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Moulaye Hassane de l’hebdomadaire le Hoggar, généralement bien informé sur le Nord du Mali, est notre coup de cœur de la semaine. Il vient de séjourner deux semaines dans la Région de Gao. Avec une obsession en tête : infiltrer un convoi de narcotrafic. Il avait des contacts sûrs étant lui-même de la zone. Il passera neuf jours de terrain et fera dans son journal d’hier le récit de sa mission. Courageux, palpitant et surtout éclairant. Interview et morceaux choisis.

Quand avez-vous fait cette mission ?

Je suis arrivé à Gao le 25 octobre 2009 avec quelque garantie donnée par mon contact que je pourrai accompagner un convoi. Mais je n’ai pu partir avec le convoi que le 5 novembre et ce pour neuf jours.

Itinéraire ?

Gao-Almoustarat, donc 100 km d’une route bien connue. Le lendemain, nous quittons pour une destination que je ne connais pas du tout. Nous y passons la nuit. Puis il y a un couac dans le plan de mon « chef de mission ». Il me renvoie dans un campement pour trois jours et me fait chercher après. Ne me demandez pas le nom des sites. Car je n’en ai aucune idée et je ne sais même pas si c’est au Mali ou aux îles Galapagos, tout originaire de la Région que je suis.

Pourquoi vouliez-vous faire une telle mission ?

Un peu le goût du risque mais aussi l’envie de comprendre comment fonctionne le narcotrafic à l’échelle de ma région.

Aviez-vous cent pour cent de garantie que cela allait bien se passer ?

Oui parce que j’avais absolument confiance en mon contact. Non parce que personne ne peut prédire ce qui se passera dans un convoi de narcotrafic.

Votre convoi c’était combien de voitures ?

Nous étions dans deux voitures et nous sommes allés croiser neuf autres. Donc onze voitures en tout.

Votre chef de mission savait-il que vous saviez ce qu’il transportait ?

Je ne lui ai pas posé de question et il ne m’en a pas posé. Il m’a juste dit que c’était du trafic. Je ne suis pas allé plus loin. Omerta n’est pas un vain mot dans le milieu.

Qu’est-ce que vous avez appris que vous ne saviez pas avant la mission ?

Le degré d’interaction entre les membres du réseau, la célérité avec laquelle ils opèrent, le respect des consignes, la confiance en eux, le fait qu’ils sont des gens comme vous et moi capables d’êtres sympathiques…

Propos recueillis par Adam Thiam

………………………

Morceaux choisis : Départ de Gao

Nous avons pour ainsi dire passé une nuit blanche à Almoustarat, à cause de notre sommeil très léger par le fait qu’on se trouvait en zone  » hostile  » et inconnue. Et, en raison surtout, des carillonnements incessants du téléphone satellitaire de Wakil. Lequel recevait sans discontinuer des appels et en émettait quelquefois. Aucun moyen de lui tirer le ver du nez.

Au réveil, autour du petit déjeuner au menu très particulier : viande séchée, pilée et beurrée accompagnée de lait légèrement caillé, nous tentions d’en savoir davantage sur ces appels téléphoniques. Il nous expliquera qu’il a passé une sacrée nuit : un convoi de drogue appartenant à son réseau a failli tomber dans une embuscade.

 » J’ai un peu mal dormi mais ça ira. Je suis y habitué. Alors j’imagine que cette nuit n’a pas été fameuse pour vous non plus. Vous savez, bien avant que nous nous rencontrions, quand j’étais encore en ville (Gao), un de mes indicateurs m’a signalé qu’il venait d’apercevoir une colonie de pick-up dans une erg par laquelle notre convoi transite. Alors je lui ai demandé d’essayer d’identifier à qui ils appartiennent ces pick-up. Je l’ai chargé d’entrer en contact avec notre convoi pour le prévenir de la menace vers laquelle il se dirige. Voyez-vous, c’était une nuit de coordination « .

