Au Mali comme certainement partout ailleurs, le cachet ou tampon pour beaucoup, permet d’accorder du crédit à un acte ou document élaboré par une autorité.
Dans l’imagerie populaire, il suffit qu‘un document soit cacheté pour qu’on ne mette plus en doute son authenticité.
C’est d’ailleurs une des raisons qui explique la grande énergie quotidiennement déployée par les usagers des services publics pour requérir le cachet du commissaire par ci, celui du procureur par là…
Par son caractère solennel, le cachet, jusqu’à une certaine époque, était entouré d’une certaine rigueur quant à son établissement et son utilisation qui est strictement réservée au seul propriétaire.
Seul, en effet, le vrai propriétaire doit (sauf cas d’autorisation) avoir accès à celui-ci. Et, toute attitude tendant à utiliser ou à imiter un cachet sans l’autorisation de son titulaire suffit pour soulever tout de suite soupçon et suspicion.
Les autorités policières elles-mêmes n’hésitent le plus souvent pas pour tendre leurs filets à de tels individus.
Autre temps, autres mœurs
S’il était avant exigé pour établir l’authenticité des actes notariés, jugements et autres pièces importantes, force est de reconnaître aujourd’hui que plein d’actes d’une telle importance sont régulièrement l’objet de falsification.
Pour cause, la confection de cachets n’obéit plus à aucune norme et le désordre aidant, des individus de tout acabit s’y investissent.
Ce qui fait que, finalement, en quelques années, l’activité est devenue le gagne-pain pour nombre de désoeuvrés comme I.M, vendeur de bricoles au bord d’une des grandes artères de la ville de Bamako.
Retourné il y a quelques années d’une immigration non couronnée de succès, il a fait de ce créneau un moyen alternatif pour arrondir ses fins de mois.
“C’est une activité que j’ai apprise sur le tas alors que j’étais en aventure…” nous -a-t-il déclaré assis derrière une table sur laquelle on peut aisément apercevoir une multitude de cachets de forme ronde et rectangulaire.
Pour établir un cachet pour le client qui fait la demande, il suffit, nous a-t-il indiqué, que celui-ci nous remette les mentions qu’il veut voir figurer sur son cachet et nous ferons le reste à notre niveau.
Sourire aux lèvres Seydou Traoré, jeune diplômé, et depuis trois ans fabriquant de cachets, ne cache pas qu’il tire bien son épingle du jeu avec cette activité qu’il dit avoir appris auprès d’un ressortissant Camerounais.
Pour Dramane Sylla, un jeune de la trentaine d’années révolue, la confection de cachet l’a tout simplement extirpé de plusieurs années de vie en dents de scie.
Avec cette activité, nous a-t-il confié, c’est une vie normale que je mène désormais sans m‘inquiéter pour mon loyer et mes frais de ménage.
A la question de savoir s’il a, au préalable, rempli quelques formalités que ce soit avant de débuter son activité, sa réponse ne s’est point fait attendre.
Serein, il nous déclare : “c’est une activité pour le moment libre comme beaucoup d’autres, aussi, je n’ai pas eu besoin de faire une quelconque démarche administrative pour opérer”.
Pour lui, la seule chose qui vaille c’est que celui qui veut en faire son activité principale puisse avant se rassurer qu’il s’y connaît bien.
Car, a-t-il dit, seul ceux qui font du beau travail parviennent à s’y maintenir. Pour le reste, l’activité, à l’en croire, est parfaitement autorisée dans la mesure où elle se fait sur la place publique.
Activité tolérée mais absolument illégale Dans les conditions où elle se pratique actuellement, la confection de cachets tout en étant tolérée reste au nombre des activités parmi les plus illégales.
C’est en tout cas ce qui ressort d’un entretien avec Amadou Traoré, commissaire de police au commissariat du 1er arrondissement de Bamako.
“Le cachet s’il est certifié doit faire foi”, a-t-il déclaré avant d’ajouter que depuis bientôt dix ans sa fabrication est l’objet d’une certaine banalisation en raison, a-t-il soutenu, du fait que de nombreux jeunes diplômés y ont fait leur principale activité économique.
