Peut-on vraiment parler de l’Afrique quand la finance internationale tremble pour son avenir ?
Il y a quelque chose de franchement mystérieux chez les dirigeants africains : croire qu’ils font partie du concert des nations qui comptent dans notre monde. Il y en a qui se pètent vraiment les bretelles…
A l’occasion du 12e Sommet de la Francophonie, j’ai vu et entendu un chef d’Etat africain (je vous le jure, ce n’est pas ATT), encore dépassé par l’honneur de se faire inviter en direct par une télévision anglaise du Canada (les médias locaux ignorent généralement ce genre de beuveries) pérorer sur le thème de la crise économique mondiale.
Ce président qui ne comprend absolument rien à l’économie est incapable de faire la différence entre des actifs et des passifs, s’inquiétait, grosso modo, de la persistance de cette crise et de ses effets sur les économies africaines.
Il pense d’ailleurs que la raclée que subissent les Bourses mondiales aura un impact sur la croissance économique de sa république de bananes et que les « grands indicateurs macro-économiques » (il faut donner un peu dans le langage savant) seront longuement affectés. Et notre héros du jour de poursuivre dans l’énumération d’autres lieux communs et clichés éculés. Toujours affublé de ce sourire de laquais qui distingue le receveur quand il se trouve en face du donneur…
Après plusieurs minutes de laisser-aller et de hochements mécaniques de tête, la journaliste se décide à poser de vraies questions à ce curieux roitelet des tropiques un peu obèse malgré la famine qui frappe son pays : « Concrètement, comment votre pays sera touché par cette crise ? » Un peu sonné par la précision de la requête, notre vaillant chef bafouille quelques mots avant de lâcher : « La crise, en diminuant les possibilités financières des pays donateurs, aura un impact sur l’aide internationale. Nous recevrons moins d’argent de nos amis du Nord ».
Il aligne ces mots en se fendant d’un nouveau large sourire de gamin comme dirait PPDA. La journaliste n’a pas osé lui demander ce qu’il avait fait de l’aide déjà reçue depuis des années qu’il trône au palais présidentiel de son pays.
Je suis fasciné par la capacité incroyable des Africains de s’approprier les problèmes des autres, de sauter dans n’importe quel débat et de tirer des conclusions bâclées alors que des experts peuvent les instruire utilement sur le sujet. Quand on parle de « crise financière mondiale », il s’agit d’un phénomène qui frappe les pays qui comptent, les pays qui, vraiment, ont une importance économique, de vrais pays.
Je pense aux USA, à l’Allemagne, au Japon, à la France, à la Chine, au Royaume-Uni, etc. Cette crise économique frappe des pays industrialisés ou développés, certaines nations que l’on classe déjà dans la catégorie de la post-modernité, des acteurs émergents ayant une masse critique de consommateurs. Or, que constate-t-on quand on parle de l’Afrique ?
L’ensemble du continent ne représente qu’à peine 0,4 % des flux financiers mondiaux et à peine 1 % (un) du commerce mondial. Un micro-Etat comme la Belgique, avec à peine une dizaine de millions d’habitants, à un flux commercial plus élevé que l’ensemble de l’Afrique au Sud du Sahara ! Nous ne recevons même pas 5 % des investissements étrangers directs. A part l’Afrique du Sud principalement et dans une moindre mesure l’Egypte, les Bourses de valeurs mobilières du continent relèvent plus du musée de la caisse d’épargne que de l’instrument moderne de transactions.
Nos banques et établissements financiers sont dans un Etat si rudimentaire qu’ils doivent passer par la France pour faire des transactions avec l’étranger. La titrisation, une des causes principales de la débâcle de Lehman Brothers ou Wachovia, est inconnue de nos banquiers. Les banques d’investissement n’existent pas et ne parlons même pas du commerce des produits dérivés. Les Banques de nos places sont en fait, plus proches de guichets tenus jadis par les usuriers que des vrais instruments de développement.
Elles ne font pas de prêts interbancaires, pratiquent des taux prohibitifs et à très court terme et pire, la quasi-totalité des établissements viables sont des antennes de sociétés financières appartenant à l’ancien colonisateur et plombées par nos lois locales. Pensez seulement qu’en 2008 encore, ouvrir un simple compte courant dans nos banques est considéré comme un signe de progrès alors que les sans-abri des pays développés ont ce droit !
Alors, en quoi l’Afrique sera frappée par la crise financière mondiale alors qu’elle est en marge de l’économie mondiale ? Bien sûr, certains parlent du tarissement de l’aide internationale, mais entre-nous, à voir les résultats de cette « aide » depuis 50 ans, qui pourrait montrer des résultats tangibles ? Malheureusement, le délire et l’empressement à se croire importants a occulté le vrai défi auquel fait face le continent : la famine. Et la vraie crise : la crise alimentaire.
Le directeur général de la FAO a des raisons de s’indigner : depuis des mois, il cherche en vain 10 milliards de dollars pour combattre cette calamité et n’a reçu qu’à peine 700 millions des pays qui se disaient incapables de trouver de grosses sommes. Pourtant, ces mêmes pays, comme par magie, ont trouvé plus de 1000 milliards de dollars (500 000 milliards CFA) en trois semaines pour soutenir leur économie.
La leçon qu’il faut tirer de cette réalité, c’est que l’Afrique ne comptera réellement dans la marche du monde que le jour où, économiquement, elle aura un poids. Le jour où ses dirigeants arrêteront de brailler comme des madeleines et comprendront que l’argent ne pousse pas dans les arbres et que la richesse se crée. L’Afrique changera le jour où, pour construire un dispensaire ou un poulailler, nos dirigeants cesseront de quémander les fonds à droite et à gauche.
On tiendra compte de l’Afrique quand la corruption, le vol, l’impunité et l’insouciance feront place à une gestion rigoureuse, à la méthode et à l’organisation. En attendant, l’invité du jour qui parlait à la télévision continuera à vivre de ses illusions. Et, au fait, il a conclu ainsi son interview, l’innocent : « Je suis très content de visiter le Canada, un beau et généreux pays où il fait bon vivre ! » Eh, oui ! C’est le travail et le sérieux qui en ont fait un beau et généreux pays. Pas la mendicité et la prévarication érigées en système de gouvernement.
Ousmane Sow
(journaliste, Montréal)
23 Octobre 2008