«Dès qu’elle prend conscience d’elle-même, une nation peut justifier son présent par son passé». Ce sont les historiens qui créent les nations et il n’y a pas de nation sans histoire nationale. Nos premières histoires, nous les devons sans doute à la tradition orale mais aussi aux chroniqueurs El Bekri, Ibn Battuta, Ibn Kaldoun, Mohamed El Kheti. Il est prouvé par les écrits des auteurs précités qu’une nation malienne avait bien existé avant l’indépendance. Mais quel rôle faut-il assigner aujourd’hui à ces histoires nationales du Ouagadou, du Mali, du Songhoï, de l’Azawaïd, etc. ?
Le cinquantenaire vise-t-il à soutenir la fierté des peuples africains en leur rappelant leurs glorieuses origines ? Pourquoi et pour quelle raison nous cherchons des origines plus lointaines ? Dans cette perspective, il est difficile en Afrique de l’Ouest Anglophone comme Francophone de ne pas rattacher l’histoire des autres à la grande ombre mandingue et à son étonnant personnage politique et mystique Soundjata KEÏTA.
L’orgueil d’être «mélien» soutient-il seulement et exclusivement que les Maliens du Mali ?
Beaucoup sont heureux aujourd’hui de manifester quelque lien de rattachement avec le berceau de la civilisation malienne. Beaucoup de chefs politiques de notre époque rêvent d’être de nouveaux Soundjata, Soumangourou, Askia, Kaya Maghan, Firhoun, Tiéba, Babemba, Biton, Monzon, Dah, Cheick Oumar TALL, Ahmadou Ahmadou !! Ils en sont même persuadés ! Le hic est que, cinquante ans après, la République se passe pour l’héritière des origines glorieuses traditionnelles.
La revendication de notre passé traditionnel n’est-il pas à la fois glorieuse et compromettante ?
Prétendre incarner Soundjata, Tiéba, Samory, Biton, Dah ou Firhoun ne va pas aujourd’hui sans danger.
De nos origines guerrières, personne ne conteste, et en tant que nation malienne, nous devons en tirer de l’orgueil. Tout peuple, tout individu, même ‘’l’indigne’’ parfois, aime à retrouver dans son histoire des personnages exceptionnels dont les vertus et la gloire sont des repères.
Parmi les héros nationaux de notre histoire, il est permis de dire et je le dis sous ma responsabilité, qu’aucun n’a joué un rôle plus marquant que Soundjata.
En ce sens que son souvenir a foisonné et a vécu et continue de vivre et foisonner le continent africain. En effet, les traditions que Soundjata incarne sont diverses, parfois contradictoires, d’un lieu à l’autre, d’un temps à l’autre, ces traditions sont plus ou moins vives.
Dès le 12è siècle, Soundjata est un personnage d’épopée. Les grandes divergences entre les tenants de la Charte du Mandé de 1222, découverte par Youssouf Tata CISSE et ceux du N’kô autour de la Charte de Kurukanfuga sont révélatrices de l’actualité de la revendication de notre passé traditionnel en matière des droits de l’homme.
C’est cela la Renaissance. Et ses premiers jalons tant dans la pensée que les lettres et les arts ont été posés dès les débuts de la 3e République.
En dépit de toutes les incohérences dans la gouvernance globale de la 3è République, elle a opéré une restauration traditionnelle. Retrouver et ranimer les effigies, les icônes, la pensée et l’art de ces personnages et symboles. Voilà la Renaissance. Toute l’évolution des idées politiques de la 3è République passe par l’influence de la tradition ‘’médiévale’’ mandingue, sonrai, soninké, etc., à tel point qu’il est légitime de se poser la question de savoir si en ce 21è siècle y a-t-il des esprits qui restent pénétrés par les idéaux républicains ?
L’immense majorité des Maliens (et même au-delà de nos frontières) jurent la Charte du Mandé en main, du moins les intellectuels les plus en vue. A côté de la tradition républicaine classique (qui n’est d’ailleurs que formelle), les pouvoirs publics ont accordé et continuent d’accorder une large place aux traditions ancestrales.
Plus le temps passe, plus les souvenirs de nos ancêtres renaissent toujours dans les chants, dans la littérature, dans l’art et même dans la gouvernance politique, si bien que les idées de liberté, de droit et de justice qui sont devenus les maîtres- mots de la 3è République apparaissent comme si nous les devons plus à nos ancêtres qu’aux Martyrs de Mars 1991 !
Mais à quoi bon évoquer l’anti-esclavagiste Soundjata, les résistants Samory, Tiéba, Babemba, Bandiougou, jusqu’à nous perdre dans les dédales de leurs influences si on réhabilite des anciens colonisateurs ?!
Or, précisément, l’unité de l’idée coloniale partout dans le monde a trois caractéristiques communes : au niveau politique, la violence quand il y a une conquête coloniale et en cas de résistance, le niveau économique qui est la recherche de débouchés, de matières premières. Ce qui intéresse le colonisateur, c’est l’exploitation.
Enfin, le niveau humain qui repose sur un présupposé qui est celui du racisme, la supériorité de l’homme blanc et qui prend parfois l’allure du paternalisme.
Quelle différence faire entre l’idée coloniale d’hier et l’idée unioneuropéenniste d’aujourd’hui ?
Par ailleurs, les problèmes de démographie, de structures sociales avec la famille au centre qui balance entre le lignage et le ménage. Un contraste entre la société urbaine qui se ‘’modernise’’ au sens européen et la société rurale qui s’est vue octroyée par le Président A.T.T un statut professionnel.
