députés, dans sa déclaration de politique générale ou dans la présentation de son programme de gouvernement. Le projet, dans son esprit, conduira indubitablement à un blocage des institutions.

3. Une volonté de caporalisation de l’opposition, en érigeant un opposant comme chef et en lui accordant les privilèges d’un ministre. Dans un paysage politique diversifié comme le nôtre qui incarnera cette stature, sans créer une situation ubuesque, dès le moment où les autres partis ne lui prêteront aucune allégeance.

4. Un bicaméralisme inutile et coûteux. Les raisons évoquées par la Commission sont l’amélioration de la procédure législative avec un examen plus approfondi des textes et la possibilité de l’assouplissement des procédures de révision. Un raisonnement tellement terre à terre. Il est même scandaleux que ce soit cela les motivations de la création d’un Sénat.

5. Le réaménagement du Conseil Supérieur de la Magistrature, par l’introduction de personnalités étrangères au corps. C’est la résurrection du Conseil Supérieur, formule du Général Moussa Traoré, qui sera à la base de bien de déboires de la justice malienne. Et le Président de la Commission en sait bien quelque chose. C’est caporaliser la justice, la mettre sous le joug de l’exécutif.

Pire, ces personnalités, désignées par les syndicats de magistrats, devront être en majorité dans la formation disciplinaire. Cette incohérence dénote toute la légèreté avec laquelle cette Commission travaille, au mépris de la logique. Le mal de la justice malienne, c’est son inféodation aux pouvoirs politiques et d’argents et, par ce biais, son instrumentalisation, les plus serviles occupant les premiers plans.

6. L’inutilité de l’érection en institution du Médiateur de la République et du Vérificateur Général. Pour le second, son inefficience est manifeste, après sept ans de pratique. La volonté politique est la seule arme de lutte contre la corruption et non la création d’une multitude de structures de contrôle.

Pire, en demandant la clarification du statut des fonctionnaires et assimilés travaillant au Bureau du Vérificateur Général, la Commission démontre une grave carence intellectuelle, car dans les institutions, les fonctionnaires sont toujours en détachement.

A quoi sert leur statut alors ? Mieux, dans le cas du Bureau du Vérificateur Général, la Section administrative de la cour suprême a tranché, décidant qu’il ne pouvait s’agir que d’un détachement.

Enfin, on ne règle pas une question particulière dans un texte constitutionnel. Tout comme il est inutile d’évoquer la description de l’habillement du Président à sa prestation de serment.

Une simple délibération de la Cour avant l’audience règle cette question du chapeau du Président, qui est un ridicule détail dans un texte constitutionnel.

7. La déclaration des biens ne doit pas être une simple formalité de dépôt d’une liste devant le président de la Cour des comptes, mais devrait être le commencement d’une véritable procédure d’investigation, par laquelle, la Cour des comptes s’assure de la réalité des déclarations, sur les sources de ces biens, et rendra un arrêt sur la qualité des biens du président. Chaque année, il en sera ainsi, jusqu’à la fin du mandat de ce dernier.

8. La création de nouvelles institutions, le mode de désignation des membres, etc. constituent des de charges inutiles pour le budget. Dans les grandes lignes, ce texte est mauvais, et avant que les députés ne statuent dessus, un large débat devra être organisé.

Certes, l’ORTM ne sera pas présente, vivant sa passion de la servilité au plus haut degré. Il revient aux journalistes de la presse écrite et parlée, de se faire l’écho d’un vrai cri de révolte contre un projet de Constitution loin de nos préoccupations.

Daniel Amangoi TESSOUGUE

Président de l’Observatoire de l’État de Droit (OED)

20 Mai 2010.