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A l’instar de plusieurs pays africains, les autorités maliennes ont décidé de marquer d’une pierre blanche les 50 ans de l’indépendance nationale. Parmi les slogans retenus pour l’événement, il y a le « réarmement des esprits ». La traduction dans les faits de ce slogan est un impératif du temps. Le pays en a besoin à plus d’un titre.

Des actes et comportements laissent perplexe sur le sens que nous donnons à la notion d’indépendance. Les sens et valeur de notre indépendance ont été annihilés par le coup d’État du 19 novembre 1968.

Les auteurs de ce putsch n’ont pas mis fin seulement à un système de gouvernance, ils ont aussi été le point de départ de la relégation des acquis de l’indépendance. Après leur forfaiture perpétrée contre les pères de l’indépendance, ils ne pouvaient en aucun cas se prévaloir de leur turpitude. C’est pourquoi ils se sont présentés en sauveurs de la nation. Mais quels sauveurs ? Du régime ou des hommes qui le représentaient ?

Ainsi, la page vierge de l’histoire de notre indépendance a été tournée. Les grands hommes qui l’ont acquise ont été poussés dans l’anonymat le plus complet pendant des années par le soin des princes sauveurs de l’époque. Pour beaucoup d’entre nous, l’indépendance se limite à une date : le 22 septembre 1960.

Les circonstances de son acquisition, ainsi que le rôle des uns et des autres sont entourés d’un épais mystère. Notre indépendance a-t-elle été donnée ou acquise à la suite de luttes ? La période de la colonisation au Mali est mystérieuse : y avait-il des collabo face à des indépendantistes ?
Le slogan « réarmement des esprits » nous offre donc l’occasion de faire amende honorable. Il faudra le saisir pour raconter le Mali aux Maliens, pas du point de vue de l’US-RDA ou du PSP, mais le Mali de tout le monde, le Mali des indépendances.

Certes, lors des conférences de presse, des journées portes ouvertes et sorties sporadiques des personnes ressources, nous avons des brides d’information, mais nous avons un besoin de savoir qui va au-delà d’informations kaléidoscopiques de notre histoire commune.

L’histoire de notre indépendance a besoin d’être enseignée dans les écoles pour que nous puissions nous l’approprier dès notre bas âge. Cela nous permettrait de nous familiariser avec notre indépendance et ses héros, ses larbins et autres. Les témoins et les acteurs de cette indépendance devront accomplir leur devoir de génération en brisant le silence sur les péripéties de notre accession à la souveraineté nationale et internationale.

L’intervention de l’armée le 19 novembre 1968 a réduit à sa plus petite expression notre indépendance : un drapeau, un hymne national sans histoire, sans héros. A sa mort, le premier président du Mali indépendant n’a eu droit qu’à l’appellation d’instituteur à la retraite.

Les chansons et œuvres d’art magnifiant l’indépendance et ses héros ont été bannis. Les pères Seydou Badian Kouyaté, Amadou Djikoroni, El Béchir Gologo, Madeira Kéita, acteurs de notre passé récent, méritent-ils notre estime ou notre désapprobation ? Les grands anonymes qui ont construit notre histoire commune méritent-ils d’être connus au grand jour ?

Il ne s’agit pas de faire le procès de qui que ce soit ou de redresser les torts. Il s’agit tout simplement d’étancher notre soif de savoir par non pas des vérités de notre indépendance mais les réalités de celle-ci. Etant entendu que l’épaississement du mystère autour de l’histoire d’un pays rend difficile sa gestion au présent.

Tous autant que nous sommes agissons en étrangers envers le Mali. Pour preuve, le non-respect des lois et prescriptions par la quasi-totalité des citoyens. L’incivisme décrié par tous, la corruption, le détournement des fonds publics (vol toléré) le laisser-aller généralisé, l’achat des votes…

Or le nationalisme (amour de son pays) prend sa source dans l’histoire qui lie les hommes à leur territoire. Dans le cas d’un pays sans histoire à quoi peut-on s’attendre ? Dans le cas spécifique du Mali, l’histoire des royaumes nous a été racontée.

Soundjata, Da, Babemba, Samory sont certes nos ancêtres, ces renseignements nous ont permis d’être fiers et de nous requinquer plusieurs années durant. Aujourd’hui, cela ne prend plus la tête parce qu’il ne permet pas de résoudre les problèmes actuels, notamment le manque d’égard envers notre pays. La nation est trahie partout et par tous. Les saboteurs de l’ordre public, les absentéistes, les preneurs de pot-de-vin, les acheteurs de votes sont tous coupables de trahison envers le pays.

Seule une bonne connaissance de l’histoire récente nous permettra de repartir sur de nouvelles bases, car en connaissant mieux notre pays, nous le respecterons, nous respecterons les hommes qui l’ont fait, nous respecterons les places historiques et nous aurons nos idoles et repères. Nous devons tout faire pour ne pas céder à la tentation du « tout amusement » pour marquer les 50 ans de notre indépendance.

La sobriété devra être de mise cette fois-ci pour qu’après les festivités, nous puissions avoir accès à tous les détails même les plus infimes de notre accession à la souveraineté nationale.

Ainsi le réarmement des esprits aura tout son sens. La République du Mali a connu quatre présidents, chacun a fait ce qu’il a cru bon pour le pays. Sous ces quatre régimes, le Mali a connu des fortunes diverses. La progression s’est faite en dents-de-scie, mais les constantes auront été la corruption, l’incivisme, la pauvreté, le détournement de bien public et la démagogie. Chacun des régimes a proposé sa thérapie : commissions ad hoc, modernisation de l’administration, Végal, etc.

L’état de la corruption, de l’incivisme, de la délinquance financière, de la pauvreté est éloquent sur l’efficacité de ces thérapies. Le problème du Mali semble être dans la perception de la nation, de la patrie et du citoyen par l’immense majorité de nos concitoyens.

Il serait intéressant de saisir l’opportunité que nous offrent les festivités du cinquantenaire pour faire un sondage à grande échelle sur ces questions.

Bakary Sangaré

(imprimerie Jamana)

10 Mars 2010.