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Le président de la République, suivant la lettre de mission n°0000003/PRM en date du 20 février 2008, m’a instruit de mener une réflexion sur la consolidation de la démocratie au Mali.

L’objectif visé était d’obtenir des propositions dont la mise en œuvre permettrait de clarifier les compétences des institutions de la République ainsi que les relations entre elles et, au besoin, de recentrer ou de renforcer lesdites compétences ; de corriger les lacunes et les insuffisances révélées par la pratique institutionnelle et, d’une manière générale, d’améliorer le système électoral et le mode de financement des partis politiques et de donner à l’opposition les moyens politiques, juridiques et financiers lui permettant d’exercer son rôle et de garantir ses droits.

La nécessité de cet exercice ressort très clairement de la lettre de mission. Le président de la République comme beaucoup, aussi bien dans le monde politique que dans la société civile, trouve que s’il est indéniable que depuis une quinzaine d’années la démocratie est une réalité dans notre pays, ce qui lui vaut d’être cité en exemple, la pratique institutionnelle a mis en évidence de nombreuses questions qui constituent des sujets de préoccupation.

Les institutions de la République suscitent régulièrement des débats au sein de la classe politique et dans l’opinion publique nationale sur leur organisation, leur fonctionnement et les rapports qu’elles entretiennent entre elles. Malgré les nombreuses relectures de la loi électorale et de la loi portant Charte des partis politiques, le processus électoral et le financement public des partis politiques connaissent encore des lacunes et des insuffisances dont la manifestation la plus évidente est la faiblesse récurrente de la participation des citoyens aux élections.

Les uns imputent ce phénomène au mode d’inscription sur les listes électorales, à l’absence fréquente des représentants au niveau des partis politiques des commissions administratives d’établissement et de révision des listes électorales, aux difficultés rencontrées dans la distribution des cartes d’électeur, à l’identification des électeurs et des bureaux de vote ainsi qu’à la gestion desdits bureaux.

Les autres mettent en cause les modes de scrutin, le faible engagement des partis politiques et des candidats et plus particulièrement la fraude électorale. Mais tous estiment les élections très coûteuses et trop nombreuses les structures impliquées dans leur organisation.

Peu accordent crédit aux résultats proclamés et jugent que l’opposition ne disposent pas des moyens lui permettant d’exercer pleinement son rôle et de donner une chance à l’alternance.

Devant un champ de réflexion aussi vaste, il fallait trouver une méthode de travail permettant une appréciation objective de la situation d’ensemble du processus démocratique et de chacun de ses éléments moteurs. Le comité d’experts en charge de la réflexion s’y est employé avec rigueur et détermination, dans le délai imparti, sur la base de la feuille de route élaborée pour la conduite de sa mission.

C’est ainsi qu’il a procédé d’abord à une recherche documentaire qui a abouti à la mise à la disposition des experts d’une importante somme d’informations constituées des conclusions et recommandations des différentes rencontres organisées sur le processus électoral et la gouvernance démocratique au Mali, des rapports des administrations et des organisations de la société civile sur les différentes consultations électorales organisées depuis 1992 et des travaux de recherche réalisés par des chercheurs nationaux et étrangers.

Il a échangé ensuite avec de nombreuses personnalités, notamment des chefs et anciens chefs d’institutions de la République, des responsables de partis politiques et d’organisations de la société civile, des représentants des confessions religieuses, des syndicats et des légitimités traditionnelles, des hommes de presse et des personnalités considérées comme des observateurs avisés de la vie politique de notre pays. Il a aussi entrepris une série de missions d’information en France, au Sénégal, en Mauritanie, au Ghana et au Canada pour s’imprégner de l’expérience de ces pays, dans des domaines préalablement ciblés.

Sur la base des informations recueillies, le Comité a établi un rapport qui est le fruit de sept mois de réflexion. Il contient 233 propositions dont les unes renvoient à une révision de la Constitution du 25 février 1992 et les autres à la modification ou à l’élaboration des textes fixant l’organisation et les modalités de fonctionnement de certaines des institutions de la République ou le cadre juridique de l’exercice des activités concourant à la consolidation de la démocratie.

