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Directeur émérite du Centre national de recherche scientifique (CNRS) et directeur scientifique du programme « Nouveaux enjeux dans l’espace sahélo-saharien », André Bourgeot, est l’un des auteurs de l’ouvrage « Le Mali entre doutes et espoirs » qui vient de paraitre aux éditions Tombouctou. Présent à Bamako dans le cadre du lancement de ce livre la semaine dernière, le chercheur français nous a accordé un entretien dans lequel il donne son point de vue sur la crise du Nord de notre pays dont les enjeux, de son point de vue, se situent à plusieurs niveaux. D’abord, c’est une zone qui est devenue au fil des années un terreau fertile pour les narcotrafiquants, les preneurs d’otages et les bandits armés. Ensuite, avec la présence annoncée des ressources pétrolières et minières, c’est normal que la zone soit convoitée par le monde capitaliste. Pendant ce temps, l’Etat malien s’efforce, mais peine à prendre le dessus sur les considérations tribales et communautaristes.

jpg_une-1862.jpgConsidéré en France comme un spécialiste de notre pays, André Bourgeot juge que l’opération Serval a été indéniablement un succès pour avoir permis non seulement de stopper la progression des terroristes vers le sud du Mali mais aussi de les déloger des villes qu’ils occupaient. Cependant, tempère-t-il, le terrorisme n’est pas totalement éradiqué dans le nord du Mali et le reste du Sahara car si l’opération Serval a permis d’éliminer certains éléments dangereux, beaucoup sont encore dans la nature et se signalent de temps en temps par des attentats-suicides ou des attaques dans les villes reconquises du nord et même au-delà des frontières du Mali. C’est le cas des attaques qui ont eu lieu très récemment au Niger par les éléments du Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’ouest (MUJAO).

André Bourgeot est, à ce propos, persuadé qu’il existe des cellules dormantes de terroristes dans le septentrion malien et que si l’Etat n’y prend pas garde, ces cellules sont capables de se réveiller un jour avec force et brutalité. Il y a, de son point de vue, une solution au conflit du Nord si l’Etat parvient à prendre le contrôle de toute la zone en y déployant l’administration et des forces armées et de sécurité beaucoup plus renforcées que d’habitude.

Le chercheur français pense qu’organiser aujourd’hui les élections sans Kidal est une erreur à ne pas commettre. En le faisant non seulement la crédibilité et la légitimité du président élu seront contestées, mais de plus cette élection peut ainsi conforter le Mouvement national pour la libération de l’Azawad dans ses illusions sécessionnistes.

Pour André Bourgeot, le MNLA ne représente pas la communauté touareg, a fortiori les populations de Kidal dont la majorité a d’ailleurs la peau noire. Il n’y a, dit-il, aucune différence entre le MNLA et les groupes narco-djihadistes en compagnie desquels il a conquis les villes du septentrion et perpétré le massacre d’Aguelhok où une centaine de militaires dont une quinzaine de Touareg ont été égorgés. « Le MNLA a signé avec Ansar Eddine Salafiya une « convention » dont la durée de vie a été éphémère mais qui fut pour autant bien significative », rappelle André Bourgeot qui estime que le mouvement indépendantiste n’a d’autre choix aujourd’hui que de déposer les armes et engager des discussions avec le gouvernement. « Cela doit être aujourd’hui la priorité pour que les candidats à l’élection présidentielle puissent aller battre campagne dans cette partie du territoire national et que le vote puisse se dérouler dans les conditions de sécurité favorables », conclut-il.

M. KEITA

L’Essor du 5 Juin 2013