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Sur l’affaire de l’huile périmée du Pam-Mali, le bilan de son association en passant par la présence souvent décriée des leaders d’association de défense des consommateurs au sein de conseils d’administration, la présidente de l’Association des consommateurs du Mali (Ascoma) Mme Coulibaly Salimata Diarra, a accepté de nous entretenir.

Elle reconnaît que des opérateurs économiques ne respectent pas souvent leur engagement. Parlant de leur silence sur des sujets comme la vie chère, elle croit qu’il serait déloyal de leur part de siéger au sein du Conseil national des prix et de faire des déclarations hasardeuses.

Les Echos : A quelques mois du 20e anniversaire de votre association, quel bilan faites-vous de vos activités de défense des consommateurs ?

Mme Coulibaly Salimata Diarra : L’Ascoma est née le 11 janvier 1991 dans la mouvance du Mouvement démocratique. Elle est la première association dans un domaine précis qui prend tout en charge. C’est ainsi qu’elle est intervenue dans différents domaines dont la sécurité alimentaire sur laquelle elle a fourni beaucoup d’efforts. L’un des résultats du combat pour la sécurité alimentaire a été la création de l’Agence nationale pour la sécurité sanitaire des aliments (Anssa) qui est une des recommandations de l’étude que l’Ascoma a faite sur les aspects socioéconomiques et sanitaires des aliments de rue à Bamako, Sikasso et Ségou.

Nous avons réussi à convaincre les autorités, à travers l’Anssa, à adopter une politique nationale de sécurité sanitaire des aliments. Cette structure a vu le jour au sein du ministère de la Santé sur instruction du Premier ministre. L’expérience des boucheries témoins dans les six communes du district de Bamako pour promouvoir la proximité de services, la qualité et la stabilité du prix de la viande est un succès à mettre au compte de l’Ascoma.

Cependant, j’ai un peu de regret sur ce projet qui visait à promouvoir aussi l’emploi des jeunes et la naissance d’une nouvelle catégorie de bouchers plus exigeants sur la qualité de la viande. Malheureusement, nous n’avons pas réussi à mettre en exergue cet aspect du projet. Au départ, les critères qui étaient retenus pour le choix des jeunes n’ont pas été respectés et pourtant l’Office de la main d’œuvre avait pris en charge ce volet qui s’est avéré être la faille du projet, vu que la chaîne de froid et le transport adéquat de la viande n’a pas bien fonctionné. C’est dire que l’expérience des boucheries témoins n’ont pas totalement réussi.

J’aimerais aussi évoquer l’affaire du bromate de potassium utilisé dans la panification et qui s’est avéré cancérigène. Cette affaire avait fait grand bruit à Bamako. Un opérateur qui continuait d’importer le produit alors qu’il était informé de sa dangerosité nous a poussé à livrer une bataille qui a conduit à la prohibition du bromate de potassium à l’importation comme à l’exportation au Mali.

Le dernier point sur lequel je veux intervenir et qui a contribué à l’amélioration de la qualité de l’électricité et de l’eau est notre visite des installations de l’Energie du Mali (EDM) qui nous a permis d’interpeller les autorités sur la vétusté de ces installations. Depuis lors, le dossier EDM est devenu un dossier personnel des chefs de l’Etat de telle sorte que les populations ont pu être à l’abri des augmentations tarifaires envisagées.

Enfin, l’affaire de la prolifération dans la région de Sikasso en 2008 d’unités de production d’huile frelatée nuisible à la consommation a conduit l’Ascoma à une campagne médiatique aux termes de laquelle des mesures ont été prises pour contrôler davantage ces unités dont la plupart ont été fermées.

Les Echos : Quelles sont les difficultés que vous rencontrez dans vos activités. Pensez-vous que l’accusation portée contre l’Anssa qui ne jouerait pas pleinement son rôle est justifiée ?


Mme C. S. D. :
Ce qui est louable, c’est que la prise de conscience générale sur la question de la sécurité sanitaire des aliments et la protection de la santé publique est une réalité. Le Mali est le seul pays de la sous-région à avoir une Agence dédiée à la sécurité sanitaire des aliments. Evidemment quand on met une telle structure en place, il faut du temps pour corriger les insuffisances. Ce qu’il y a lieu de faire, c’est de se référer à des pays qui ont une agence du même genre pour s’en inspirer.

J’ai souhaité personnellement qu’on fasse un audit de l’Anssa dans ses missions et organisation pour qu’on puisse voir quels sont ses vrais problèmes et rectifier le tir. Je me dis que les choses ne sont pas clairement définies et l’Anssa se trouve effectivement gênée aux entournures d’autant qu’elle n’a pas de structure de contrôle. Elle est une structure de coordination, ce qui est insuffisant pour agir correctement.

Les Echos : Les médias ont récemment révélé l’existence d’une quantité importante d’huile périmée que le Programme alimentaire mondiale (Pam-Mali) s’apprêterait à distribuer aux populations. Devant une situation grave qu’elle est votre réaction ?


Mme C. S. D. :
Il y a effectivement cette affaire et tant que cette huile n’est pas détruite officiellement, elle va demeurer une affaire à suivre de près. Mais depuis l’intervention de l’Ascoma, qui a été la première à apprendre la nouvelle, l’affaire est bloquée. Nous avons mené des actions sur les antennes de radios privées, fait des communiqués de presse pour dénoncer l’affaire.

