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L’année dernière les producteurs maliens ont vendu leur coton à 210 F Cfa le kg. Mais pour la compagne qui commence début juin le prix du coton graine vient d’être fixé à 160 F Cfa compte tenu de la chute drastique des cours de la fibre.

«Au rythme où on va la production cotonnière restera l’apanage des seuls pays industrialisés. Peut-être, est-ce l’objectif que les puissants veulent réaliser en nous acculant à abandonner la culture du coton parce qu’elle n’est plus profitable pour nous». Adama Sanogo, un des leaders paysans de la localité de Koutiala, au sud-est du Mali, a bien des raisons de s’inquiéter. Le coton est tout pour sa communauté. Le revenu qu’il génère sert à nourrir la famille, envoyer les enfants à l’école, acheter des médicaments… Mais depuis quelques années le coton ne paie plus : les subventions que les riches accordent à leurs productions entraînent la surproduction et font chuter les cours mondiaux.

Le coton produit par les paysans maliens est acheté par la CMDT (Compagnie Malienne pour le Développement des Textiles) qui l’égrène et le vend sur le marché international. Les cours se situent aux alentours de 53 cents la livre d’or blanc, soit 30 % en dessous des prix de 2003-2004. Les producteurs d’Afrique de l’Ouest sont en outre particulièrement touchés par cette baisse en raison de la faible valeur du dollar par rapport à l’euro (le F Cfa a une parité fixe avec l’euro).

Les Africains pénalisés

Les Etats-Unis, et dans une moindre mesure l’Union Européenne (UE) et la Chine, donnent une aide gouvernementale directe à leurs cotonculteurs. La Banque Mondiale estime que ces politiques de soutien réduisent le prix mondial de quelque 15 %, d’autres sources parlent de 35 %. Selon le CCIC (Comité Consultatif International sur le coton) les Etats-Unis accordent à ses 25.000 cotonculteurs environ 3,3 milliards de dollars par an. L’Union Européenne subventionne les producteurs d’Espagne (10.000) et de Grèce (90.000) à hauteur de 1 milliard de dollars. Ces subventions font perdre aux Africains l’équivalent de 400 millions de dollars par an, d’après l’ONG britannique Oxfam.

Le coton est un cas exemplaire de relations commerciales inégales. Un nombre restreint de producteurs, soutenus par des subventions dans les pays riches, menace l’unique «gagne pain» de 10 millions de paysans démunis de l’Afrique de l’Ouest et du Centre. Le coton africain n’est plus rentable face à ses concurrents subventionnés, bien qu’il soit de haute qualité et produit à des coûts inférieur de moitié.

«Nous voulons dire à ces pays, qui soutiennent à coût de millions de dollars leur agriculture, que leur souci de protection d’une minorité de producteurs engendre chez nous des conséquences injustes et graves… Ces subventions ont ceci de paradoxal qu’elles faussent la libre compétition et pénalisent nos rares atouts dans un marché mondialisé», s’est indigné il y a un an le président, Amadou Toumani Touré.

La CMDT (dont le capital est détenu à 60 % par l’Etat malien et 40 % par la société française,
Dagris) envisage un déficit prévisionnel de plus de 60 milliards de F Cfa a cause de la chute des cours. L’année dernière le Mali était le premier producteur de coton en Afrique avec 617 000 tonnes de coton graine.

Si le coton ne constitue qu’une part mineure de l’activité économique des pays riches il est d’une importance vitale pour les pays africains. Pour le Bénin, le Burkina, le Mali et le Tchad, il représente en moyenne 6,5 % du produit national brut (PNB), 66 % des revenus d’exportation agricoles et 33 % des revenus d’exportations totales. Ces revenus ont chuté de 31 % au cours des cinq dernières années.

L’OMC interpellé

Les subventions se font en violation flagrante des règles du commerce mondial. C’est pourquoi les quatre pays africains avaient introduit une soumission pour la suppression des subventions à l’occasion de la conférence ministérielle de l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce) en 2003 à Cancun au Mexique. La réunion s’était terminée par un échec, les pays du Sud ont refusé toute négociation si une baisse des subventions n’était pas programmée.

Les négociations se sont finalement poursuivies au sein d’un «sous comité sur le coton» créé par l’OMC dans la perspective de l’aboutissement du cycle de Doha prévu pour fin 2006. Un accord est intervenu entre Africains et Américains sur une future réduction des subvention américaines. En attendant l’OMC a condamné en mars dernier les subventions américaines versées aux cotonculteurs à travers une plainte déposée par le Brésil.

Elle reconnaît que les subventions américaines causent un «préjudice grave» aux autres producteurs car ces aides ont pour effet «d’empêcher des hausses e prix dans une mesure notable».

En mi-avril lors de son passage à Bamako pendant la 9e session de l’Assemblée Parlementaire Paritaire ACP-UE, le commissaire européen au commerce, Peter Mandelson a déclaré qu’a partir de 2006, 65 % des subventions que l’UE octroient aux producteurs de coton ne seront plus liés à la quantité qu’ils produisent.

«Le résultat sera que les agriculteurs européens produiront moins de coton. L’opportunité pour l’Afrique de l’Ouest de vendre plus de coton en Europe sera augmentée», a-t-il commenté.

Le problème des subventions reste entier. Tout le monde a les yeux rivés sur la prochaine conférence ministérielle de l’OMC qui se tiendra en décembre à Hong Kong. En entendant Adama Sanogo, ne pourra pas envoyer tous ses enfants à l’école, acheter les médicaments, ou subvenir aux besoins quotidiens de sa famille…

Fousséni Traoré
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Les Africains se mobilisent

Réunis à Saly au Sénégal les 6 et 7 mai derniers, producteurs, sociétés cotonnières, ambassadeurs auprès de l’OMC, représentants d’ONG et la société civile africaine ont sonné la mobilisation contre les «subventions distorsives et injustes» sur le coton des pays développés.

«Des dizaines de millions de petits producteurs africains ne parviennent plus à vivre décemment de leur travail et s’enfoncent chaque jour un peu plus dans la précarité en dépit de leur professionnalisme et de la qualité de leur production. Parallèlement, les emplois industriels de nombreuses villes secondaires et les économies des régions cotonnières liées à la filière cotonnière sont fortement menacés. L’existence même de ces filières est en péril», ont-ils écrit dans un document intitulé : «Sur la route de Hong Kong : l’appel des cotoniers africains».

L’atelier panafricaine de Saly a mis l’accent sur l’urgence de poser des actes concrets et tangibles pour aider les filières africaines dans la crise qu’elles traversent et soutenir leur développement durable en garantissant des prix minimums aux producteurs afin de préserver leurs revenus.

Désormais, les Africains réclament «la création d’un fonds d’urgence d’appui à la filière cotonnière africaine». Une position qu’ils entendent défendre à Hong Kong.

FT

24 mai 2005