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web-65.jpg L’enragée ne s’attendait certainement pas à la réponse de son époux. Exaspéré au-delà du possible, Bachi répliqua qu’il choisissait sans aucune hésitation sa nièce. « J’ai tout fait pour sauver notre mariage, dit-il en s’adressant à son épouse, mais je crois que tu ne veux rien comprendre. Et puisque c’est ainsi, je laisse la décision finale entre tes mains ». Douchée par cette réponse froide et déterminée, Haoua arrêta ses simagrées quelques minutes plus tard. Elle se garda bien de mettre à exécution sa menace de quitter la maison. Bien au contraire, elle n’en bougea pas pendant plusieurs jours. Mais ses démons intérieurs étaient les plus forts. Après être restée tranquille pendant une semaine, elle afficha un beau matin une mine renfrognée qui laissait présager que les choses allaient se gâter à nouveau.

Alors qu’elle prenait son petit déjeuner avec son époux, elle demanda brusquement à ce dernier s’il tenait toujours à garder sa nièce auprès de lui. La réponse de Bachi tomba sans tarder, elle était nette et affirmative. Haoua se mit alors sur ses pieds et annonça qu’elle n’avait donc d’autre choix que de repartir chez elle. Pour lui montrer qu’il ne la retenait pas, son époux déposa sur la table à manger une petite somme, en indiquant que c’était là les frais du taxi qu’elle allait emprunter. Puis sans ajouter un mot, il partit au travail.

Le « comité d’accueil »

Haoua se mit donc à emballer ses bagages. Mais pour se venger, elle ajouta au lot des choses qu’elle emportait des affaires de son époux, y compris les effets d’habillement. En quittant la maison, elle boucla soigneusement toutes les portes, et emporta les différents jeux de clés. Une fois dans sa famille, elle annonça à une de ses tantes qui se trouvait là, une nommée Hacha, qu’elle venait de divorcer une nouvelle fois. La tante appela Bachi pour s’entendre confirmer cette étrange nouvelle. Le jeune homme indiqua que la séparation n’était pas de son fait, mais qu’il ne s’opposait pas au désir de sa femme.

Après une dure journée, aussi fatigué par son travail qu’éprouvé par les dernières sautes d’humeur de sa femme, l’homme eut la mauvaise surprise de trouver en rentrant sa maison hermétiquement close, le laissant « enfermé dehors ». Il appela donc Haoua pour lui demander avec qui se trouvait son jeu de clés à lui. Elle lui répondit qu’elle avait tout emporté et qu’il n’avait qu’à venir récupérer son trousseau s’il en avait le courage. Bachi perçut toute la hargne qui se trouvait dans cette proposition et peu désireux d’envenimer les choses, il indiqua qu’il enverrait un ami retirer les clés.

« C’est toi qui doit venir parce que nous avons certaines choses à éclaircir », lui lança alors Haoua. « Lesquelles ? interrogea l’homme. Je crois que tu as pris la décision qui te convient et nous n’avons plus rien à nous dire ». Mais Haoua maintint son exigence et commençait même à s’échauffer au téléphone. Pour mettre fin à un échange qui devenait pénible, Bachi accepta de venir lui-même prendre les clés. Quand un taxi le déposa quelques minutes plus tard devant la porte de sa belle-famille, le jeune fonctionnaire s’aperçut qu’un véritable « comité d’accueil » l‘attendait. Il y avait là un groupe des tantes de sa femme, ainsi que la grand-mère et le grand-père de celle-ci.

Avant même que Bachi n’achève de saluer tout ce beau monde, il se fit interpeller par le grand-père de Haoua. « Qu’est ce qui ne va pas entre toi et ta femme ? », lui lança le vieil homme. La réponse de Bachi fut brève et précise. Il expliqua qu’entre Haoua et lui, tout est apparemment fini, et sans espoir de réconciliation. Bachi indiqua qu’il avait fait de son mieux pour ne pas en arriver là, mais qu’il n’avait pas trouvé chez son ancienne épouse la compréhension espérée. « Pour le bien même de notre enfant, dit-il, il vaut mieux que nous nous séparions. Mon fils ne peut pas grandir dans une atmosphère de conflit éternel. Je suis venu donc vous remercier pour m’avoir donné une femme qui a mis au monde mon premier garçon. Je remercie également Haoua de m’avoir comblé de quelques moments de bonheur. Elle peut considérer que je suis son frère et elle peut compter sur moi dans toutes les situations qu’il lui faudra affronter». Puis l’homme mit la main à la poche pour sortir de l’argent à donner à sa désormais ex épouse pour lui permettre d’aller chercher ses bagages. C’est ainsi que le veut sa tradition.

Haoua était restée de côté, écoutant avec un calme apparent ce que disait son époux. Mais à peine ce dernier eut-il terminé qu’elle s’empara d’un pilon qui traînait par terre, se jeta sur lui et lui porta un violent coup sur la clavicule. Elle était tellement enragée que lorsque les gens parvinrent à la désarmer, elle se saisit d’une grosse pierre qu’elle balança a à la tête de l’homme. Bachi ne réagit pas. Il se contenta de se protéger contre la pluie de projectiles et d’invectives qui continuait à tomber. Des femmes et des enfants l’entourèrent pour le protéger contre la furie de la dame. Le grand-père alla chercher ses clés qu’il lui remit. Il lui demanda de partir, en assurant qu’il se chargerait lui-même d’aller récupérer les bagages de sa petite-fille.