Pour l’officier de police judiciaire, ses services ont plusieurs fois découvert des cas où des cachets sont confectionnés au fin d’escroquerie et au préjudice de l’Etat.
Une faible réglementation
Si aujourd’hui fabriquer un cachet est devenu une activité banale, cela ne peut être que la conséquence de la faiblesse de la réglementation en la matière.
Pour Me Madina Oumou Malet, notaire, la confection des cachets telle qu’elle se pratique actuellement sur la place publique n’est pas une chose à encourager car présente, selon elle, un terrain favorable aux escrocs.
“Quand je commençais ma fonction de notaire j’avais chargé une amie de me confectionner mon cachet en France. Mais avant de l’obtenir on m’a exigé mon décret de nomination au vu duquel finalement j’ai pu obtenir mon cachet…” a-t-elle déclaré en faisant observer que là bas la chose est mieux organisée qu’au Mali.
Au Mali, à l’état actuel des choses, il n’y a que les sceaux et armoiries de l‘Etat qui font l’objet d’une réglementation, reconnaît Me Mamadou Camara, avocat et chargé de mission au ministère de la justice.
Pour lui, la confection de cachets par des personnes privées n’obéit actuellement à aucune réglementation particulière.
Toutefois, précise-t-il, la pratique dans certaines circonstances peut constituer une infraction notamment quand le fabriquant se rend coupable d’acte de contrefaçon ou d’imitation d’un cachet d’autrui.
Un tel comportement, a-t-il ajouté, tombe sous la qualification du délit de faux et usage de faux, une infraction prévue et réprimée par le code pénal malien.
Même s’il n’y a pas une réglementation particulière en la matière, Me Camara estime que l’activité ne doit pas rester totalement libre. Et qu’un minimum d’ordre dans ce milieu s’impose.
Cette activité, selon le commissaire Traoré, a d’abord commencé avec les commerçants détaillants qui ont été les premiers à établir leur propres cachets. Ils ont été par la suite suivis par tous ceux qui montent une entreprise privée.
L’inorganisation aidant et, avec le développement des nouvelles technologies, certains escrocs se sont infiltrés dans le secteur. Ce qui fait que finalement c’est pratiquement les cachets de la plupart des responsables publics qui sont fréquemment contrefaits.
Pour le commissaire Traoré, rien qu’en 2005, ses hommes ont, à la faveur d’une perquisition, mis le grappin sur un réseau d’escrocs surpris avec une quarantaine de cachets appartenant à des autorités malienne, Guinéenne, Equato-guinéenne, Sénégalaise…avec autant de passeports vierges et non vierges appartenant aux mêmes Etats.
Que faut-il faire ?
Pour espérer contrôler la situation en redonnant au cachet toutes ses lettres de noblesse, il n’y a pas deux solutions, selon le commissaire Traoré.
“Il faut réprimer ceux qui s’adonnent à cette activité. Notre responsabilité en tant qu’officier de police judiciaire, c’est d’opérer des descentes sur le terrain afin de rafler tous ceux qui s’adonnent à une telle activité” a-t-il en outre indiqué.
Avant d’ajouter que malheureusement ils ne peuvent faire grand chose sans avoir l’autorisation préalable du procureur de la république, leur chef hiérarchique.
L’alternative à cette situation consiste, selon Me Camara, à exiger l’agrément aux imprimeurs de cachets en maîtrisant dans de strictes proportions leur nombre.
Il faut faire aussi faire en sorte que tous les cachets imprimés aient une traçabilité de façon à pouvoir mieux remonter à son fabriquant en cas d’infraction commise à partir d’un cachet.
Pour le chargé de mission du département de la justice, la délinquance à ce niveau a atteint un tel seuil que même les sceaux de l’Etat ne sont plus épargnés.
C’est conscient d’une telle réalité qu’au niveau du département de la justice, responsable de la protection des seaux de l’Etat, des mesures sont en cours pour mieux les sécuriser.
C’est dans ce cadre qu’a été élaboré dernièrement un projet de décret qui attend d’être adopté et dont la finalité consiste à mieux sécuriser les signes distinctifs de l’Etat en les rendant plus fiables.
Oumar Diamoye
24 février 2006.