Les propositions reposent sur la conviction que pour consolider aujourd’hui la démocratie au Mali, il faut : des institutions adaptées qui fonctionnent harmonieusement et ne constituent pas un trop lourd fardeau pour le contribuable ; des partis politiques aux capacités renforcées demeurant les principaux acteurs de la vie politique et ayant des raisons objectives de se regrouper ; des élections mieux organisées, plus transparentes, moins chères, avec une participation importante des citoyens et des résultats moins contestés ; l’amélioration de la qualité de la presse écrite et le respect du pluralisme politique au niveau de l’audiovisuel ; une société civile contribuant efficacement à la consolidation de la démocratie et de la citoyenneté ; le raffermissement des bases du dialogue social et de la résolution des conflits sociaux et une meilleure protection des droits et libertés.

En ce qui concerne les institutions

Le comité préconise le maintien du régime semi-présidentiel actuel avec un président de la Répubilque élu au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans, renouvelable une seule fois, un Premier ministre qui demeure chef du gouvernement, responsable devant l’Assemblée nationale qui peut le renverser et peut être dissoute par le président de la République.

Mais le maintien du régime serait accompagné de quelques réaménagements. En ce qui concerne l’exécutif, la limitation du nombre et de la durée du mandat présidentiel n’est pas concernée. C’est dire qu’en ce qui concerne l’article 30, le Comité suggère le maintien du statu quo. En ce qui concerne l’élection du président de la République, il est suggère un nouveau mode de parrainage et la suppression de l’exigence actuellement faite aux candidats d’être de nationalité malienne d’origine.

Le réaménagement de l’exécutif concernerait principalement les pouvoirs du président de la République et ses rapports avec le gouvernement. Le président de la République définirait la politique de la nation qui serait mise en œuvre par un gouvernement dirigé par un Premier ministre qu’il nommerait et démettrait librement. Le parlement serait renforcé avec la création d’une seconde chambre et le renforcement de ses capacités d’exercice de la fonction législative et de contrôle de l’action gouvernementale.

Le pouvoir juridictionnel répondait aux exigences actuelles avec une Cour constitutionnelle à l’indépendance renforcée par la durée plus longue et le caractère non renouvelable du mandat de ses membres, la présence des anciens présidents de la République jouissant de leurs droits civiques, l’institution d’un contrôle de constitutionnalité par voie d’exception et un pouvoir redimensionné dans le domaine électoral, principalement limité à la gestion du contentieux électoral ; une cour suprême constituée de la section judiciaire et de la section administrative, l’actuelle section des comptes devenant la nouvelle cour des comptes, juridiction suprême d’un nouvel ordre formé avec des chambres régionales des comptes et, enfin avec un conseil supérieur de la magistrature érigé en véritable instrument de contrôle de l’activité des juges de par son ouverture à des personnalités extérieures au corps de la magistrature et le pouvoir à lui conféré de recevoir les plaintes des justiciables.

Le Haut Conseil des Collectivités serait supprimé et le Conseil Economique Social et Culturel réaménagé dans ses attributions et ses modalités de fonctionnement. Le médiateur de la République verrait ses moyens d’action renforcés.

Une nouvelle autorité indépendante, le Conseil supérieur de l’audiovisuel remplacerait le comité national de l’Egal accès aux médias d’Etat et le conseil supérieur de la communication qui seraient supprimés.

Une Agence générale des élections remplacerait la C.E.N.I et la Délégation générale aux élections qui seraient, toutes les deux, supprimées. La nouvelle structure reprendrait leurs attributions et celles des services du ministère de l’Administration territoriale et des collectivités locales en ce qui concerne l’organisation des élections.

En ce qui concerne les partis politiques

Les propositions tendent à les maintenir comme principaux acteurs de la vie politique. Le régime libéral actuel qui régit leur formation serait maintenu. C’est dire que le comité n’a retenu la possibilité d’une réduction du nombre des partis par la voie administrative ni la mise d’entraves nouvelles pour leur création.

Des mesures sont proposées tendant au renforcement des capacités des partis politiques notamment la reconnaissance du droit d’adhérer à un parti à des catégories de citoyens qui en sont privées, un mécanisme permettant d’endiguer le phénomène de nomadisme politique, un régime comptable adapté à la nature de leurs activités, de nouvelles conditions d’éligibilité au financement public et une nouvelle clé de répartition de l’aide publique directe ainsi que l’institution d’un système de financement indirect.

Il est également proposé des mesures de renforcement des droits de l’oppositon, notamment au niveau du parlement et l’institutionnalisation d’un chef de l’opposition.