Sauvé par son sang-froid

Bachi s’en alla donc. Mais son calvaire n’en était pas achevé pour autant. Alors qu’il cherchait à atteindre une station de taxis située non loin de là, la femme avec laquelle il venait de rompre le poursuivait en l’injuriant. Comme il ne réagissait toujours pas, elle cria au voleur. Pousser ce genre de cri à Sabalibougou revient à signer l’arrêt de mort de celui que l’on désigne ainsi. Bachi se retrouva en un clin d’oeil entouré par une foule de badauds brandissant des gourdins, des machettes et des cailloux. Certains voulaient le lyncher sur place, d’autres estimaient qu’il fallait le conduire à la police, mais seulement après lui avoir donné une bonne correction. Bachi fut sauvé par son sang-froid. Au lieu d’essayer de s’échapper, il s’arrêta au milieu des assaillants et leur expliqua qu’il n’était pas un voleur, mais qu’il venait juste de divorcer d’avec son épouse présente et que celle-ci voulait se venger de lui.

L’attitude de son mari prit de court la mégère et son silence provoqua la perplexité de la foule, qui se divisa sur le crédit à accorder aux propos de Bachi. Un jeune homme à moto mit à profit ce flottement pour tenter et réussir un coup d’audace. Il intima l’ordre à Bachi de monter derrière pour qu’ils aillent ensemble à la police. Le fonctionnaire ne se fit pas répéter cette proposition et grimpa sur l’engin du jeune inconnu. Une fois sorti de la foule, le jeune qui disait s’appeler Boua Traoré dit Assassin fit savoir à Bachi qu’il n’avait aucune intention de le conduire à la police, mais c’était le seul moyen qu’il avait trouvé pour le soustraire à ces badauds pressés de faire couler le sang d’autrui. Assassin indiqua aussi à son passager qu’il le connaissait même s’ils n’avaient pas été présentés l’un à l’autre. Tous deux avaient quelque chose en commun : Boua avait lui aussi pris femme dans la famille de Haoua, une famille dont les filles étaient connues pour la légèreté de leurs mœurs.

Ils bavardèrent à bâtons rompus tout au long du trajet et Bachi avait le moral plutôt remonté lorsqu’il quitta son nouvel ami. Mais sa belle humeur ne dura guère. En entrant chez lui et en voyant son salon dépouillé, il n’eut besoin que de deux à trois minutes pour faire le compte de tout ce que Haoua lui avait pris comme affaires personnelles.
Catastrophé par l’étendue des « soustractions », il appela la dame pour arranger à l’amiable avec elle cette situation plus que déplaisante. Il tenait surtout à récupérer le matériel de travail emporté. Mais tout ce que Bachi reçut comme réponse, ce fut une bordée d’injures. Il raccrocha et attendit le lendemain pour aller déclarer sa mésaventure à la police en précisant qu’il ne voulait pas du mal à son ex, mais qu’il tenait à ses affaires.

Toutes griffes dehors

L’idéal pour lui serait que des agents puissent l’escorter dans sa belle-famille. Leur présence témoignerait du sérieux de l’affaire et lui faciliterait la récupération de ses biens. Un commissaire stagiaire et un inspecteur furent d’accord pour l’accompagner. Ils ne se doutaient pas de l’aventure dans laquelle ils s’embarquaient. Car à peine le trio avait-il fait son entrée dans la concession que Haoua, sans tenir compte de la présence des policiers, se jeta toutes griffes dehors sur son mari. Les policiers en essayant de s’interposer reçurent leur part de coups. Ce qui les énerva au point qu’ils voulurent arrêter la dame pour outrage à agent public dans l’exercice de sa fonction. Mais Bachi intervint et demanda aux policiers leur indulgence. Avec beaucoup de peine, il arriva à les convaincre que cette réaction de sa désormais ex-femme était tout a fait normale dans la mesure où elle se trouvait perdante pour avoir sous-estimé la détermination de son époux à se débarrasser d’elle.

Les policiers se calmèrent à grand-peine, car pendant tout ce temps, la femme continuait à proférer les injures les plus blessantes à l’encontre de son ex. Le grand-père, complètement dépassé par les événements, abasourdi par la conduite de Haoua, fit des excuses aux policiers et leur promit qu’il allait se charger personnellement de récupérer le matériel de Bachi et de le lui apporter. Les policiers conseillèrent néanmoins au jeune fonctionnaire de porter plainte devant le procureur de la commune. Ce que fit notre homme et l’affaire est encore en cours au niveau du deuxième substitut du procureur. Pour le principal protagoniste de cette histoire compliquée, l’essentiel est de mettre un point final à tout ce méli-mélo en récupérant son matériel. Et de jouir vraiment de sa délivrance.

G. A. DICKO | Essor

15 novembre 2007