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Certains de nos lecteurs, mécontents (il n’y a pas que ceux-là) commencent parfois leurs lettres par un éloge de l’objectivité et de l’indépendance de la presse privée, cette grande et opaque famille à laquelle appartient notre journal. Après quoi ils couvrent d’injures ou de reproches celui des collaborateurs qui n’est pas exactement de leur avis. Un esprit superficiel verrait là, sans doute, une contradiction. Il aurait tort. Plus je regarde autour de moi, plus je me convaincs que c’est nous qui sommes dans l’erreur.

Le brave César, dans l’œuvre de Pagnol, prenait le mot «tolérant» pour une insulte. Il ne croyait pas si bien dire. La tolérance est un vice de rêveurs, d’intellectuels, d’inutiles. De nos jours, on ne pense pas, on n’en a pas le droit: on milite. La vérité, jadis, était affaire de foi ou de raison. Ces temps sont révolus : maintenant la vérité est affaire de parti, que dis-je, de regroupement de partis, de mouvance – présidentielle ou d’opposition- parfois même d’appartenance ethnique ou religieuse.

Avant, on disait si bien : «De gustibus et coloribus non discutandum », autrement il ne faut pas discuter les goûts et les couleurs. Maintenant, il n’est pas trop risqué d’affirmer que les opinions et les goûts sont des devoirs sociaux, des exigences collectives, auxquels l’homme moderne ne peut pas plus échapper que l’Athénien de Socrate n’échappait aux lois de la cité.

En effet, essayez d’être du RPM et de reconnaître un bilan tout à fait positif à ATT, d’être du Mouvement Citoyen et de participer à une marche du FDR dénonçant des abus démocratiques du régime en place, de se réclamer de l’ADP et de souhaiter l’alternance… Vous serez alors comme le Bordelais qui réclame détester le vin et l’habitant d’une station balnéaire qui dit honnir les touristes ! Vous découvrirez bien vite que vous êtes un traître, et qu’on ne discute pas avec vous. Si vous présentez des arguments vous êtes un raisonneur sans esprit pratique. Si vous plaisantez vous êtes un esprit léger, inconsistant.

Que la tolérance soit une trahison, cela ne fait aucun doute. C’est même, pis encore, une traîtrise : «Celui qui n’est pas de mon avis est un traître et celui qui n’est pas avec moi et contre moi» ! Waou qué viva Machiavel !

De toute façon il faut que les portes soient ouvertes ou fermées. Les tolérants les préfèrent ouvertes. A quoi bon alors les enfoncer ? C’est à vous dégoûter d’avoir raison.

En cette période de dévotion -c’est Maouloud- il est plus que temps de se repentir et de redonner à la tolérance la place qui lui sied. On sait que lorsque les Hébreux sentaient peser trop lourd sur leurs épaules le poids du mal, ils chargeaient un bouc.

Mais l’on n’a jamais clarifié le sort réservé par la suite à ce bouc émissaire pour accorder foi à cette pratique: l’animal mourait-il de soif et de honte ? Rejoignait-il quelque troupeau sauvage pour mener avec lui l’existence sans loi des nomades ?

Si les Hébreux pouvaient bien savoir qu’au Mali le bœuf a tout simplement pris la place du bouc, à la seule différence que le sort du bovidé est bien connu: il est immolé et son sang coule, coule…

Combien de bovidés noirs, blancs, rouges, albinos -selon les prescriptions de l’oracle- ont – ils servi de bœufs émissaires en cette période d’effervescence électorale? Il y a là un autre thème de campagne pour protéger les animaux de la sauvagerie de l’angoisse existentielle.

Kulubalikéni

02 avril 2007.