Je crois qu’aujourd’hui, il est peu probable que le Pam-Mali puisse récupérer ces produits-là pour les distribuer. Donc, nous n’avons pas de crainte quant à la bonne gestion de ce dossier, car nous sommes sûrs que les autorités, alertées, ne vont jamais permettre que cette huile soit consommée.


Les Echos : Ces dernières années on a beaucoup entendu parler de vie chère, mais, en votre qualité d’association de défense des consommateurs, on vous a peu ou pas du tout vu sur le terrain. Pourquoi ?

S. D. : Il y a certaines choses qui ne sont pas publiées. Je prends l’exemple des hydrocarbures où nous avons un représentant à l’Office national des produits pétroliers (Onap), qui travaille directement avec un comité sur les prix et qui connaît les efforts fournis par les opérateurs économiques et par l’Etat pour le maintien des prix à un certain niveau. Quand on est représenté au sein du Conseil national des prix (CNP) et que des décisions qu’on n’approuve pas forcément sont prises, il est mal vu de sortir d’un tel comité pour faire d’autres déclarations.

Moi je trouve qu’on a surtout des opérateurs très indélicats qui ne respectent pas souvent leurs engagements. Au-delà de leurs intérêts personnels, les opérateurs économiques devront à l’avenir respecter leur parole donnée. La population doit comprendre que l’Ascoma en tant qu’organisation de consommateurs a un rôle important à jouer dans l’éducation des citoyens en termes de consommation.

Les Echos : Des Maliens trouvent paradoxal que des organisations des consommateurs siègent dans des conseils d’administration de certaines sociétés de la place. Ceux-ci pensent que cette présence pourrait plomber vos luttes. Qu’en dites-vous ?

S. D. : N’ayez crainte ! Je suis personnellement la PCA du Centre universitaire d’odontostomatologie, mais quand on m’a proposé cette présidence, j’étais en même heureuse mais craintive. Mais, au finish, je me suis dit qu’on ne peut pas vouloir d’une chose et son contraire, car on ne peut pas réclamer être aux instances de décision et se mettre à l’écart, donc il y avait l’obligation de répondre positivement à cette sollicitation.

En dirigeant le CA de cette structure, il n’y a rien de contradictoire avec ma mission parce qu’au niveau du CA il s’agit d’apprécier ce qui se fait au niveau de cet hôpital, faire des observations critiques et proposer des solutions concrètes d’amélioration.

J’en profite pour préciser que le fait d’être PCA de l’hôpital d’odontostomatologie ne me donne aucune prérogative ni aucun avantage matériel. Je voudrais que les gens sachent cela aujourd’hui puisque ce n’est pas parce qu’on est PCA qu’on a droit à un bureau, à une voiture et à d’autres avantages. C’est honorifique pour nous. Notre présence à ce niveau nous permet cependant de jouer notre rôle et influer sur la qualité et le prix des produits et prestations. Ailleurs, nous avons des leaders des organisations des consommateurs qui dirigent des comites de régulation.


Les Echos : C’est bientôt la rentrée scolaire, quel conseil pouvez-vous donner aux parents d’élèves accablés par les dépenses liées à cet événement ?


S. D :
Le conseil que je voudrais donner aux parents c’est de faire valoir nos valeurs sociétales. Quand je vois tout ce qui se passe à la télévision, j’ai très peur, car les enfants nous échappent. Pour que notre avenir ne soit pas basé sur le mimétisme, nous avons le devoir de faire adhérer nos enfants à nos réalités sociétales. Je n’apprécie pas l’image véhiculée par de petites filles coiffées avec des mèches et dépigmentées surtout qu’il m’a été rapporté par un spécialiste que beaucoup de cas de cancers de peau et de sein sont liés à l’utilisation des produits éclaircissants vendus au Mali.

Les Echos : Sous quel signe placerez-vous votre 20e anniversaire le 11 janvier 2011 ? Quelles sont les perspectives de l’Ascoma ?


S. D :
Permettez-moi de ne pas répondre à la première question, on verra bien comment nous allons fêter notre anniversaire. Je ne suis pas la seule à pouvoir déterminer cela.

En termes de perspective, nous pensons qu’il faut au niveau du Mali des services de qualité de téléphonie mobile afin que des consommateurs puissent tirer des profits réels. Dans les jours à venir, nous allons interpeller les deux opérateurs sur l’accès facile des consommateurs aux réseaux.

Vous n’êtes pas sans savoir que nous avons souvent des promotions à Matilel et à Orange-Mali et des consommateurs achètent davantage de cartes de recharge, mais dans la pratique, il est impossible de joindre son correspondant, donc on se sent abusé. Je voudrais lancer un appel aux deux sociétés de télécommunication pour que leurs services soient toujours accessibles partout au Mali.

Nous avons l’intention de mener des campagnes de sensibilisation sur le devoir des citoyens puisque avec l’avènement de la démocratie, les populations réclament leurs droits haut et fort, mais occultent leurs devoirs. L’autre ambition, c’est d’amener nos pays, à travers la proposition faite par l’Union économique et monétaire ouest-africaine relative à une loi au profit des consommateurs, à adopter cette initiative qui peut être améliorée pour devenir un code de consommation et de défense des consommateurs de la sous-région.


Propos recueillis par

Amadou Waïgalo

30 Septembre 2010