Il reste à clarifier la situation matérielle de la paysannerie. Quelques interrogations demeurent : la reforme foncière prévue à l’art 78 de la L.O.A sera-t-elle une reforme de remembrement ? Va-t-elle accroître ou diminuer l’étendue des exploitations ? Rendre les ‘’sans terre’’ propriétaires ?
La grande équation à résoudre concrètement est la conjonction de la condition juridico- économique et la condition sociale des innombrables masses rurales très pauvres vivant dans la précarité.
Certes, la «révolution capitaliste» des dirigeants de la 3è République encouragée et appuyée en cela par le capitalisme mondial laisse voir un pays neuf, rénové, aux bâtiments flambants et neufs ! Mais à quel prix ? Au détriment de qui ?
Si on peut évoquer fièrement les immenses progrès dans les voies et moyens de communication, en revanche, nous devons être à mesure de comprendre, à moins d’un changement qualitatif dans la gouvernance politique et administrative, que ces progrès expliquent notre place dans le commerce international et le rôle que notre agriculture va jouer dans l’économie planétaire.
Le trafic international aérien se modernise ! Il est clair pour tout le monde que la vitesse de circulation n’est pratiquement plus la même à l’intérieur de notre pays et de l’extérieur en direction du Mali.
Le trait fondamental de l’économie de notre temps est le recours croissant à la monnaie. Ce qui est une cause d’aggravation de la corruption et source d’enrichissement illicite.
Oui, il y a renaissance. Mais attention, cette renaissance varie d’un Etat africain à l’autre, d’une classe sociale à l’autre et même d’une personne à l’autre à l’intérieur de chaque État. Le sentiment de la renaissance qui lie chacun de nous à notre pays varie aussi d’un individu à l’autre et d’un groupe à l’autre.
Le sentiment «national» de l’époque de Soundjata qui était le fait d’un nom commun (Mandé), d’un Empereur commun, d’intérêts communs, de la conscience d’une origine commune, de la fierté d’une histoire commune, est-il le même que nos modernes sentiments nationaux ?
Notre ‘’moderne sentiment national’’ fait-il de la République une conviction politique profonde ou un simple rhétorique ?
Cinquantenaire, renaissance, le constat est là.
La renaissance de la 3e République a mis à l’honneur le recours à la tradition mais dans un contexte d’achèvement total d’une mutation de l’État-providence à l’État néolibéral où les entreprises publiques même classées stratégiques ont été soit privatisées soit libéralisées.
Renaissance africaine mais dans un contexte d’économie de marché qui fait que le pays légal a engendré un pays réel composé de laissés-pour-compte.
Le pays légal, ce sont les institutions issues des différentes reformes libérales qui ont mis sur la sellette des démocrates milliardaires face à leur peuple.
La conjoncture économique, la hausse des prix, la crise agraire ont entraîné un affaiblissement des revenus et créé, du reste, un pays réel.
Les deux plus évidents symptômes de la crise générale sont d’une part les violences policières quotidiennes et le développement au sein de la société d’un monde de vagabonds, de brigands, de hors-la-loi contre lesquels les différents gouvernements mènent un combat sans merci.
D’autre part, des séditions éclatent en villes comme en campagnes, des révoltes se propagent, dont la force et l’importance effraient toutes les cités ! Pour preuve, la révolte des exclus le 09 mars 2010 organisée par l’Union des Associations et Coordination d’Associations pour le Développement et la Défense Des Droits des Démunis (UACADDDD). Ils étaient là, en masse, sortis de leurs terriers.
Sur les visages de certains, on pouvait voir des moisissures, des crasses, de la teigne.
La cause déterminante d’une révolte est évidemment l’esprit de révolte et cet esprit est, quand un sentiment d’insécurité habite les victimes.
Ce n’est pas la méchanceté qui a mobilisé ces exclus de la République ni les mots d’ordre de tel ou tel parti ou tel ou tel chef en dehors de leur organisation. Les causes sont objectives.
La gestion foncière communale ne leur a pas laissé un autre choix que la mobilisation pour montrer l’injustice qui les frappe.
La crise foncière et les privatisations ont rendu les riches plus riches et les pauvres plus pauvres.
On vit un fond commun de malaise social résultant de crises économiques et de maladresses politiques des dirigeants politiques et administratifs.
Des exclus, il y en a aussi en dehors de l’Union, ce sont les tenus à l’écart des affaires du pays, des artisans, des bouchers, des compressés et ouvriers licenciés, etc.
Ces combattants de l’UACADDDD et ces tenus à l’écart des affaires du pays constituent pour l’instant un mouvement modeste, trop faible et qui manque de culture et d’expérience pour aller seuls et bien loin.
Ils ont besoin du soutien de plus forts, de plus riches et de plus éclairés mais contre les mauvais riches et les mauvais juges. ‘’Pas de révolte durable sans guerriers en rupture de société’’. Et c’est pourquoi, nous historiens de la renaissance, ardents patriotes, devons trouver à notre peuple de nouvelles raisons d’être fiers.
Vive le cinquantenaire !
Vive la renaissance !
Vive les guerriers en rupture de société !
Bamako, le 01 Avril 2010
Me Amadou T. DIARRA, Avocat, Historien des Institutions
Tél. : 66 72 37 10
Email : atdiarra@yahoo.fr
06 Avril 2010.