En ce qui concerne les élections

Le Comité estime qu’il est possible d’avoir des élections mieux organisées, plus transparentes, moins chères, mobilisant davantage de citoyens et dont les résultats seraient moins contestés.

Il suggère à cet effet l’élaboration de nouvelles listes électorales sur la base d’un nouveau système d’inscription, donc l’annulation pure et simple des listes existantes.

Les nouvelles listes seraient établies à partir d’un nouveau système d’identification des électeurs basé sur des technologies biométriques permettant de produire à la fois la nouvelle carte nationale d’identité et une nouvelle carte d’électeur, toutes deux numérisées et sécurisées avec photo incrustée.

Il serait recherché une amélioration de la participation aux scrutins avec un nouveau système d’établissement et de contrôle du fichier électoral.

De nouveaux modes d’élection sont proposés pour les députés (système mixte combinant le scrutin uninominal majoritaire généralisé avec un nouveau découpage électoral et la représentation proportionnelle de listes nationales) et les conseillers communaux (attribution d’une moitié des sièges au scrutin majoritaire et de l’autre moitié à la proportionnelle avec application du plus fort reste.)

Il est prévu un réaménagement des délais et du calendrier électoral, une nouvelle réglementation des campagnes électorales et des opérations de vote notamment par la suppression du vote par procuration et du vote sur témoignage.

La confection des bulletins de vote serait mieux sécurisée ainsi que le dépouillement et le décompte des voix et l’acheminement des procès verbaux.

Les élections coûteraient moins cher avec l’application des réformes structurelles, la réduction du nombre des membres du bureau de vote et la suppression du vote dans les pays où il y a moins de 500 électeurs inscrits.

En ce qui concerne l’amélioration de la qualité de la presse écrite et le respect de l’expression plurielle des courants de pensée et d’opinion au niveau de l’adudiovisuel

Le régime de la presse serait aménagé pour une professionnalisation du métier de journaliste à travers un nouveau régime de la carte de presse meilleure. Le statut du personnel de la presse serait amélioré avec la conclusion de la convention collective des personnels des organes médiatiques, la mise en place d’un mécanisme, de formation qualifiante, la dynamisation de l’autorégulation et l’adoption d’une nouvelle politique pénale excluant la garde à vue, la détention provisoire et les peines privatives de liberté pour la répression des délits de presse.

L’expression plurielle des courants de pensée et d’opinion serait mieux garantie avec l’application de la règle des 3/3 pour la répartition du temps d’antenne sur l’ORTM et la levée des obstacles à la création des services privés de communication audiovisuelle. L’aide à la presse serait réorganisée.

En ce qui concerne la société civile

La société civile contribuerait plus efficacement à la consolidation de la démocratie et de la citoyenneté avec l’implication des légitimités traditionnelles et l’utilisation des conventions sociales pour assurer le fonctionnement adéquat de certaines institutions comme Le Médiateur de la République, le Conseil économique, social et culturel et les instances de règlement de conflits sociaux.

L’éducation civique serait une tâche nationale qui lui serait principalement confiée et la formation civique et la promotion de la citoyenneté comme critères du financement des organisations de la société civile.

Les organisations de la société civile verraient leurs capacités renforcées au plan financier et organisationnel (relèvement du plafond de contribution des membres, assouplissement des conditions de la reconnaissance d’utilité publique.

En ce qui concerne le dialogue social

Les bases du dialogue social seraient raffermies par l’institution de négociation périodique par branche, l’élection de délégués du personnel, la désignation des syndicats les plus représentatifs et l’élaboration d’une politique syndicale.

Pour le règlement des conflits sociaux, la relecture consensuelle des textes régissant la grève dans les services publics permettrait notamment la réorganisation du service minimum.

En ce qui concerne les droits et libertés

Les droits et libertés seraient mieux protégés, en plus de l’institution du contrôle de constitutionnalité par voie d’exception, avec le renforcement des moyens d’actions du Médiateur de la République, la possibilité ouverte aux justiciables de saisir le Conseil supérieur de la magistrature et l’entrée du droit de pétition dans le droit constitutionnel malien.

Dans le rapport, chacun de ces points fait l’objet de développements particuliers qui en précisent le contenu et la portée.

Bamako, le 20 octobre 2008
Daba DIAWARA, Président de la Commission de Réflexion sur la Consolidation de la Démocratie au Mali

21 Octobre 2008