Il ajoute que ça n’a pas été facile de faire stopper le convoi car le véhicule de tête était quasi injoignable.  » Mais, Dieu merci, nous avons réussi et le convoi se dirige maintenant vers le Niger », précise Wakil avant de nous déclarer qu’il s’y rendra pour récupérer quelques chose. Un premier hiatus dans le programme établi.

La route de la cocaïne

En début d’après-midi, après s’être absenté quelques heures, Wakil nous rejoint à bord d’un pick-up suivi par un autre. Nous embarquons dans le sien, et l’autre prend le devant.  » À partir de cet instant, vous n’êtes plus journaliste. Je vous présenterai comme un neveu à moi et j’espère que vous saurez vous adapter à votre nouvelle identité. C’est du moins ce que je vous conseille jusqu’à notre retour », nous explique-t-il. Au coucher du soleil, nous campons quelque part pour cuire rapidement un dîner.

Puis, nous démarrons pour continuer sans jamais allumer nos phares. Deux heures plus tard, Wakil, qui n’arrivait plus à joindre le convoi, décide de camper à nouveau pour passer la nuit.

À l’aube, il nous embarque dans le second pick-up et ordonne au conducteur de nous déposer dans un campement situé à près de 45 mn de là, où nous y passerons la nuit.

Pendant que l’on décollait, Wakil s’enfonçait plus au nord. Nous essayons de peser sur l’indiscrétion de notre conducteur pour en savoir plus sur ce changement de programme.

Tout ce qu’il a bien voulu nous piper c’est : « Rassurez-vous, il contrôle encore la situation. » Nous passerons trois jours dans ce campement.

La grande démonstration

Au petit matin, nous voici au point de croisement des frontières du Mali, du Niger et de l’Algérie. Un point culminant où seuls les narcotrafiquants font régner l’ordre. Dans le véhicule, avant même que nous ne descendions, Wakil indexe un homme muni d’une arme automatique qu’il dit être un chef de gang tchadien.

 » Vous voyez l’homme entre les deux pick-up là-bas, il n’est pas très fréquent ici. Il dirige un gang tchadien qui se charge d’escorter les convois transportant de la drogue, des armes ou de la cigarette (Marlboro). Sa présence ici aujourd’hui atteste de l’importance du convoi que nous attendons. Permettez-moi, je lui donne bonjour et je reviens », dit-il tout en ouvrant sa portière.

Quelques minutes après, le convoi sort la tête. Il se compose de cinq pick-up bourrés de marchandises et quatre autres chargés de les escorter. Au vif, chacun fait son boulot : transfère des colis, gère des comptes. Et, en un clin d’œil, le site est abandonné ; chacun reprend son chemin.

En un mot comme en cent, la rencontre pour laquelle nous avions fait près de six jours ne devait durer qu’une trentaine de minutes. Notre interlocuteur, infiltré à dessein, explique:  » Vous voyez, c’était rapide. Dans ce métier, il ne faut pas s’éterniser dans un endroit. Les rencontres ne sont pas des cadres de causeries. Il faut faire vite tout en étant précis. De la manière dont un colis m’a été remis, il en sera de même pour d’autres personnes quelque part au Niger, en Mauritanie, au Tchad. Comme ce fut le cas en Algérie, au Maroc, quelques jours plus tôt.  »

Nous venons donc d’assister à une étape très importante du système : la livraison des marchandises. Mais, pour le reste du circuit, Wakil précise  » Il serait inutile de vouloir y participer car je ne saurais accéder à cette requête pour votre sécurité ainsi que la mienne « .

En fait, explique-t-il : « Les chances de découvrir quelqu’un que vous reconnaîtrez ou qui vous reconnaîtra sont énormes. Retenez simplement que ce genre de rencontres sont effectuées plusieurs fois par semaine et à divers endroits « .

Moulaye Hassane, le Hoggar du 5 janvier 2011

06 Janvier 2011.